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Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins)

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Pour apprendre ou comprendre un sujet ou une matière rapidement et sans vous fatiguer, certains vous proposent des méthodes en deux mois, voire en bande dessinée. Le titre de Sarah Glidden s’amuse de cela et de ce statut de la neuvième chose pour le prendre à revers, est dire ce qu’elle ne sait plus et a «incompris» en 10 jours, qui en valaient chacun six maximum.

Jeune américaine d’origine juive, notre auteure va entamer «son tour d’Israël» comme d’autres, à d’autres époques entamaient leur tour d’Italie, voire le tour d’Europe. Véritablement touriste par conséquent, elle entreprend ce voyage organisé dans le cadre du Taglit[1] avec à l’esprit un pays perpétuellement en guerre, et la certitude que la générosité de cette excursion en Terre Sainte est motivée par la propagande.
En conflit avec une judéité qui à ses yeux ne semble avoir pour conséquence que le malheur des palestiniens, elle vient avec un regard en alerte, un esprit tendu vers les détails pour déceler ce qui la tromperait, lui cacherait une vérité que n’oseraient s’avouer les israéliens. Mais ce qu’elle va découvrir est une réalité extrêmement complexe dont elle va rapidement percevoir les contradictions, mais aussi les richesses.

Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) est un album inédit en bande dessinée sur ce sujet, dans le sens où il n’est pas celui d’un reporter, il n’est pas celui d’une personne en séjour professionnel pour plusieurs mois, ni celui de quelqu’un appartenant à une organisation humanitaire ou autre pour dénoncer ou au contraire faire l’apologie de la politique israélienne.[2]
Ce livre n’est pas non plus un carnet de voyage. Pas de croquis ou de notes directes. Si le carnet est bien présent comme structure sous-jacente et comme source d’informations,[3] tout a été récrit, retranscrit en bande dessinée.[4]
Le voyage de Sarah Glidden sera aussi bien intérieur qu’extérieur. Non pas spirituel comme on pourrait le penser en cette terre déclarée trois fois saintes, mais comme interrogation à la fois personnelle (sa judéité, son américanité mais aussi son couple) et universelle (ce qui fait l’identité, l’éventuelle position privilégiée du voyageur, le nature de son regard sur ce qu’il découvre, etc.).
Dans ce «nombril du monde», au croissement des routes, des temps et des imaginaires, l’auteure va rencontrer des gens, des terres arables ou désertes, la mer morte, des militaires plus jeunes qu’elle, des kibboutz qui deviennent des sociétés privés, des centres commerciaux, des musées, des lieux historiques structurés pour le tourisme, et deux témoins des deux confessions en conflits, évoquant des attentats dont leurs proches furent victimes.

Le voyage deviendra une aporie, où ce qui est vu par le monde entier à travers les télévisions, n’a plus de réponse simple quand on le vit hors événement dans la proximité d’un quotidien, où l’humain immergé se retrouve à l’échelle de ces fourmis que l’auteure voit à ses pieds quand elle arrive. Les certitudes de Sarah échoueront face à des gens qui parlent, ne sont pas dupes, vivent dans une démocratie et non dans une dictature ou un état militaire. L’auteure voulait moins montrer que voir et comprendre de ses propres yeux. Passant directement d’un point de vue généraliste à celui particulier, son voyage trop court ne saura évidement pas trouver cette équidistance somme toute chimérique d’une réponse à la fois espérée et faussement logique.
Le livre de Sarah Glidden ne dénonce ni ne renonce. Elle montre un pays tel qu’il vit, tel qu’il se montre et essaye de se montrer. Reste qu’à travers le cheminement de l’auteure, son «dé-savoir», son «incompréhension», une invitation douce à se connaître soi, à franchir des frontières se dessine comme nouveau savoir. La mise en filigrane de son couple, le discours final du Rabbin Hartman, tout cela dévoile aussi et autrement un pays sans sa moitié, derrière un mur dit de «protection», manquant de compréhension intérieure suffisante, dans une distance que l’auteure franchie elle quelque peu en sa qualité de voyageuse.

Notes

  1. «Programme mondial organisant des séjours de 10 jours en Israël pour les jeunes juifs qui ne l’on jamais visité.»
  2. Si je pourrais citer plusieurs titres dénonçant et témoignant avec raisons du calvaire de palestiniens, l’inverse n’a — du moins en français et à ma connaissance — pas été fait. Je dis cela pour ce dernier cas, en partant du principe que pour certains la bande dessinée peut être un moyen simple d’éduquer les foules, comme semble s’en moquer l’auteure à travers le titre de son livre.
  3. L’usage de l’aquarelle renvoie aussi à cette idée.
  4. Notons que ce livre est un «log» mis en album. Un peu comme certains publient leur blogue en album après un bouche à oreille se traduisant par moult connexions, Sarah Glidden avait d’abord publié son voyage en minicomics autoédités, récompensés par un Ignatz Award du «Promising New Talent» en 2008. «Small press» et blogues, deux chemins de publication qui se rappellent ainsi plus que parallèles sur bien des points.
Site officiel de Sarah Glidden
Site officiel de Steinkis
Chroniqué par en mai 2011