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Je ne t’ai jamais aimé

de

Attention, chef-d’oeuvre. Si Ed the Happy Clown était une oeuvre d’apprentissage, I never liked you est la marque d’un artiste au sommet de son talent, nous offrant un récit superbe de finesse et de sensibilité.

I never liked you, c’est l’histoire de Chester Brown adolescent, un Chester Brown qui ne sait pas encore aimer, mal dans sa peau et dans son corps. Autour de lui, on trouve tout un petit univers en mal de communication, aux sentiments refoulés et à peine exprimés : sa mère, figure si peu maternelle, à l’affection si timide, qui ne sait comment percer la carapace de son fils ; ses voisines et leurs jeux plus totalement innocents, relations ambiguës et non avouées ; l’école et ses vexations, ainsi que les copains lourdingues qui ne font que renforcer la façade d’insensibilité dont s’entoure le jeune Chester … au travers de ces petits éclats de vécu, on découvre toutes les angoisses et les faiblesses d’un personnage attachant.

Et en définitive, cette exclamation enfantine (de toutes façons, j’t’aime pas), c’est Chester Brown adulte qui se la renvoie à lui-même adolescent, regrettant de n’avoir su dire son amour à celles qu’il a ouvertement blessées par la maladresse de ses sentiments. Une confession poignante de sincérité, au goût doux-amer des souvenirs et des occasions perdues.

La narration est un véritable bijou de fragilité et de subtilité, avec une maîtrise qui sait rester discrète. Quelques cases éparses sur un fond noir, un dessin ténu mais vivant, une série de petits tableaux et de longs silences … la beauté de ce livre réside dans cette mise à jour sans artifice, dans cette histoire dépouillée mais étonnament émouvante.

Chroniqué par en mars 1998