Numérologie, édition 2008

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Ami lecteur, lectrice mon Amour,
Comme chaque année depuis quatre ans maintenant, du9 profite de ces temps pré-Angoumoisins pour s’aventurer sur les terres obscures où règnent bulles économiques, lignes de tendances, points de rentabilités et autres perspectives de croissance. Bienvenue dans une nouvelle «Numérologie» — ou l’art de faire parler les chiffres.

[Et si tu le souhaites, tu peux télécharger un fichier pdf contenant les deux parties de ce dossier]

Pour l’observateur s’interrogeant sur la santé du marché de la bande dessinée, les échos que l’on peut en percevoir en ce début d’année sont pour le moins discordants. D’un côté, l’on nous annonce que 2008 est «une année tonique qui ne se laisse pas impressionner par la crise financière ambiante»[1] ; de l’autre on évoque «l’état de la bande dessinée : vive la crise ?»[2] ; à moins que l’on ne préfère laisser flotter le doute en parlant de «bande dessinée : quel salut hors de la case ?», comme dans le dossier annuel de Livres Hebdo.[3]
Et si Livres Hebdo n’hésite pas à souligner «la maturité d’un marché en croissance depuis quatorze ans», indiquant par ailleurs que «depuis douze ans, la croissance des ventes BD est systématiquement supérieure à celle du marché du livre dans son ensemble», les éditeurs interviewés ne font pas montre d’un optimisme débordant : Guy Delcourt évoque un marché qui «a atteint un palier il y a deux ans», le P-DG de Casterman Louis Delas parle de «fortes turbulences», alors que Philippe Ostermann (directeur éditorial de Dargaud) souligne une «totale surproduction».
Face à ces propos contrastés, il n’est donc pas inutile de se pencher sur le sujet, et d’essayer de mieux cerner, à l’aide des données disponibles, de ce qu’il en est vraiment de la santé de la bande dessinée.

Un marché en demi-teinte

S’appuyant sur les chiffres, Livres Hebdo titre «jusqu’ici, tout va (presque) bien…» et célèbre un marché de la bande dessinée qui reste orienté à la hausse : «d’après (les) données Livres Hebdo/I+C, les ventes de BD au détail ont augmenté de plus de 3 % en euros courants». Dans le contexte d’un marché du livre plutôt morose (+1 % en euros courants), la performance est remarquable. On passerait donc de 319,2 millions d’euros en 2007 à 328,8 millions d’euros pour l’année 2008.
Mais l’article passe sous silence le pendant moins glorieux de cette année 2008,
à savoir le recul des ventes en volume : à 33,6 millions d’ouvrages vendus en 2008, le secteur de la bande dessinée enregistre un retrait de 1,5 % de ses ventes. Soit une baisse d’un demi-million de livres par rapport à 2007 et ses 34,1 millions d’exemplaires vendus.

On constate ainsi que la belle santé de la bande dessinée sur ces dernières années repose essentiellement sur l’augmentation des prix à la vente. Alors que le prix moyen du secteur s’établissait autour de 7,60€ sur la période 2001-2005, on le voit augmenter brusquement à partir de 2006 pour passer au-dessus des 9,00€ — le prix moyen étant autour de 9,80€ en 2008. A prix constant, la belle progression de +31 % sur 2005-2008 fond comme neige au soleil, revenant à un maigre +1,8 %.
Cette forte augmentation (+29 % en trois ans) touche le segment des manga (+28 % avec un prix moyen de 6,90€ en 2008), mais plus particulièrement le reste de la production (+38 % avec un prix moyen de 11,50€). On peut y voir la conséquence de l’introduction sur le marché d’un grand nombre de titres se démarquant du traditionnel format d’album cartonné, avec un prix plus élevé : intégrales diverses, mais aussi les collections de romans graphiques lancées chez les grands groupes (Ecritures, Futuropolis, Shampooing, etc.) bénéficiant d’une large diffusion.

L’érosion des valeurs sûres

La progression continue du marché de la bande dessinée, avec ses bonnes années et ses moins bonnes, ne devrait pas occulter les modifications profondes que l’on peut observer dans la répartition des ventes.
Ainsi, ces dernières années ont vu une diminution progressive de l’importance des meilleurs ventes. En 2001, les 50 titres listés dans les tops annuels de Livres Hebdo/I+C concentraient 28 % des ventes totales du marché. Depuis 2006, cette part est tombée à 13 %, indiquant une dilution progressive des achats sur un plus grand nombre de références. Or, cet affaiblissement du top 50 ne saurait être mis sur le seul compte d’un marché en expansion — il témoigne également d’une profonde érosion des performances des best-sellers, particulièrement marquée à compter de 2006. Fait notable, 2007 marquait la première fois depuis 2000 où aucune bande dessinée ne dépassait la barre symbolique des 300 000 exemplaires vendus dans l’année.

1. Un Top 50 en baisse
Les ventes cumulées du «top 5» annuel sont ainsi passées d’une moyenne de 2,1 millions d’exemplaires pour la période 2000-2005[4] à 1,2 millions d’exemplaires depuis 2006, soit un recul de 45 %. En comparaison, les ventes cumulées des titres classés entre la 31e et la 50e place restent stables autour du million d’exemplaires, n’enregistrant qu’une modeste érosion de 3 %.
On assiste donc à un tassement de ce classement, avec une diminution progressive de l’écart entre le premier et le cinquantième titre. Une situation qui se rapproche de celle du livre en général, même si les écarts demeurent encore beaucoup plus importants : x11 contre x4, respectivement.


||Moyenne des ventes annuelles par tranche||
| |2000-2005|2006-2008|Evol. %|
|Cumul top 5|2,13m|1,17m|-45 %|
|Cumul #6-15|1,64m|1,10m|-33 %|
|Cumul #16-30|1,35m|1,08m|-20 %|
|Cumul #31-50|1,07m|1,04m|-3 %|
|Cumul top 50|6,19m|4,40m|-29 %|
Il faut également noter le faible renouvellement des séries présentes dans ce top 50 annuel. Sur la période 2000-2008, on compte à peine plus d’une centaine (104) de séries différentes dans les meilleures ventes — un nombre «généreux» si l’on considére qu’il sépare un certain nombre de «séries dérivées», qu’il s’agisse de Blueberry/La jeunesse de Blueberry/Marshal Blueberry ou de Lanfeust de Troy/Trolls de Troy/Conquérants de Troy/Lanfeust des Etoiles. Cette concentration est encore plus marquée au sommet, puisque depuis 2000, seules 14 séries sont apparues dans le «top 5», dont quatre pour une unique apparition.

2. Des séries franco-belges à la peine
Puisque les plus grosses ventes de la bande dessinée reposent sur des séries bien établies, il est important de considérer l’évolution de leur performance au fil des ans. Ainsi, la sortie du douzième album de Titeuf en Août dernier a été saluée comme un événement. Avec un tirage annoncé de 1 832 000 exemplaires, il ne faisait aucun doute que ce serait là l’un des poids lourds de la rentrée.
Le bilan qui apparaît lorsque l’on considère les ventes est beaucoup plus mitigé. Certes, avec presque un demi-million d’exemplaires vendus sur le territoire français, Le sens de la vie est de loin la meilleure vente en bande dessinée, et la seconde meilleure vente de l’édition, tous types de livres confondus. Mais cette performance est à tempérer, en la comparant avec les années précédentes.

Les Titeuf paraissent avec une régularité de métronome, tous les deux ans, à la fin du mois d’Août.[5] En 2002, La loi du préau avait vendu 892 600 exemplaires. En 2008, sur une période similaire, Le sens de la vie atteignait les 495 400 exemplaires — soit un recul de 44 % sur la performance d’un nouveau titre à sa sortie. Dans le même temps, le tirage initial est passé de 1,4 million pour La loi du préau à 1,8 million pour Le sens de la vie, soit une augmentation de 31 %.
Plus généralement, ce sont les ventes de l’ensemble de la série qui connaissent une forte érosion, passant de 1,4 millions d’exemplaires en 2001 à moins d’un million en 2008 — soit un recul de 30 %. Ou encore -67 % par rapport à l’exceptionnelle année 2002, et ses 3.3 millions d’exemplaires de la série vendus… Le graphe ci-contre permet de constater l’évolution des ventes depuis 2001, et de voir que le «phénomène éditorial» qu’était Titeuf a connu un coup d’arrêt à partir de 2004. Coïncidence malheureuse, c’est aussi l’année où Zep a reçu le Grand Prix de la Ville d’Angoulême.


|Ventes|2001|2002|2003|2004|2005|2006|2007|2008|
|Titeuf global[6] |1.6m|3.3m|1.6m|1.7m|0.8m|1.1m|0.7m|1.1m|
|Nouveauté||893k||835k||571k||495k|
|Tirage||1.4m||2.0m||1.8m||1.8m|
Cette tendance s’observe sur nombre de séries franco-belges «établies». On constate ainsi une érosion forte des ventes des nouveautés, qui s’accompagne d’un réajustement généralement modéré du tirage initial.
Il est vrai que ces observations ne portent que sur les ventes de nouveautés dans leur première année, et ne prennent pas en compte les ventes du fonds. Or, la plupart des acteurs de l’industrie s’accordent pour reconnaître une rotation plus élevée des titres en magasins — en d’autre mots, la durée de vie d’un titre dans les rayons est de plus en plus brève, et les ventes du fonds diminuent.


||Evolution de la performance des séries franco-belges||
|Série|Période|Ventes (en milliers)|Tirage (en milliers)|
|Astérix|’01 -> ’05|2 288 -> 1 305 (-43 %)|3 000 -> 3 178 (+6 %)|
|Blake et Mortimer|’01 -> ’08|459 -> 267 (-42 %)|500 -> 600 (+20 %)|
|Boule et Bill|’01 -> ’07|345 -> 120 (-65 %)|500 -> 350 (-30 %)|
|Cédric|’02 -> ’08|144 -> 64 (-55 %)|304 -> 273 (-10 %)|
|Lanfeust des étoiles|’01 -> ’08|193 -> 127 (-34 %)|360 -> 300 (-17 %)|
|Largo Winch (Printemps)|’02 -> ’07|363 -> 218 (-40 %)|556 -> 455 (-18 %)|
|Largo Winch (Novembre)|’05 -> ’08|225 -> 204 (-9 %)|500 -> 490 (-2 %)|
|Le chat|’01 -> ’08|247 -> 123 (-50 %)|320 -> 320 (0 %)|
|Le petit Spirou|’01 -> ’07|375 -> 125 (-67 %)|600 -> 415 (-31 %)|
|Les profs|’02 -> ’08|76 -> 66 (-13 %)|100 -> 200 (+100 %)|
|Les Tuniques Bleues|’02 -> ’08|126 -> 62 (-51 %)|205 -> 167 (-19 %)|
|Lucky Luke*|’04 -> ’08|412 -> 137 (-67 %)|650 -> 535 (-18 %)|
|Spirou et Fantasio**|’04 -> ’08|87 -> 45 (-48 %)|250 -> 121 (-52 %)|
|Thorgal|’01 -> ’08|163 -> 93 (-43 %)|300 -> 300 (0 %)|
|Titeuf|’02 -> ’08|893 -> 495 (-44 %)|1 400 -> 1 832 (+31 %)|
|Trolls de Troy|’02 -> ’08|127 -> 92 (-28 %)|180 -> 160 (-11 %)|
|XIII***|’00 -> ’07|476 -> 286 (-40 %)|500 -> 550 (+10 %)|
Notes :
* La performance du Lucky Luke sorti en 2008 est à relativiser, puisque le titre n’a bénéficié que de quatre semaines de ventes — par rapport aux trois mois du titre sorti en 2004.
** A noter que le volume 50 de Spirou et Fantasio n’apparaît pas dans le Top 50 2008 fourni par Livres Hebdo. Nous avons considéré les ventes du dernier titre classé pour calculer l’évolution des ventes.
*** La conclusion de XIII en 2007 avait vu deux volumes sortir simultanément. Le tome 18 avait vendu 286 300 exemplaires à fin décembre, contre 279 900 exemplaires pour le tome 19.

En dehors du cas particulier du dernier Spirou et Fantasio visiblement sorti pour «solder» le contrat du duo Morvan-Munuera avec un tirage minime, il peut paraître étonnant de voir les éditeurs maintenir des tirages élevés, alors même que les ventes des nouveautés enregistrent des érosions de l’ordre de 40 %.
Or, dans un contexte de rotation accrue des titres, il devient important aujourd’hui de maximiser l’exposition d’un titre — une vente «manquée» aujourd’hui ayant peu de chance d’être rattrapée à l’avenir. On préfère donc imprimer beaucoup, voire trop, pour assurer une large présence en magasin — certains allant même jusqu’à utiliser des «offices sauvages», en livrant aux libraires des livres qu’ils n’ont pas commandés pour leur forcer la main.
L’importance du tirage d’un ouvrage devient désormais une force commerciale, et non plus l’expression «raisonnable» d’un véritable potentiel de vente.

Le manga et la fin d’une embellie

Comme c’est le cas depuis quelques années, on soulignera la part conséquente que représentent les manga sur le marché de la bande dessinée : 37 % (en volume) et 26 % (en valeur) en 2008, à rapprocher des 40 % des nouveautés recensées par Gilles Ratier.
Cependant, après la progression fulgurante des années 2001-2005, la contribution des manga au marché de la bande dessinée s’établit depuis trois ans autour des 35 % en volume, et 25 % en valeur.


||Part du manga dans le marché de la bande dessinée||
| |2001|2002|2003|2004|2005|2006|2007|2008|
|En volume|9.6 %|11.1 %|18.5 %|21.9 %|27.8 %|34.2 %|35.5 %|37.1 %|
|En valeur|(–)|(–)|(–)|15.3 %|20.0 %|24.4 %|25.0 %|26.0 %|
Il faut souligner ici le rôle joué par les grands éditeurs dans cette installation du manga sur le marché. Les cinq grands groupes d’édition (Média Participations, Glénat, Flammarion, Soleil et Delcourt), qui contrôlent plus de 70 % des ventes de manga en France, se sont ainsi fortement investis dans le segment dès 2006, à la rechercher du successeur de Dragon Ball. Alors que fin 2002, ils comptaient tout juste une petite trentaine de séries en cours, dès 2003 c’est une trentaine de nouvelles séries qui débarquent sur le marché — le chiffre passant à soixante nouvelles séries annuelles pour les années 2006-2007. Fin 2007, ces cinq plus grands groupes avaient plus de deux cents séries de manga en cours — auxquelles il fallait rajouter la centaine de séries qui étaient arrivées à leur terme (naturel ou anticipé) durant l’année.


||Nombre de nouvelles séries manga par année||
|Groupe|2003|2004|2005|2006|2007|2008|
|Média Participations|1|5|8|7|13|14|
|Groupe Glénat|8|6|7|15|8|13|
|Groupe Flammarion|3|6|5|7|12|9|
|Soleil|8|8|10|16|16|14|
|Delcourt (hors Tonkam)|9|9|9|14|10|11|
|Total Grands Groupes|29|34|39|59|59|61|
1. Un segment très concentré
Alors que le manga est souvent présenté comme le segment porteur de la bande dessinée aujourd’hui, la réalité est beaucoup moins rose. Le secteur du manga est avant tout extrêmement concentré, et repose essentiellement sur un petit nombre de séries best-sellers. Les trois plus grosses ventes contrôlent ainsi près de 30 % du segment, et les dix séries les plus vendeuses représentent près de la moitié des ventes de manga en France. Naruto à lui seul continue de représenter près d’un manga sur six — et vend 11 fois plus que Negima !, pourtant dixième meilleure vente de manga en 2008.

De plus, après avoir progressé au rythme des nouvelles sorties sur la période 2001-2004 (signe que le marché a alors la capacité d’absorber cette offre élargie), on note un net effet de saturation qui apparaît dès 2005, avec un tassement significatif des ventes sur les trois dernières années.
Les éditeurs qui publient ces quelques séries à succès se retrouvent alors particulièrement dépendants et fragilisés : en 2008, Kana (branche manga du groupe Média-Participations) voit 73 % de ses ventes en volume reposer sur les trois séries Naruto, Death Note et Kyo ; Glénat Manga réalise 65 % de ses ventes avec One Piece, Dragon Ball et Bleach ; enfin, la seule série Full Metal Alchemist représente 41 % des ventes de Kurokawa.


||Chiffres en millions de livres vendus||
|Groupe d’édition|Total|Manga|Part Manga|
|Média Participations|11.0|3.7|34 %|
|Glénat|5.4|3.0|55 %|
|Delcourt|3.4|1.5|44 %|
|Flammarion|2.6| ?| ?|
|Soleil|2.5| ?| ?|
|Hachette|1.9|1.4|70 %|
|Bamboo|1.0|–|– |
|Panini/Marvel|0.9|0.6|65 %|
|Kurokawa|0.9|0.9|100 %|
|Autres|4.1|1.2|29 %|
|Total|33.6|12.5|37 %|
Cette situation se traduit de manière flagrante dans les tirages annoncés par les éditeurs. Si Naruto culmine ainsi à 220 000 exemplaires par volume, devant Death Note à 180 000 exemplaires, ce chiffre s’effondre ensuite : 90 000 exemplaires pour Full Metal Alchemist, 72 800 pour One Piece — tous éditeurs confondus, seules quatorze séries comptent des tirages supérieurs à 40 000 exemplaires. En comparaison, il y avait en 2008 plus de 80 séries franco-belges dont le tirage initial était supérieur à ce nombre.
Bien qu’Alain Kahn (président de Pika) assure que «le manga est l’un des seuls secteurs qui reste en progression», la prudence est de mise en 2008 — la plupart des titres voyant leur tirage reconduit à l’identique, voire revu à la baisse. De même, les lancements de nouvelles séries se montrent très modérés, que celles-ci bénéficient d’une large notoriété (Dragon Ball Z à 70 300 exemplaires, Saint Seiya à 50 000, Hokuto no Ken à 35 000) ou d’un «buzz» positif (Fairy Tail à 70 000 exemplaires).

2. Les limites du modèle
Signe fort en 2008 : Naruto, titre emblématique du succès du manga, marque le pas. On constate ainsi un ralentissement significatif de la progression des ventes des nouveaux volumes, qui s’accompagne d’une stabilisation du tirage.
Par ailleurs, les ventes globales de la série sont pour la première fois en retrait, perdant 7 % pour passer de près de 2 millions de volumes en 2007 à 1.86 million en 2008.


||Performance de Naruto||
|Sortie|#|Ventes|Evol.|Tirage|
|Jan. 2005|15|61 200|–|110 000|
|Jan. 2006|21|93 300|+52 %|130 000|
|Jan. 2007|27|130 900|+40 %|220 000|
|Fév. 2008|34|133 000|+2 %|220 000|
Certes, Kana peut s’appuyer sur la bonne performance de Death Note, dont les ventes totales progressent de 55 %, passant de 395 000 exemplaires vendus en 2007 à 613 000 en 2008. Cependant, il faut noter que c’est là la plupart de la contribution que l’on est en droit d’attendre de cette série. Tout d’abord, on observe déjà un phénomène d’érosion sur les ventes des nouveautés : le #1 avait ainsi vendu 78 100 exemplaires en 2007, alors que le #8 comptabilise seulement 72 200 exemplaires vendus sur une période comparable en 2008. Ensuite, forte de seulement 12 volumes, la série Death Note a d’ores et déjà atteint son terme, et 2009 ne devrait apporter que des ventes résiduelles.

Deux séries montrent d’ailleurs les limites de ce modèle de publication, qui repose sur des dynamiques proches du périodique.
D’une part, après plusieurs années de performance solide, Dragon Ball fléchit en 2008 et perd 28 % de ses ventes. Si la série s’était maintenue jusqu’ici grâce à une stratégie de «repackaging» régulier, on arrive peut-être à saturation. Ainsi, la fin de la publication de l’édition de luxe a sans doute été touchée par l’annonce de la prochaine «perfect edition» pour… Février 2009.
D’autre part, la série Kyo est arrivée à son terme avec la publication de son 38e et dernier volume en Avril 2008. Avec seulement deux sorties dans l’année au lieu des six habituelles, la série voit ses ventes diminuées d’un tiers par rapport à 2007. Rien d’étonnant d’ailleurs à cette performance, puisque pour référence, les ventes des tomes 36 à 39 de Naruto, sortis sur la période Mai-Décembre 2008, représentaient 24 % des ventes totales de la série sur l’année.

On peut donc légitimement s’interroger sur la tenue du segment en 2009, alors que plusieurs des séries les plus vendeuses sont arrivées à leur terme (Kyo, Death Note, Fruits Basket) et que d’autres, tributaires de la publication Japonaise, voient leur rythme de parution ralenti (Full Metal Alchemist, Nana).
2010 s’annonce plus compliqué encore, puisque ce sera au tour de Naruto, Bleach, One Piece et Negima ! de passer de six volumes annuels à quatre — au mieux. C’est donc l’ensemble du Top 10 des meilleures ventes en manga qui serait, en l’espace de deux ans, susceptible de connaître un sérieux coup de frein — avec peu d’espoir de trouver des titres capables de relancer le segment, la plupart des séries à fort potentiel ayant d’ores et déjà été exploitées.
On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure la relative facilité que représentait la publication de manga n’a pas limité la capacité des grands éditeurs à s’attacher à renouveler leur catalogue de marques destinées à un public adolescent, avec pour conséquence de fragiliser leur offre à moyen terme.

Il faut enfin ajouter à ce tableau l’ombre des éditeurs japonais, qui se font de plus en plus présents à l’étranger : témoins les manœuvres diverses des trois plus grands éditeurs, Shûeisha, Shôgakukan et Kôdansha en 2008 (ouvertures de filiale et autres alliances) dans le but «d’apporter de la flexibilité pour l’exploitation de leurs licences sur les marchés occidentaux». Sans compter les expérimentations de distribution numérique, comme la plateforme Jumpland de Shûeisha, déjà disponible en quatre langues (Japonais, Anglais, Français et Allemand).
Hier source de croissance pour l’industrie, le segment du manga serait donc sur le point de se tarir.

[Ami lecteur, lectrice mon Amour, en route pour la seconde partie.]

Notes

  1. Gilles Ratier, dans son rapport annuel de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
  2. Ouvrage paru en Janvier 2009 aux Impressions Nouvelles.
  3. Dans le numéro 761 daté du 23 Janvier 2009, p.64-72.
  4. En excluant volontairement l’exceptionnelle année 2001, qui avait bénéficié des 2,3 millions d’exemplaires d’Astérix et la Traviata.
  5. A l’exception du cru 2006, paru à la mi-Octobre.
  6. Les ventes globales de la série (y compris les deux «hors-série» que sont Le guide du zizi sexuel et Petite poésie des saisons) sont calculées à partir des données des Top 50 annuels Livres-Hebdo. A compter de 2005, tous les titres de la série n’apparaissant plus dans les Top 50, les ventes affichées ici ont été estimées dans l’hypothèse la plus «optimiste», à savoir que l’on considère que les titres «manquants» réalisent les mêmes ventes que le titre classé 50e.
Dossier de en janvier 2009