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Un portrait de moitié Claire

de

Un portrait comme une tentative. Une moitié qui n’est pas un profil mais bien la part d’une femme que certains plus que charmés auraient pu appeler «ma moitié». Enfin, ce prénom signifiant la clarté, une présence au visible pour mieux imaginer son contraire, sa part d’ombre, sa part autre et certainement égale au delà du mitan corporel où plus rien ne se montre de vivant et d’éclatant, où tout est en soi et paradoxalement dans les chairs.

On franchira cette frontière, on explorera ce bord d’un monde, on pénètrera ce crépusculaire fait de mémoire et de pensées, pour aller vers les lumières aurorales de l’enfance, là où tout commence, là où se révèle la véritable origine du monde intérieur de chacun.
Bien sûr, ce n’est qu’un souvenir. Mais il vient d’en dessous (il soulève leurs dentelles), resurgit quand Claire obscurée est justement à part, en hiver, à demi au monde, au bord d’un village, dans une maison entre nuit et jour entourée de barrières au jaune devenu mélancolique et bilieux.

Son histoire ? Moins la sienne que celle qui l’aurait façonnée et expliquerait peut-être une existence. Ce serait ce beau conte, ce jardin, et ce lapin qu’elle y ajoute, qui se confondent dans l’imprécis mnésique avec de premières voluptés, de première chevauchées enfantines vivifiant déjà le bas ventre, ne faisant qu’un de multiples désirs.
Confuse et confondue par le con, Claire en solitude éprouve et questionne en rêveries ce que ne disait pas ce conte[1] et ses usages du merveilleux, et que disaient trop ses souvenirs. Etre fille, devenir femme, avoir un jardin intérieur qui est aussi un organe, avec son entrée, son «utrumsit» où n’y pénètre infiniment moins que la moitié du prince charmant et seulement pour y faire quelques allers et retours.
Un cauchemar fera bascule,[2] déflorant le jardin intérieur, retirant sa nouveauté confusionnelle au désir, libérant l’objet transitionnel de sa symbolique d’une sexualité débridée, pour celle paternelle avec ses histoires du soir effrayantes/rassurantes qui apaisaient et faisaient rêver hors du temps.

Ce livre est moins une histoire que la volonté de parler du désir féminin, que d’en montrer l’émergence — la matrice peut-être — et son déplacement, son glissement d’une manière achronique de figures structurantes à d’autres. Claire est certes au milieu de la trentaine, mais à un âge qui s’offre bien plus comme une maturation du questionnement que comme un aboutissement, un assouvissement. Un peu de clarté sur un obscur objet, oui, mais qui ne résout ni explique totalement la solitude d’une femme à la vie sentimentale en échec.
L’idée de tentative suggérée par le titre prend un double sens : celui de celle qui se voit vivre ou avoir vécu et essaierait d’en démêler l’écheveau ;[3] celui de Pierre Duba, dessinateur et homme qui aimerait faire le portrait d’une femme dans le clair-obscur de son désir, de la beauté et de la singularité de son corps. Comme avec ses deux livres précédent, l’auteur reste dans le portrait intérieur, qui cette fois ne le touche plus lui-même[4] mais s’intéresse à l’autre dans un archétype fictionnel, voire théâtral. Son rapport savant et subtil aux images semblait presque impliquer le modèle, ou plutôt, ici, l’actrice mise en scène, comme si la précision du corps d’une femme et de son jeu pouvait mieux lui suggérer l’obscur, le troublé, l’assise incertaine, lointaine et hors langage sis dans une prétendue incohérence onirique. L’auteur repousse donc ici doublement les frontières de l’intime, à la fois littéralement par son sujet touchant à la sexualité, mais aussi par sa volonté d’éviter tout nombrilisme autofictionnel, en s’intéressant à l’autre avec la même force et complexité qui fait toute l’originalité attentive d’une œuvre marquée par un langage visuel virtuose.[5]

Notes

  1. Un superbe conte de Philippe Dorin lisible ici.
  2. Pierre Duba utilise et renouvelle ce vieux symbole du cauchemar qu’est le cheval, le faisant passer du cheval-bascule enfantin déjà écumant à celui débridé et spectral, basculant le rêve en cauchemar.
  3. En quelque sorte elle s’appellerait par son prénom pour y voir… clair(e).
  4. Directement avec Sans l’ombre d’un doute ou plus indirectement avec Racines qui avait à voir avec les enjeux de la création et du langage par exemple.
  5. Pour un complément d’informations sur ce livre voir les beaux textes du blog « Radios-copie » que l’auteur a tenu pendant une partie de la conception et de la sortie de ce livre.
Site officiel de Pierre Duba
Site officiel de 6 pieds sous terre
Chroniqué par en mars 2012