Balthazar

de

La question serait cette étoile itérée qui file à travers les âges, dont la fécondité symbolique est en écho à ces allures de gamète mâle animale. Planète en soi dans l’absolu, elle ne l’est pas car cométaire, seulement petite et trop près du soleil où elle se frotte, se perd un peu avec célérité pour disparaître par éloignement, non sans laisser la beauté d’un trajet de lumière vive ondant éphémèrement la voûte céleste d’un signe, mais aussi l’esprit de ceux qui le lise et se souviennent.

Ainsi, pour les groupes humains voulant tout relier (étymologie de religion) et se rassurer de n’être que si peu et si peu de temps, l’Art devient un moyen en même temps qu’une question dans ce bal de hasard qu’est la vie, dans ce bal des arts qu’est l’histoire de l’art.

 

De cette statue de jeune fille enceinte à ce livre, c’est le même signe, la même étincelle, celle d’une relation autre et paradoxalement longtemps liée à la religion. Peut-être hérésie au XIIIe siècle, elle est aujourd’hui elle-même au centre de la création et du créateur. On comprend donc que les premiers à en prendre conscience au moyen-âge (ou à le redécouvrir) aient pu/auraient pu s’agréger autour du nom de Balthazar, troisième des rois mages[1],  apportant la myrrhe, baume qui lave le corps et  prépare à une vie meilleure.

Jusqu’au XVIe siècle le mot Art était féminin, quoi de plus naturel aussi qu’il s’incarne dans une jeune fille vierge, qu’il ne soit plus un signe à suivre mais à recevoir dans la chair, à mettre au monde pour interroger celui-ci, voire le changer ?

 

Multiplicités des arts à un art du multiple, la « théomancie de Balthazar », suivant ce qu’en expose Tobias Tycho Schalken, contient cette logique d’aboutir à l’artiste protéiforme d’aujourd’hui, où en filigrane l’idée d’un art devenant religion n’est pas non plus hors sujet. Bal des arts bien plus que quatre[2] ou neuf, si le lieu où l’on danse au grès des rythmes inaugure le nom du troisième roi magicien, celui-ci contient aussi le mot hasard venant du même Orient.

Rythmes, hasard de la création, ne sont-ce pas là les obsessions de l’auteur aboutissant dans ce livre ? Ne s’amuse-t-il pas à transformer le quotidien en danse ou pantomime, ou la danse en trivialité ici amoureuse qui ne poursuit que le banal ? Tout cela ne naît-il pas du hasard d’une histoire confrontant l’absurde, mais aussi et surtout de la planche de bande dessinée elle-même ?

 

Balthazar est moins inachevé qu’achevé dans son inachèvement. Plus de dix ans après ses premiers pas de quelques planches dans la revue Eiland, sa parution en album lui offre une renaissance échoïque à l’hérésie qu’il décrit. Mais il n’est pas pourtant culte, comme on est si prompt aujourd’hui à qualifier rareté et/ou exception. Il est bien plutôt celui d’une maturation, d’un questionnement sur et à l’aune d’une pratique artistique personnelle naturellement multiforme et non exclusive. Confirmation supplémentaire, il est un processus créatif non verbal auquel s’adjoint en résonance inverse un bilan dialogique — structure prédominante en neuvième chose — avec Thierry Groensteen.[3]

 

Balthazar, bazar beaux arts, bas art bizarre, un peu de tout ça et inversement, où domine la magie de la création, un savoir-faire exceptionnel et une appréhension rare des possibilités de la bande dessinée. Le synopsis né du hasard serait : Il faut surgir, monter, mettre à bas et écouter, échanger et partir, lancer la musique et parcourir, se réunir, incarner, interroger le sens de la vie. Tout cela muettement car cela peut laisser sans voix, ou bien parce que les mots sont déjà contenus dans l’image, sous-jacents, structurants.

Est-ce que l’auteur est Balthazar ? La question peut être posée dans la mesure où, comme le roi mage homonyme, il suit quelque chose qui pourrait être sous forme d’une étoile cométaire. Mais ce serait oublier que celle-ci annonce désormais moins qu’elle interroge sur son trajet. Comprenant désormais ces mécanismes, elle s’affirme moins comme avènement que poursuite, cycle, persistance, et pour certains astronomes comme origine de la vie sur terre. Un symbole de création devenant celui d’un créateur, questionnant l’artiste démiurge plutôt que celui sauveur ou prophétique.

Notes

  1. Dernier des rois mages, dont la dernière syllabe du nom est « ar ».
  2. Allusion au bal des Quat’z’Arts.
  3. Entretien qui n’est pas un faux, puisque Thierry Groensteen le confirme bien comme actualité personnelle sur son site.
Site officiel de Editions de la Cerise
Chroniqué par en juin 2012

→ Aussi chroniqué par Jean-Charles Andrieu de Levis en juillet 2012 lire sa chronique