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The Best of the Wizard of Id

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Créé en 1964 par Johnny Hart (au scénario)[1] et Brant Parker (au dessin), le Wizard of Id est né du détournement du titre du célèbre Wizard of Oz, mixé avec le « Id », c’est-à-dire le nom latin du « ça » de Freud. Animé par les deux créateurs jusqu’en 1997, puis repris par Jeff Parker à la mort de son père et poursuivi jusqu’à la mort de Johnny Hart en 2007, le Wizard of Id est situé dans un royaume pseudo-médiéval désolé, où règne un minuscule souverain capricieux et susceptible (ça arrive), entouré d’une galerie de personnages secondaires schématiquement caractérisés (le bouffon perpétuellement ivre, le magicien et sa monstrueuse épouse, le chevalier que sa couardise empêche de courtiser la princesse, le prisonnier enfermé dans le cachot et son gardien, les paysans, etc.).

Le cadre visuel minimaliste et les personnages graphiquement simplissimes fournissent aux auteurs les élements permettant de déployer toute la machinerie du strip quotidien : chaque personnage, en effet, est une petite machine, une silhouette non seulement graphique mais aussi narrative, dont les comportements stéréotypés et les défauts surjoués offrent de multiples possibilités de combinaison.
Une fois le strip « installé » (c’est-à-dire : une fois que la présentation des différents personnages et de leurs caractères, ainsi que celle du cadre global du royaume d’Id, est suffisamment complète pour qu’un pacte minimal d’interprétation soit conclu avec le lecteur), les deux auteurs n’ont plus qu’à faire s’entrechoquer ses éléments pour engendrer des situations et des répliques qui semblent spontanément engendrées par les principes de base qu’ils ont définis eux-mêmes.
De ce point de vue, le recueil proposé par Titan permet de voir fonctionner sur plus de trente années cette mécanique : c’est un système bien huilé, un homéostat, qui ne cesse de retrouver son équilibre pour le remettre aussitôt artificiellement en danger.

Bien sûr, le mécanisme lui-même ne fonctionne pas en vase clos : tous les anachronismes sont permis, de sorte que le Wizard of Id peut sans aucune difficulté faire entrer dans son moyen âge de carton-pâte des allusions et des clins d’œil aux mœurs, aux soucis quotidiens et à l’actualité politique de l’Amérique de la fin du XXe siècle. C’est même dans cette liberté divagante que, petit à petit, le strip lui-même finit par consommer sa propre disparition : au fil des années, le cadre de départ perd toute sa consistance, et ne fournit plus qu’un prétexte vague à telle trouvaille visuelle ou verbale qui fait le cœur du gag — mais qui aurait aussi bien pu s’incarner dans une autre époque, ou dans une autre situation.
L’effet de recueil, qui permet de parcourir trente années de production, produit alors une impression curieuse : le lecteur qui découvrait un strip du Wizard chaque jour, isolé des autres, pouvait chaque fois s’amuser de la direction inattendue dans laquelle les auteurs emmenaient leur création, et savourer avec gourmandise la chute incongrue ou au contraire laborieusement téléphonée qui donnait son punch au strip du jour. Celui qui, au contraire, les lit dans le recueil et d’un seul coup, ne voit plus que le mécanisme de ces gags, le canevas squelettique qui conduit à la punchline finale.
L’accumulation rend évidente l’atrophie progressive du royaume d’Id, qui s’efface pour ne plus former qu’une vague couleur familière accueillant avec une certaine indifférence des situations et des répliques abstraites et un peu artificiellement plaquées sur un décor médiéval. Au fond, certains strips ne sont peut-être pas du tout faits pour le recueil : ils sont réduits à la machine, et ne racontent pas d’histoire.

Notes

  1. Johnny Hart avait déjà obtenu un certain succès avec son strip B. C..
Site officiel de Johnny Hart
Chroniqué par en mai 2010