Birchfield Close

de

Pour déceler les aspérités, rien de mieux (ou de pire) que les lumières rasantes, donnant à l’infime des allures de géant par des ombres accentuées ou étirées. C’est dans un crépuscule, cette lumière du douteux,[1] que l’anonymat architectural lisse d’une banlieue anglaise révèle ses petits défauts devenus des qualités, alors auparavant seulement ressenties par l’usage commun d’un «toucher d’y vivre» naturel ou d’une proximité sociale allant de soi, mais toujours en deçà du verbe et de la vue pour être appréciés véritablement consciemment.
Lumière révélant un invisible dans le spectre diminué (ou aux frontières) de la lumière visible (solaire), la zone crépusculaire se superpose par ce paradoxe sur celle-ci pavillonnaire et autrement aux frontières d’un monde humain laborieux que l’on pourrait qualifier de faisant centre, voire de zénithal. En quelque sorte, deux banlieues se superposent[2] et font ainsi relief aux yeux de quelques-uns, par une parallaxe née de leur nature profondément différente.

Si le mot «crépuscule» peut aussi bien désigner les lumières qui précèdent le lever du soleil ou celles de son coucher, pour le sens commun d’aujourd’hui il désigne avant tout ce qui précède la nuit et ses corollaires. Il faut se coucher, c’est la fin d’un cycle, d’une journée perçue comme une petite vie qui s’efface, dont la beauté s’apprécie au fur et mesure que l’astre la termine, la clôt d’une opacité profonde. Regarder celui-ci partir, c’est comprendre par conséquent la texture et la mesure qu’il donne à l’impalpable qui gouverne tout ce qui vit.

L’histoire est simple. Deux jeunes gens, las de leur occupation vidéo ludique, montent sur le toit de leur maison pour regarder le soleil décliner à l’horizon. Ils voient et contemplent, dans l’étrange lumière flamboyante, une vie se préparant à la nuit tout en constatant une journée. Animaux, humanité, tous se préparent à passer cet entre-deux jours où se logeront précisément rêves et/ou inquiétudes de chacun. Dans cette sorte de trêve, la banlieue anonyme révèle la richesse de sa faune victorieuse d’un jour d’un drôle de jeu qui s’appellerait la vie.

L’auteur fait le panorama muet et local de celle-ci. Birchfield Close se dévoile par ce qu’elle laisse entendre de ses bruits traduisant les mouvements de tous ceux qui la composent et qui l’animent. Traces, empreintes sonores, tout cela participe intelligemment et sans paroles à l’idée d’entre-deux où se loge l’imaginaire, ultimement amplifié par l’utilisation de la bande dessinée se définissant pour beaucoup par un jeu d’un autre entre-deux, dans une gouttière non pas de toit mais de case.[3]
Très conscient de ce fonctionnement, Jon McNaught s’en amuse d’autant que ces bruits et ces mouvements lointains déclenchent chez ses personnages une imagination anticipante. De nos deux silhouettes par exemple, l’un imaginera les conséquences d’un tir sur une voiture passant, l’autre le film qu’un passager d’un avion sillonnant le ciel pourrait regarder à cet instant, etc.

L’auteur explore avec acuité tout ces registres de l’imaginaire, tous ces degrés d’une liberté comme miraculeusement offerte par un combat pour vivre sur pause, et un sommeil encore à distance.
Dans une bichromie complémentaire entre l’orangé solaire et le bleu nocturne,[4] McNaught distille une exploration attentive et simultanée d’une réalité et d’un médium. Passeur d’un entre-deux qui serait multi-dimensionnel, il termine son livre par un petit guide de quatre pages où il nomme la faune entre-aperçue.
Mettre des mots sur celle-ci pour mieux la comprendre. Sur cette vie uniquement animale, comme pour mieux inviter à explorer la ville, celle où majoritairement nous vivons, se révélant bien plus profondément humaine que l’on n’aurait tendance à le croire, devenant lieu de croisement et de rencontre pour qui se (re)découvrira voir à en faire parole.

Notes

  1. Crépuscule viendrait du latin «creper» signifiant douteux. Source le Grand Bob.
  2. L’une du halo solaire, l’autre de la ville capitale ; l’une matérialisant la rotondité de la terre, l’autre une réalité sociale.
  3. On notera que sur le toit les contemplateurs sont deux, placés comme pour faire une mire où entre eux deux le soleil se couchera.
  4. Un entre-deux de couleurs.
Chroniqué par en juillet 2011