Birdland

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Depuis le début de sa publication en 1981, la série Love & Rockets s’est établie comme une œuvre monumentale et marquante pour toute une génération d’auteurs américains. La publication des deux imposants recueils Locas et Palomar l’an dernier ne faisait que consacrer l’influence et l’importance de la contribution de Los Bros Hernandez à la bande dessinée alternative. Mais au sein de cette production imposante s’attachant à suivre les héroïnes chères à Beto et Jaime, on trouve également Birdland, récit hautement pornographique, tout à la fois anomalie, OVNI, curiosité.
Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ce soit Beto qui se soit laissé tenter par l’aventure d’un tel ouvrage. Après tout, là où Penny Century est la digne héritière d’une Betty Page, pin-up toute en séduction mais inaccessible, Luba présente une figure beaucoup plus charnelle et terrestre — et ce, dès sa première apparition dans les pages de Bem, où elle finit par devenir une sorte d’amazone-déesse primitive incarnant une féminité digne des Vénus préhistoriques.

Malgré son isolement relatif chez Eros Comix[1] et sa thématique sulfureuse, Birdland s’incrit pourtant immanquablement dans la série des Love & Rockets, à tel point que deux de ses personnages (Fritzi et Petra) intégreront plus tard la chronique de Palomar.
En effet, l’histoire qui sous-tend tous ces ébats divers est dans la plus pure tradition de l’œuvre de Beto, s’attachant à un microcosme (ici, un petit groupe d’une dizaine de personnages) avant d’en explorer les relations. Ainsi, au cœur de Birdland, se trouve le couple de Mark et Fritzi, pris dans un mariage que les relations physiques ont désertées. Alors, Mark se console comme il peut (mais résiste quand même aux avances de Petra, la sœur de Fritzi), pendant que Fritzi met à profit ses séances d’hypnotisme (tout en repoussant les propositions de Simon, le frère de Mark).

Bien sûr, le récit sacrifie aux conventions du genre, alignant une galerie de personnages à la libido exacerbée, mettant en scène des anatomies aussi démesurées qu’elles sont infatigables, orchestrant un festival de positions et de combinaisons. Mais cette répétition de l’acte sexuel devient si systématique et omniprésente qu’elle finit par friser le ridicule, devenir secondaire et presque banale, renforcée en cela par les allitérations du discours,[2] la surabondance explosive de sécrétions diverses, et plus généralement la bizarrerie affirmée des protagonistes.
On trouvera ainsi Bang Bang, stripteaseuse à la poitrine inexistante, mais dont le sexe semble permettre de toucher à une vérité cosmique, et Fritzi, psychanalyste zozotante (mais à la langue serpentine) qui détient un pendentif hypnotique[3] qui s’avèrera être la clé de tout. Car imprégné d’un certain réalisme au début, le récit va progressivement basculer dans l’onirique et le surréaliste, pour s’achever dans une apothéose en forme de voyage initiatique et libératoire.
Durant les vingt dernières pages, muettes à l’exception d’onomatopées incongrues mais liées au décor,[4] renforçant l’impression de rêve, Beto va décliner ses personnages au fil des époques, aboutissant dans une perspective cosmique/historique à l’idée de destinée.

Ne jouons pas les Tartuffes : avec ses copulations multiples à chaque page et son dessin largement explicite, Birdland demeure indéniablement une œuvre pornographique. Mais au-delà du simple étalage d’anatomies en action, Gilbert Hernandez s’affirme une fois de plus être un conteur de talent attaché à ses personnages.

Notes

  1. Eros Comix est la face adulte et cachée du plus respectable Fantagraphics, où est publiée l’intégralité des Love & Rockets.
  2. «Your boner’s bestial belaboring», «my palpitating pudenda» et autres «double-D despots» dignes des meilleurs pulps érotiques.
  3. Afin de toucher à une vérité intérieure ?
  4. Comme cet «archeopteryx» au milieu des dinosaures, ou ce «suerte» dans une mesa mexicaine.
Site officiel de Glénat
Chroniqué par en septembre 2006