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Colonie de vacanse

de

Si Mauvais Rêves reste l’album le mieux connu du fulgurant Imagex, il en existe un autre, publié en 1986 dans la fameuse collection X des éditions Futuropolis. Recueillant deux histoires publiées dans (À suivre…) remaquettés pour l’occasion, Colonie de vacanse n’est pas anecdotique. S’il est moins massif que son aîné, il synthétise parfaitement l’obsession de leur auteur — l’enfance abandonnée, voire martyrisée — mais le traitement et les conclusions des deux récits diffèrent largement.

Le premier récit (qui donne son titre au livre), Colonie de vacanse[1] présente un enfant écrivant de nombreuses lettres (sans réponse) à sa mère. Il est dans un grand centre depuis des mois, entouré d’enfants, alors que la Guerre fait rage. On devine que le gamin ne reverra jamais sa mère, mais on ne retrouve pas la distanciation habituellement maniée par l’auteur. Les dessins sont quasi-redondants, et montrent les brimades des grands, les marées de cadavres, les agressions par de monstrueux chats sauvages… Quand le texte maladroit de l’enfant cesse, c’est pour laisser place à un ciel strié par un obus puis au vide : soudain tout est calme et même le dessin si souvent violent et démesuré accompagne cette sobriété.

Après cet épisode étonnamment premier degré, on attaque Bord de mer[2] : une jeune fille rédige une lettre à sa mère dans un monde post-apocalyptique[3]… Mais contrairement à l’enfant pleurnichard de Colonie, l’héroïne décrit son amusement de vivre avec ses deux amies, son expertise dans la recherche de coquillages ou le jeu de cache-cache avec les sentinelles ennemies. Tout juste s’inquiète-t-elle de ne pas grandir et d’avoir un commencement de queue qui pousse. Ce virage doucement fantastique s’incarne par la découverte d’un autre enfant, mal en point et visiblement poursuivi, qui possède aussi une queue et qu’elle s’empresse de sauver. Logiquement, la bande est découverte et doit prendre la fuite. Mais là où Imagex nous avait habitués à des récits d’une rare noirceur, il dresse une rapide et joyeuse fuite. Le seul adulte qui les a vus en a eu pour ses frais et leur vie de sauvageons peut reprendre : «Tout va bien. Je t’embrasse très fort.», conclut la petite Joëlle.

Voici donc deux histoires au ton radicalement opposé, malgré une communauté de décors (la Guerre), de type de héros (des enfants) et de mode narratif (l’épistolaire). Là où le premier enfant meurt sans qu’aucune issue n’ait jamais semblé possible, les autres survivent avec une apparente facilité, une simplicité radicale qui représente bien ce qu’Imagex répétait tout au long de Mauvais Rêves : le monde des adultes n’est pas fiable. En pleurnichant sans cesse auprès de sa mère et en s’en remettant uniquement aux moniteurs, le petit garçon n’a pu que mourir, quand ceux qui s’amusent tant bien que mal de la guerre survivent. Quitte à, s’il le faut pour cela, abattre les adultes qui veulent les capturer. Pour quoi d’ailleurs ? Nous ne le saurons pas, peut-être ont-ils même de bonnes raisons de ce faire, mais la question n’est même pas évoquée.

Alors que les deux récits sont parus tout à fait séparément, et dans un ordre chronologique inverse, leur réunion  dans ce recueil leur donne un tout autre sens. Loin du récit plein de pathos dénonçant les horreurs de la guerre que l’on apercevait au premier abord, Colonie de vacanses se révèle un appel à l’insoumission : l’enfant qui s’en remet aux «grands» est non seulement un incapable mais aussi un collabo, un traître, et aucune pitié ne lui sera accordée. De leur côté, les enfants abandonnés de Bord de mer ont des problèmes de croissance (à 17 ans, ils ont toujours des corps d’enfants pré-pubères) et des attributs animaliers qui poussent, mais ils assument pleinement leur existence. Sans rejeter en bloc tout le monde adulte (la fille écrit toujours à sa mère avec passion, mais pour lui raconter sa vie et non lui demander de l’aide), ils ont décidé de tracer leur voie dans un monde qui ne veut pas d’eux. Mis en regard, ces deux récits pourtant indépendants fusionnent pour gagner une identité propre et semblent crier, en toute logique avec leur années de conception, le fameux «Vivre libre ou mourir».

Notes

  1. (À suivre…) n°64, Septembre 1983.
  2. (À suivre…) n°58, novembre 1982.
  3. «Ça fait maintenant plus de 10 printamps que tout est mort», écrit-elle.
Chroniqué par en septembre 2013