Doctors

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Après la mort, le paradis ne serait pas celui pour tous promis par maintes religions, mais celui plus personnel élaboré après une vie de plaisirs et/ou de frustrations. Chacun se retrouverait là où il aurait aimé (ou a aimé) être de son vivant, expérimentant une mort imminente par une persistance hédoniste semblant éternelle par les vertus du temps subjectif, avant le grand effacement définitif.

A partir de cette réalité virtuelle immédiatement post-mortem, des scientifiques ont trouvé un moyen technique de faire revenir les victimes d’entre les morts, de passer le Styx dans l’autre sens[1], de transformer leurs patients en Lazare. Reste que ces docteurs n’ont rien de prophètes qui annonceraient la bonne nouvelle de leur découverte, mais sont plutôt les marchants du temple, de ce domaine de l’après-vie sacralisé par l’énigme qu’il pose à chacun. Ils vendent très cher leurs services, pour que leurs riches clients puissent essentiellement revenir régler leur succession. Cette attitude est aussi le fruit d’un compromis, car tous ceux revenus à la vie semblent vouloir retourner dans le paradis où ils étaient, et s’ils ne sont pas atteints physiquement, ils finissent par se suicider dans les semaines qui suivent.

A partir de ce postulat astucieux[2], Dash Shaw construit un récit qui se joue de thématiques antagonistes, allant du fantastique[3] au drame intimiste. A bien des égards, Doctors apparait comme une synthèse de tout ce que l’auteur a fait depuis les 700 pages de Bottomless Belly Button jusqu’à New School. Les défauts de celui qualifié, de manière récurrente et depuis un certain temps maintenant, de «jeune prodige»[4], sont désormais bien atténués. Il n’a plus à se convaincre qu’il est auteur de bande dessinée, ni à se perdre dans une expérimentation un peu poussive ou par trop brute selon les appréciations, maquillant une absence mal assumée de virtuosité dans le dessin. Avec Doctors, Dash Shaw s’est soigné de ses excès juvéniles, son récit a gagné en cohérence, les effets, les allusions ne sont plus des manipulations d’apparence ou de savoir-faire de bon élève voulant plaire à ses maîtres. Son dessin a aussi acquis en maturité et justesse, sa mise en couleur devient logique et efficace, sachant toujours maintenir un équilibre attentif entre nécessité plastique et narrative.
Le prochain livre de Dash Shaw devrait s’appeler Discipline, un titre prometteur pour un auteur qui a trop longtemps confondu expérimentation avec exploration.

Notes

  1. D’où, bien entendu, le nom de Charon pour l’appareil médical permettant ce retour à la vie.
  2. Dont on comprend que l’industrie hollywoodienne ait rapidement acheté les droits d’adaptation.
  3. Jouant de virtualités psychiques très «dickiennes», et d’une nouvelle appréciation des morts-vivants, ici des personnages «zombifiés» par un retour à la réalité de la vie.
  4. Comme Robin, mais j’ignore qui est le Batman de Dash Shaw.
Site officiel de Dash Shaw
Site officiel de Editions çà et là
Chroniqué par en janvier 2015