Faits Divers

de

Depuis des mois, Anouk Ricard collectionne pour Le Tigre[1] des faits divers grotesques et mystérieux qu’elle adapte en bande dessinée. Grotesques par leur absurdité involontaire, mystérieux par leur fugacité. De par leur brièveté même (deux-trois lignes la plupart du temps), ces micro-événements laissent la place libre à l’interprétation. C’est de cet espace dont s’empare Anouk Ricard, répondant à la question «Comment en sont-ils arrivés là ?» et imaginant ainsi à partir de rien un passé possible.

L’exercice rappelle un autre ouvrage, Point de vue et images du monde, de Denis Jourdin, publié à L’Association en 2003, semblant relever du même principe, la proximité s’étendant jusqu’au choix de traiter chaque anecdote en l’espace de deux planches. Et pourtant, les deux ouvrages sont fondamentalement très différents : là où Jourdin racontait une histoire aux abords mystérieux avant de dévoiler l’extrait de presse, Ricard choisit l’approche inverse, commençant par l’article, et donc par la conclusion.
Ce qui pourrait être une différence de pure forme change en réalité toute l’approche du traitement de l’anecdote. Au-delà des faiblesses inhérentes au travail de Jourdin – graphique tout d’abord, ainsi qu’une idée intéressante (le texte à l’intérieur des visages) qu’il ne réussit pas à véritablement exploiter – il choisit de jouer sur un effet de devinette, des séquences d’actions incompréhensibles au premier abord s’éclairant à la lumière de la coupure de presse donnée en conclusion. Cette approche, tout-à-fait défendable, accouchait malheureusement d’un traitement faiblard des anecdotes, et, au lieu de chatouiller l’imagination du lecteur, donnait surtout lieu à une lecture malaisée et plutôt ennuyeuse.

On aurait pu craindre la même chose avec Faits divers, mais agréable surprise, le livre dépasse en tout point l’illustration stricte de notules journalistiques et laisse place à des histoires déjantées, qu’un gag complète parfois sans que cela soit toujours nécessaire, tant la logique imparable et pourtant idiote fait mouche.  «Il s’amusait à éventrer une soixantaine de piscines», «Il abandonne sa compagne qui s’étouffe au restaurant», «Les quatre cambrioleurs trahis par un pot de fleur»… les titres se suffisent à eux-mêmes, mais Anouk Ricard développe une mécanique complexe pour ancrer ces histoires dans un incongru total mais crédible, tirant avec habileté les cartes de la manipulation, de la naïveté et de la bêtise humaine.
Au-delà du comique de situation, exploité à merveille, il y a un comique graphique évident. De la même manière qu’un Libon, le dessin d’Anouk Ricard peut suffire à faire rire, jouant sur les expressions de ces figures animalières, assorties à une gestuelle et une mise en situation toujours en décalage. Là encore ce n’est pas tant dans la chute, annoncée dès le départ, que dans le cheminement et la mise en place du récit que se situe le réel intérêt.

Faits divers est donc loin de la compilation paresseuse d’anecdotes rigolotes. Sa lecture révèle un ouvrage riche, pertinent, qui pose avec intelligence la question de l’adaptation et réussi à être très drôle là où les nombreux recueils de «Perles de» échouent quasi-invariablement.

Notes

  1. Revue généraliste très portée sur la bande dessinée alternative.
Site officiel de Cornélius
Chroniqué par en novembre 2012