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Grignotin et Mentalo présentent…

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Tout commence par une invitation à planter des salades, et tout se termine en un spectacle réussi parce qu’un peu raté, devenant l’heureux et involontaire terreau d’une histoire d’amour dont on ne fera pas toute une salade justement puisque, comme vous le savez certainement, dans tout les livres pour enfants ce genre d’histoire débute quand le livre se termine.

Grignotin et d’autres animaux se foncent l’épiderme au soleil, tandis que leur ami Mentalo plante tout seul des salades pour avoir de la verdure quand la bise viendra. Devant l’absence d’enthousiasme à venir l’aider dans son jardinage prévoyant, notre Mentalo se rappelle une fable bien connue, entre une certaine cigale et une certaine fourmi, dont la morale serait d’autant plus explicite au cerveau de Grignotin et sa bande en farniente, s’il pouvait en faire un spectacle.

Le spectacle ne sera évidement pas là où on l’attend, ne serait-ce que pour simplement le réaliser, attribuer les rôles, etc. C’est certes une autre manière de cultiver son jardin, mais cette culture, contrairement à celle des salades, suscite l’excès d’enthousiasme auprès de tous les animaux.
Tout cela égrainera situations cocasses et chaotiques montrant que, finalement, l’immorale dans cette vieille fable est que l’une chantante ne s’entendait pas avec l’autre ne chantant pas[1] et que l’absence d’amitié[2] est bien plus certainement la pire des faims. Le joyeux duo irradie donc cette leçon d’une amitié universelle entre animaux sur la Terre, dans cet espace champêtre, pastoral, d’une nature équilibrée pouvant supporter avec bienveillance l’humeur fluctuante et les approximations de jugement d’âmes en enfances. Ils en apprennent tous les jours, c’est ce qui les sauve élégamment.

Delphine Bournay fait partie de ces belles histoires de l’édition. Il y a quelques années, elle envoya à L’école des loisirs son manuscrit de la première aventure de Grignotin et Mentalo, qui fut immédiatement accepté et publié tel quel. Avec ce quatrième album du joyeux duo, l’auteure étoffe cet univers d’une dizaine de personnages, lui donnant l’assise prometteuse d’une société d’amis où se multiplieront les histoires comiques mettant en scène faiblesses et naïvetés enfantines. Je ne m’étonnerais pas de voir ce duo s’animer sur petit écran un jour, quand les aventures seront plus nombreuses peut-être.
La filiation imaginaire de ce lapin jaune et de ce grand batracien vert, vient d’Arnold Lobel, peut-être d’un peu de Raymond Macherot, sans parler de Kenneth Grahame. L’auteure rejoint aussi Anouk Ricard dans son appréhension des dialogues, mais sans cultiver cette petite «cruauté» amicale dont l’auteure de Froga et du Commissaire Toumi sait nous délecter. A n’en pas douter, Delphine Bournay serait publiée par Capsule Cosmique si cette belle revue existait encore, et son univers y aurait acquis à la fois l’évidence et la visibilité qu’elle n’a peut-être pas dans la collection «Mouche».

Ajoutons pour finir que Delphine Bournay n’utilise pas de bulles et encore moins d’embrayeur (l’appendice sous la bulle elle-même) pour distinguer l’origine des dialogues, mais arrive pourtant à être lisible en jonglant dans cet album par exemple, avec une huitaine de personnages. L’astuce de l’auteure est de remplacer l’embrayeur habituel par la couleur. Chaque parole d’un personnage se voit donc identifiée par une teinte : vert pour Mentalo, rouge pour Grignotin, etc. Ces colorations alphabétiques font alors office d’embrayeurs, mais aussi de timbres correspondant au caractère des personnages.
Le plus étonnant est l’usage de cette logique dans les exclamations collectives. Une démarche peut-être favorisée par l’emploi d’une écriture cursive, où l’on voit que chaque lettre d’un mot émis collectivement est d’un coloris différent, de celui qui correspond exactement à un personnage présent et participant vocalement.
Un jeu simple et efficace sur une forme de synesthésie associant son et couleur, qui est ici d’autant plus intéressante que Grignotin et Mentalo peut s’adresser aux tous premiers lecteurs,[3] dès la seconde moitié du CP, aux enfants en plein dans la découverte de l’écrit et de ses nuances toutes aussi colorées.

Notes

  1. Et réciproquement.
  2. De ces bises qui ne furent venues.
  3. Chose finalement assez rare dans la bande dessinée désormais consacrée aux adultes et démarrant dès 7 ans dans le meilleur des cas.
Site officiel de L'Ecole des Loisirs
Chroniqué par en mai 2009