Hitler

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Pour les avoir côtoyés dans ses années de jeunesse, Mizuki Shigeru s’intéresse aux «démons étranges», qu’ils soient de nature folklorique (les Yokaïs) ou bien nationaliste. S’incarnant en des chefs de toute sorte et d’importance, ces derniers ont l’infâme particularité de pousser des populations entières aux conflits les plus meurtriers. Il était donc presque logique que l’auteur finisse par s’intéresser à celui qui incarnera longtemps en Occident (du moins espérons-le) le pire de ces démons, au point qu’il y soit bien souvent confondu avec l’image du mal absolu.

Certes, ce dictateur n’était pas un démon mais un homme. La question que l’on peut alors se poser en voyant ce livre est : fallait-il être non occidental pour faire une biographie d’Adolf Hitler en bande dessinée ?
Le fait que la neuvième chose ait longtemps été considérée comme un art de masse et/ou populaire avec les qualités et défauts qui en découlent, peut expliquer une tendance à essentiellement exploiter le symbole maléfique du führer, à le ressusciter prêt à prendre sa revanche sous diverses formes, accompagné de nouveaux adorateurs tapis dans l’ombre, etc. Peut-être est-ce cette image de langage (trop) accessible, divertissant et soi-disant sans capacités de recul réflexif ou d’analyse, qui fait qu’une biographie en bande dessinée de ce personnage historique devient assez rapidement douteuse aux yeux de certains, soupçonnant des attirances dextrogyres extrêmes, et ce quelles que soient les motivations de son/ses éventuel(s) auteur(s). Même sous la forme de l’humour, parler d’Hitler pose problème en bande dessinée. Le Hitler = SS de Vuillemin et Gourio, qui a fait l’objet d’un procès et d’interdictions à la fin des années 80, n’a, par exemple, jamais été réédité depuis.

Mizuki Shigeru est japonais et sa nationalité n’arrangera pas les éventuelles suspicions. Pays du côté du l’axe pendant la seconde guerre mondiale, pays des mangas révisionnistes, etc. on ne peut pas dire que ce livre part avec tous les atouts lui aussi. Alors, il y aura ceux qui ont lu les œuvres de l’auteur et pour qui son origine nippone sera un regard extérieur prometteur.
Mizuki s’intéresse ici à l’homme Hitler, depuis sa majorité jusqu’à sa mort, cherchant moins à expliquer sa psychologie qu’à raconter ses faits biographiques qui finissent malheureusement par se confondre avec l’Histoire. L’auteur égraine la vie d’un homme, mais dessine moins des images détaillées de celui-ci, qu’un «démon» personnel devenu « diable» dans l’Histoire et les documents qui en font trace. En Occident, réalisme et précisions des images auraient été une condition sine qua non pour asseoir une neutralité et une objectivité. Ici, l’image est secondaire, seule la précision des faits et des citations priment.[1] Tous les personnages de ce livre semblent porter des quasi masques, dont l’aspect serait la conséquence de ce que leur modèles ont été dans la réalité passée. Pas d’illusions, ils sont des acteurs rendant des faits plus vivants mais ne les représentant pas. Ils ne sont que supports. Même les images «documentaires», inspirées de photographies, n’ont pas pour but de fournir des informations très précises. Leur fonction tient avant tout du décor/contexte rapidement posé ou bien du cliché jalon. Dans le premier cas cela peut être pour asseoir un lieu ou l’idée d’une ville européenne.[2] Dans le second cas l’image confirme l’étape du récit. Elle est un repère pour celui ou celle qui connait le sujet et le document qui l’a inspirée, mais aussi pour celui ou celle qui s’y intéressera. Une sorte d’index chronologique visuel.

Ajoutons que ce livre, même s’il date des années 70 et s’inscrit dans le contexte particulier de cette époque, participe à son humble manière à ce que l’on appelle aujourd’hui une Histoire globale, à des récits historiques qui ne seraient pas occidentalo-centrés. Les liens du dictateur nazi avec les dirigeants japonais de l’époque, par exemple, n’auraient jamais eu ce détail relatif dans un ouvrage occidental équivalent.
Ce double recul, à la fois géographique et dans la perception du devenu symbolique, fait que ce livre interroge non seulement un personnage historique et l’image qu’il produit encore en occident, mais aussi les libertés du manga comme langage sachant paradoxalement s’abstraire des images en général.
Notons pour finir, que l’éditeur a accompagné cette œuvre d’une introduction expliquant sa genèse, sa situation dans le travail de l’auteur, et fournit un appareil de notes précisant les faits et personnages historique du récit. Un travail indispensable aujourd’hui, négligés par la majorité des éditeurs de bandes dessinées, et qui pourtant leur éviterait bien des ennuis.[3]

Notes

  1. Aspects que soulignent éditeur et traducteur dans l’introduction de l’ouvrage.
  2. Ce qui peut être fait avec liberté puisque p.67 l’image ressemble plus a une vue de Paris que d’une ville allemande. Autre exemple, l’image p.118 qui montre une ville aux voitures des années 50 pour suggérer une ville des années 20. Deux exemples qui témoignent moins d’imprécision que du rôle de ces images.
  3. Comme par exemple, Casterman avec Tintin au Congo (1931).
Site officiel de Mizuki Shigeru
Site officiel de Cornélius
Chroniqué par en décembre 2011