Kobane Calling

de

En Syrie, quand Daesh aura brûlé ses dernières cartouches, gageons que l’opération de nettoyage se poursuivra jusqu’à la mise au pas du Rojava, territoire kurde ayant adopté un mode de fonctionnement très particulier. On comprend aisément que les dirigeants autoritaires du coin, El Assad et Erdogan en tête, sans même parler de frontières ni d’autonomie, voient d’un très mauvais œil cette tentative d’organisation sociale cultivant la démocratie (directe) contre les diktats religieux et le patriarcat, mais le projet de confédéralisme démocratique n’est pas très raccord non plus avec les Grands Principes de nos démocraties (représentatives) d’occident qui préfèrent donc regarder ailleurs, le Gouvernement Régional du Kurdistan d’Irak s’étant montré contrairement au Rojava très accommodant avec les valeurs éthiques du néolibéralisme en général et de nos compagnies pétrolières en particulier.
Ainsi, sur la photo telle qu’on nous la présente dans la plupart des médias, on évitera de confondre le Peshmerga (Irak), la combattante du YPG (Syrie) et le militant du PKK (Turquie). Le premier est un gentil résistant, le dernier un méchant terroriste. Quant à celle du milieu, si émouvante et photogénique, on ne sait pas trop la qualifier, alors plaçons-la dans la rubrique « icônes ».

Il est question de tout cela dans l’ouvrage de Zerocalcare. Venu du punk, attaché à la cause kurde, l’auteur romain a poussé le bouchon jusqu’à se rendre sur place pour voir à quoi ressemble une utopie libertaire s’épanouissant tant bien que mal en temps de guerre.
Puissance de la bande dessinée qui permet de décrire avec force sans s’accrocher au réalisme. L’auteur peut décider de représenter la conscience de son quartier sous les traits d’un mammouth, un compagnon de voyage avec une tête de cervidé, des activistes dont il lui faut taire l’identité sous forme d’un morceau de fromage ou d’une olive sans que cela ne perturbe la lecture. Zerocalcare réussit là où beaucoup échouent, en éloignant le pathos et l’anecdotique. Tension et humour au plus proche du désastre, petits rappels géopolitiques à la clef, le strict nécessaire pour éclairer le voyage.
En confrontant constamment son statut d’occidental naïf vivant dans le confort et la sécurité à celui de gens qui luttent arme à la main au quotidien, il rapproche les lecteurs de son expérience personnelle parce que nous partageons un point de vue similaire : eurocentré, oscillant entre empathie et rejet, trouille et incompréhension, colère et mauvaise conscience. À cette différence que pour la plupart, nous resterons le cul sur notre canapé.

« De temps en temps j’oublie qu’avant de faire des hypothèses, je dois synchroniser mon cerveau avec les paramètres de cette partie du monde ». Dans le genre, rien lu d’aussi passionnant depuis Joe Sacco (beaucoup trop cité dès qu’il s’agit d’une immersion journalistique dans un territoire en guerre, mais pour une fois, cela a du sens).

[Texte initialement publié sur le site de l’excellente librairie Contrebandes, à Toulon]

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Chroniqué par en décembre 2016