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La Planète des Vülves

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Malgré son titre, La Planète des Vülves n’est pas qu’un simple récit science-fictionnel teinté d’érotisme. Intelligemment construite et d’une étonnante richesse, l’œuvre de Hugues Micol mélange tout à la fois grivoiserie, satire et humour. De fait, si cette bande dessinée s’adresse avant tout à un public adulte, ce n’est pas seulement en raison de son caractère sexuel. Les subtilités du scénario, les jeux sur le langage verbal ou encore le parti pris esthétique sont autant de critères qui tendent à privilégier, eux aussi, un certain type de lectorat.

L’intrigue, a priori, se veut plutôt simple et prête à sourire : depuis plusieurs années, le nombre d’enfants de sexe féminin n’a cessé de baisser, plongeant petit à petit la population masculine dans une frustration on ne peut plus naturelle. Pour tenter de mettre fin à cette pénurie de femmes, le colonel Vaugirard et son chef Gilbert Wang parcourent l’espace à la recherche d’une race extra-terrestre génétiquement compatible avec nous autres, pauvres terriens. Cette idée de départ, on le pressent dès les premières planches, permet non seulement à l’auteur de justifier sans difficulté l’appartenance de cet album à la collection « BD-cul » des Requins Marteaux, mais aussi de préparer le terrain à une histoire qui, tout en restant une fiction, se veut aussi un portrait au vitriol d’une certaine France.
En effet, Micol fustige, non sans humour, les principaux méfaits perpétrés par l’Hexagone au siècle dernier, au premier rang desquels le colonialisme et la collaboration gestapiste, et parvient sans mal à intégrer ces références historiques dans cet univers futuriste, influencé par les codes et les ficelles du space opera. On notera également des allusions à peine voilées à la société pompidolienne des années 70, et le panégyrique de la France que dresse le colonel Vaugirard, mais aussi le jusqu’au-boutisme des hommes d’état, prêts à déclarer une guerre atomique pour montrer que « la France a encore des couilles », imitent avec brio, en la ridiculisant, cette rhétorique passéiste volontiers propagandiste et belliciste.
Ainsi, outre ses qualités de dessinateur, sur lesquelles nous reviendrons plus tard, Micol exécute un vrai travail de dialoguiste, comme l’atteste par ailleurs les échanges verbaux entre le colonel Vaugirard et Chion chion, une villageoise vülvienne. L’écart entre le français exagérément policé du militaire et le parler populaire de l’autochtone, lui aussi caractéristique d’un argot aujourd’hui suranné, prouve l’attention toute particulière apportée à la composante textuelle. La confrontation de ces deux registres de langue, au-delà du comique qu’elle génère, acquiert une toute autre dimension lorsque ces deux personnages, «linguistiquement dissemblables», font l’amour en silence, dans des cases parfaitement muettes. Comme si l’acte sexuel, d’une façon spontanée et sans prévenir, abolissait pendant un temps les écarts sociaux dont les usages linguistiques sont le reflet.

Non seulement en proie à ses propres fautes, cette France d’hier doit aussi prendre sa place dans un monde gangréné par la concurrence des états, un patriotisme exacerbé et les basses manœuvres politiciennes. Sans surprise, la découverte d’une denrée rare et recherchée, à savoir la femme vülvienne, ne va pas tarder à briser une paix qui n’était qu’apparente, et à ranimer les tensions entre nations. Dans un tel contexte, le choix de la présidence française d’appuyer sur le bouton rouge, d’exploser littéralement ce monde sans repère, n’est pas sans rappeler la crainte du conflit nucléaire qui planait, durant les phases les plus tendues de la guerre froide, sur les populations civiles. D’une certaine manière, l’excursion sur La Planète des Vülves est donc moins l’occasion, pour nous autres lecteurs, de visiter de lointaines contrées extra-terrestres, que de prendre le recul suffisant pour observer ce globe bleu sur lequel nous nous agitons en vain, souvent au mépris des autres et de soi-même.

Notons enfin que l’érotisme qui traverse toute l’œuvre participe lui aussi, à l’instar du scénario, à un retour dans le passé. C’est effectivement avec une sorte de nostalgie que l’on découvre des scènes de sexe relativement soft, au diapason d’une pornographie aujourd’hui disparue, peu encline à verser dans le gonzo ou le « all-sex ». Dessinées pleine page et exposant chacune une position différente, le lecteur pourra voir dans ces représentations gauloises une référence éventuelle au Kamasutra, tout en admirant l’évidente dextérité avec laquelle Micol dessine le mouvement et l’entrelacement des corps.
Toujours sur le plan esthétique, il convient d’évoquer le soin graphique apporté à l’environnement vülvien, marqué par des montagnes qui prennent la forme d’énormes seins pointés vers le ciel, ou encore des immeubles aussi droits que des pénis en érection. Cette sexualisation de la nature et de la ville n’est certes pas nouvelle, mais a cependant le mérite de constituer des extravagances iconiques et figuratives en harmonie avec l’érotisme d’ensemble.
Enfin, les parodies de publicités, extérieures à l’intrigue elle-même, qui ouvrent et clôturent l’album en célébrant la virilité masculine, tout comme le petit format adopté par les Requins Marteaux, hommage direct aux éditions Elvifrance, complètent cet aspect vintage et old-school, tant entretenu par l’auteur.

Licencieux mais jamais vulgaire, moraliste mais pas moralisateur, nostalgique sans être réac, La Planète des Vülves est une œuvre plus complexe qu’elle n’y paraît, où la nostalgie, le rire et la critique acerbe se côtoient sans jamais se gêner, cohabitent pour former un objet éditorial total et d’une étrange cohérence.

Site officiel de Les Requins Marteaux
Chroniqué par en septembre 2012