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La putain P. jette le gant

de

Sur la couverture de ce livre illustré et ficelé par Anke Feuchtenberger, inspiré de récits de Katrin de Vries et publié par le FRMK, la Putain P. jette un regard de défiance à qui se rincera l’œil en la dépouillant, page après page, de ses attributs de séduction et de pouvoir…

Car qui sait, de cette expérience, de ce parcours, celui ou celle qui en sortira victorieux ? Car elle n’a rien à perdre et semble ne rien redouter ni personne, même au cœur de son retranchement le plus déterminé face à l’adversité ; femme en fuite de la ville et de son lot de civilités accablantes, refusant la soumission à tout mouvement collectif, et le moindre asservissement qui lèguerait son corps (et son âme) à d’autres volontés que les siennes.

La Putain P. est le battement, la pulsation qui mène d’un lieu à l’autre, d’une ville à l’autre, de territoires grondant d’activités humaines, aux lieux désertés par la cité. « La putain P. jette le gant », c’est un mouvement en deux temps, le mouvement qui fait qu’une femme quitte un lieu, une case, sans presque aucun bagage (une valise, un enfant..), pour un(e) autre, où elle n’est pas plus attendue. Personne ne l’attend, où qu’elle aille, mais elle surprend par sa détermination et son refus de toute concession. C’est donc un battement en deux temps, en deux cases par planche — tout comme le jazz primitif, qui permettait la parade et surtout une affirmation insoumise à toute ségrégation, à tout dictat social (l’usine, l’amour, la famille…) — scandé par des noirs et des blancs distincts, syncope et basculement d’un état de situation à un autre.

La Putain P. ne tolère qu’un seul interlocuteur à chaque instant, c’est le prix de cette liberté d’action guidée par sa volonté. Et les vignettes ne laissent à chaque fois, la place qu’à une seule figure, qui fait front au lecteur ou à la lectrice. Sur sa route solitaire, d’autres individus la croisent, guidés eux-mêmes par leur propre trajectoire, et ils cohabitent alors, pendant une ou plusieurs cases. Leur rencontre reste énigmatique mais vectrice de mouvement. La rencontre d’un partenaire — instrument de plaisir et de domination — peut se révéler dynamique, pour peu qu’il n’y ait pas d’attache, qu’un nouveau départ reste annoncé.

Le livre réunit trois épisodes où figure à chaque fois une Putain P. différente. La Putain P. c’est autant cette jeune femme qui manœuvre ses premiers leviers de séduction dans « Le Phare », cette femme mûre qui poursuit sa route vers les usines et la ville sans jamais y être assimilée dans « Cour du charbon », et également cette femme qui ne veut pas sacrifier sa féminité à sa condition sociale dans « Salle de Bal ». Mais ce dernier épisode marque une interruption dans cette évolution forgée d’indépendance tout en traduisant en même temps un regard plus contemplatif sur les événements, sur les personnes et les espaces… Dans ce dernier épisode du volume, la Putain P. s’invite à un bal dont elle s’avère être la seule convive, piégée par une rivale qui semble cette fois mieux tirer qu’elle les ficelles de son récit ; moment d’échec pour l’une et de commencement ou de poursuite pour l’autre.

Site officiel de FRMK
Chroniqué par en juin 2012