La Ronde

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Dix personnages, dix époques différentes, pour  dix maillons d’existences intriquées par le sort, dont les liaisons se matérialisent sous la forme d’un médaillon et de sa chaînette dorée. L’histoire de ce bijou ? Il fut offert, volé, perdu, donné quatre fois, vendu, légué puis laissé à celle qui n’en veut pas, ne s’y retrouvera pas et ne préfère plus le voir. La Ronde devient ainsi un cheminement de vigilance, scrutateur d’un siècle et d’une dizaine de ses âmes, autant qu’une danse de vies humaines égrenées dans le temps et l’espace sur une terre tout aussi circulaire.

Ce livre serait un album de portraits. Il constaterait qu’un portrait est celui d’une personne issue des temps qui la précèdent, et de l’époque où elle vit. Comme il s’agit de bande dessinée, il décèlerait la succession de cases comme un portrait éclaté s’irrigant de mémoire et un désir d’inscrire une époque dans le temps de lecture. C’est là une des beautés du livre, à laquelle se rajoute l’idée d’un objet qui résumerait une succession comme une course de relais sur cent années. Ni porteur de chance ou de malheur, l’objet est le porté de main en main, de cou en cou aussi bien comme une valeur, qu’un emblème ou qu’un joug. Le juger de tout pouvoir est irrationnel, témoigne de superstitions comme celles qui habitent les deux premiers personnages. Mais ceux-ci étant à l’origine du choix de l’objet, ils lui donnent par conséquent une valeur sentimentale et symbolique compréhensible, qu’il perdra petit à petit pour se réduire à celle d’échange.

Paradoxalement, si cette chaînette est simplement là dans la vie de celui qui la porte, pour le lecteur elle gagne en spiritualité à mesure qu’elle circule.[1] L’auteure laisse entendre qu’il s’agit d’un médaillon offert pour un baptême, cette cérémonie chrétienne de purification et de renaissance. A chaque échange, à chaque passage de témoin, c’est cette fonction d’une étape franchie qui s’affirme même si celle-ci a pu durer des décennies comme quelques mois.[2] Le bijou devient le fil lumineux de la vie qui se renouvelle et persiste dans l’échange.[3]

Notons pour finir que l’auteure porte une attention particulière à l’échange en général, et aux dialogues en particulier. Entre deux cases peut se glisser une troisième qui appuie le sens d’un mot, d’une phrase ou d’une partie de celle-ci par une image. Généralement sur fond noir, souvent de l’ordre du symbole, elle appuie le signifié par confirmation ou décalage, donne une force et une rythmicité par un surgissement affirmant la vigueur et les charnières de la pensée de l’émetteur.
Comme l’indique aussi son titre, le livre de Birgit Weyhe emprunte sa structure à la pièce homonyme d’Arthur Schnitzler. Elle y ajoute un siècle de recul où entre-temps la Terre est devenue un village et la bande dessinée une carmagnole d’images pensées faisant théâtre ou littérature. Ecriture ronde, lucidité faisant son tour, danses destinales, autant de cercles et/ou de cycles se superposant ou s’emboîtant pour mettre ultimement face à face et en questions, beaux mécanismes et machines infernales.

Notes

  1. Mot qui vient de cercle.
  2. C’est cette « lenteur » ou dilution qui la rend le plus souvent imperceptible aux personnages.
  3. Le fait que la Vierge Marie, « l’Isis chrétienne » pour certains, soit sur le médaillon en image et en mot (prénom au revers) va dans ce sens. Elle symboliserait la vie et ses mystères.
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Chroniqué par en octobre 2012