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Le Petit Christian t.2

de

Notes de (re)lecture

Ce que peut la bande dessinée

J’ai le souvenir d’un ouvrage sur la bande dessinée (peut-être  un ouvrage didactique de Patrick Duc, les secrets de la BD, ou quelque chose du même tonneau) dans lequel l’auteur s’émerveillait du potentiel du medium bande dessinée, grâce auquel on pouvait brûler Rome à chaque page sans frais. Il me semble toutefois que ce n’est pas l’atout le plus différenciant de la bande dessinée : dans un roman, une simple phrase de deux mots suffit («Rome brûle») ; et au cinéma, si on souhaite être économe de moyens (ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut), une fumée à l’horizon fait l’affaire. En matière de capacités propres à la bande dessinée, Blutch nous montre beaucoup et bien mieux dans Le petit Christian.

Ce que peut vraiment la bande dessinée

Dans une seule page du Petit Christian, contenant six dessins et soixante quatorze mots, nous voyons, lisons et comprenons beaucoup :

  • Nous apprenons ce qui arrive au petit Christian ou ce qu’il fait (il retrouve sa famille après un séjour chez Catie Borie où il a vécu une expérience érotique marquante)
  • Nous comprenons comment les événements suscités affectent l’enfant (transformé par son expérience, il se sent étranger à sa famille)
  • Nous voyons ce qui se passe dans sa tête et comment il utilise son imaginaire pour s’arranger avec ses affects (il se vit en Tintin, étranger aux populations noires du Congo)
  • Nous prenons la mesure du rapport entre les faits réels, et leur relation par un adulte devenu lui-même auteur de bande dessinée (les postures de cet enfant, si fier de son expérience sont tournées en dérision par l’adulte qu’il est devenu, le transfert sur le personnage de Tintin donne lieu à une citation des préjugés coloniaux qui semble être le fait d’un adulte…)

Bref, nous assimilons sans grande difficulté de compréhension et sans avoir l’impression de produire un effort intellectuel important, plusieurs niveaux de discours auto-référencés ainsi que leurs interactions. À titre d’exemple, et pour aller au plus simple, nous voyons un adulte auteur de bande dessinée pour adultes raconter comment, enfant, il s’imaginait en personnage de bande dessinée (pour enfants). Et en fond de tableau, bien sûr, figure l’éternelle question de la relation entre bande dessinée et enfance…
Ce tissage complexe est immédiat en bande dessinée. Il mêle plusieurs niveaux de réalité et d’imaginaire ainsi que plusieurs niveaux de narration et de discours sur la narration. Il est plus délicat de produire le même effet en littérature et au cinéma.

Ce que ne peuvent pas la littérature et le cinéma

Le cinéma semble, sinon inapte, du moins peu capable dans ce domaine. En créant en permanence un effet de réel, il tend à réaliser l’imaginaire. Même s’il est tout à fait possible d’y superposer plusieurs trames narratives, et même plusieurs points de vue, le cinéma paraît beaucoup moins propice à la coexistence de plusieurs niveaux d’imaginaire.
Le roman est certainement plus proche de la bande dessinée dans sa capacité à faire coexister une narration, un récit, avec les sensations et affects du narrateur, tout en faisant ressentir la présence d’un auteur (voir par exemple La recherche du temps perdu). Il me semble toutefois que la bande dessinée montre une efficacité plus grande par la facilité qu’elle offre pour présenter tous ces fils simultanément à la vue du lecteur.

Ce que peut Blutch

Bien entendu, il faut se rappeler que Blutch n’est pas le moindre des auteurs. Nombreux sont les auteurs qui se lancent dans l’autobiographie en exposant pèle-mêle des faits, leurs états d’âme, leur point de vue rétrospectif… de façon illisible. Peu réussissent à le faire de façon aussi claire et organisée, et en dégageant une telle évidence de lecture.

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Chroniqué par en janvier 2014

→ Aussi chroniqué par Jessie Bi en novembre 2008 lire sa chronique