du9 in english

Le Petit Christian t.2

de

Deuxième Petit Christian. Depuis le premier, quelques années bien sûr, mais surtout deux couleurs en couverture pour une même tête en apparence. Orange pour le volume initial, bleu dans le second, dans une relation complémentaire colorée qui pour le moins va de soi, et où se détache dans les deux cas, ce même visage blanc sans cou ni corps. Mais la nuance expressive est là, qui ne tient pas que d’une couleur chaude à celle froide. Sur le volume un, Christian regarde vers la droite, vers l’avenir, là où la couverture doit être tournée pour lire les pages qu’elle recèle, les sourcils en «v», affirmant sa vision d’un monde qui se feuillette. Dans le volume d’aujourd’hui, sourcils horizontaux, bouche de même, inquiétude diffuse, blues ( ?) et regard vers la gauche, le passé, qui au-delà de la reliure ramène déjà à la fin du volume et son quatrième de couverture définitif. Se comprenant dans une boucle qui se fermera même s’il regarde vers la droite, ce second Petit Christian raccourcit le temps, l’éternité de l’enfance (ce livre aux pages paraissant innombrables) a pris fin.

Une perte d’innocence ? Oui, dans la mesure où le corps doré prépubère d’une Catie Borie sortant de la mer comme une Venus, prime maintenant sur les histoires par les jouets, par les livres et les films vus à la télé. Il y avait les filles dont il riait, il y a Catie Borie dont il s’enchante. La beauté est là, en vrai, elle l’incarne dans ce qu’il en comprend, avec ses promesses informulées. On ne fait plus semblant. On fait désormais, on doit faire, même si le fait que l’on commence à zéro retire toute assurance, maintient dans une forme d’innocence détestable, loque d’une vieille mue s’accrochant comme un sparadrap au capitaine Haddock, alors que l’on se soucie tellement de ces apparences nouvelles.

Celles-ci justement sont vues par les autres qui nous jugent d’après elles plus qu’à tout âge. Le (un peu moins) petit Christian est donc sur ce bleu, mieux coiffé, peigné pour soutenir le jugement féminin et affirmer cette identité qui lui paraît évidente.
Evidente ? Oui, parce qu’il se sait lui. Non, parce qu’il se cherche, se construit une image en fonction de schèmes filmiques et musicaux les plus populaires. Prendre un peu de leur gloire pour la faire sienne, la montrer comme telle, affirmer «être de mon temps» en insistant sur le possessif.

Tout cela est minable ? Oui, tant qu’on le vit en n’osant se l’avouer, que l’on ne sait pas en rire plus tard et surtout si cela excède ces âges dit bêtes, commençant en sixième. Mais rassurez-vous, en ces pages demeure l’humour sur une époque excusable. Le pitoyable n’y a pas sa place, au contraire. Blutch n’est pas qu’un dessinateur virtuose, il sait dire ce que d’autres cacheraient, il sait se raconter dans les moments indicibles aux autres qui font pourtant bascule pour tous, pour faire émerger in fine, de cet humour ravageur bichromique, les inquiétudes, frustrations et angoisses informulées d’un moment de vie auquel personne n’échappe et que l’on a tous quitté comme on pouvait. Ce petit Christian est donc plus grand de cette nuance, de ce début de la fin qu’il faut accepter.

A quoi tenait la beauté de Catie Borie ? A cette absence de sexe peut-être, que le blanc de la marque du bronzage rend invisible par soudaine surexposition. C’est rassurant, ce n’est donc que ça. Une absence. Tout est normal en fin de compte, tout a changé mais la possibilité de l’imaginaire est là intacte. Que Christian, plus grand, n’apprécie plus une Catie Borie post poussée hormonale s’explique, car ce qu’il y avait en elle de rassurant n’est plus là. Absence absente égale présence en quelque sorte. Elle a des seins sous ce tee-shirt et donc un sexe au diapason. Physiquement, elle lui dit qu’il n’est plus un enfant, mais avec — Horreur ! — la quasi même coup de cheveux que sa mère. «Rhaaaah écrase !» dit-il à cette dernière. Désormais le mal est fait. Christian est loin des héros de son enfance, un peu plus proche de l’adultat parental. Plonger dans ces vestiges de l’enfance que sont les Mickeys Parade console un peu, on comprendra. Mais au fait ils sont faits par des adultes… Eh ! Mais ils disent des choses que l’on n’avait pas comprises… C’est dingue !
Christian deviendra-t-il Blutch grâce à cette prise de conscience ? Nous le saurons peut-être un jour dans une suite restant peu probable qui ne s’appellera plus Le petit Christian.[1]

Notes

  1. Et encore moins Blotch.
Site officiel de L'Association
Chroniqué par en novembre 2008

→ Aussi chroniqué par Pilau Daures en janvier 2014 lire sa chronique