Police lunaire

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La conquête spatiale poursuit une vieille histoire du monde occidentale où l’on découvrait un nouveau continent, où l’on en repoussait les frontières jusqu’à l’océan. Ce conservatisme conjugue un passé historique au futur, sous-évalue grandement les difficultés extrêmes à vivre ailleurs que sur Terre, tout en oblitérant l’aspect militaro-politique où les premiers pas sur un astre sont moins ceux de l’humanité, que d’un militaire posant sa bannière sur un sommet pour borner un territoire. Derrière l’exploit à court terme, l’exploitable espéré à long terme.

Tom Gauld pousse jusqu’à l’absurde cette vison conservatrice faite de mondes interchangeables, où l’on reproduirait sur la Lune le même mode de vie qu’au fin fond de l’Amérique. Au clair de Terre, la petite bourgade est l’exact équivalent de celles américaines. Province sélène, elle connait comme ses sœurs le manque de perspectives économiques et un exode de ses populations vers des régions ou centres urbains plus dynamiques, tous terrestres…

Le titre anglais (« Mooncop ») insiste d’avantage sur l’idée de policier que de police. Ce métier est peut-être un de ceux où le décalage est le plus fort entre un idéal et un quotidien, entre celui héroïque de maintenir l’ordre et de servir la justice, et la confrontation routinière à un banal plus ou moins sordide, plus ou moins absurde. Ici, le flic est littéralement lunaire par la découverte progressive de cet écart aussi grand que celui entre la Terre et la Lune. L’auteur amène sur cette dernière ce qui sur la première en fait un symbole de mélancolie.

L’avantage de vivre sur ce satellite devenu très terre à terre, est qu’il n’y a plus de pleine lune dans le ciel. Les excès qu’elle provoque n’ont plus lieu. Il reste uniquement la place aux sentiments contradictoires dans une nuit étoilée éternelle et le constat des distances qu’il faut franchir. Celles-ci sont aussi bien celles devenues tangibles par éloignements ou départs, que dues aux  techniques mettant la vie sous cloche comme des bibelots de grand-mères protégés de la poussière, entre dômes, scaphandres et machines.
Optimiste, l’auteur se rappelle aussi que la clarté atténuée de l’astre le plus proche, peut créer une lumière propice au rapprochement sentimental, à la confession amoureuse. Sur Terre, cet éclairement solaire indirect fait de la Lune un miroir, et métaphoriquement un reflet lointain de notre planète

Le livre de Tom Gauld ne serait  pas le constat d’un rêve brisé ou impossible. Il en interrogerait plutôt, avec la légèreté d’une gravité atténuée, les arcanes, l’illogisme, la pusillanimité conceptuelle cachant une peur non dite des véritables changements. Il suggérerait enfin que de la Lune, la vision de la Terre est une scène de théâtre improvisé à moitié éclairées, avec nous tous comme acteurs, mais n’ayant aucun spectateur.

Chroniqué par en novembre 2016