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Terre de Feu t.1 : L’archer rouge

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Voici l’Ouest au Sud, d’un continent américain où le garçon vacher a su devenir ce héros archétypique, qui, du cow-boy au gaucho, offrirait la synthèse réussie de l’idéal pastoral avec celui de la chevalerie.

Contrairement au vieux continent sous le joug anthropique depuis le néolithique, faire paître l’animal domestiqué en Amérique, c’est civiliser cette nature qui comme l’animal sauvage est qualifiée d’indomptée, donc possiblement domptable. Quoi de plus logique et héroïque alors, que celui qui a domestiqué pour la domestiquer.[1] Mais ce continent offre cette triple étrangeté :
1 – Il boucle la terre, il est l’ultime frontière, après lui plus de terres nouvelles ;
2 – Certains hommes y vivent depuis longtemps, avec la nature et non contre elle, et ce de façon exemplaire ;
3 – Le garçon vacher y affronte sa propre nature, celle de garçon boucher, car élever c’est tuer, c’est manger ce bovidé qui mange cette terre sauvage voulant le rester.

Entre Ranger et Desesperado, deux destins du garçon vacher, mais aussi deux langues, dont l’une ne dirait que le verre à moitié plein, l’autre que celui à moitié vide. Aller au Nord quand on parle espagnol, ou aller au Sud quand on parle anglais, serait dans les deux cas découvrir une part informulée. Sachant que pour le yankee, au-delà du Rio grande, ce serait franchir une limite vers un vide, une impasse à l’échelle de la planète, vers une terre de glace qualifiée de feu, de celui des naufrageurs si les navigateurs la baptisant ainsi y avaient connu des ports et des villes.

Dans cet ultime archipel, tout est morcelé, tout se morcelle, des icebergs aux certitudes humaines. La terre ne sert plus à élever, on oublie la domestication, on n’en conserve que la sauvagerie de l’abatage méthodique et/ou préventif. Les gauchos de Lord Hexam ne gardent rien d’autre qu’une terre vide mais qu’ils veulent posséder, tenir pour un potentiel sombre, informulable et inconscient. Les indiens patagons n’y sont pas, n’ont pas à y être, on les massacre.

De ce conflit de western manichéen au cœur du récit, David B. en importe graduellement l’inversion de polarité[2] pour la diluer dans les comportements, dans la narration, et l’étendre à celle planétaire d’un autre hémisphère.[3] Les personnages cherchent tous à rétablir l’équilibre de ce magnétisme terrestre, de cet aimant [4] naturel, en éliminant la répulsion (détruire), en mettant tout en place pour l’attirance (construire). D’où l’attirail occulte et spirite qui est installé pour rétablir l’équilibre à l’échelle planétaire, d’où ce jeu des doubles,[5] de la double histoire,[6] de faire la nuit un jour,[7] de prendre après avoir donné, etc.

Ajoutons que la Terre de Feu est pour une grand part en Argentine, que l’on y parle la langue de Jorge Luis Borges, et qu’en montrer l’obscurité lumineuse extrême par des lavis en noir en blanc contrastés, c’est penser comme Alberto Breccia. Les auteurs n’ont pas oublié, savent nous le susurrer.
Si cet album a un défaut c’est celui d’être un premier tome et de la mise en place rituelle qu’il implique. A contrario, s’il a une qualité tout de suite évidente, c’est celle graphique d’un Micol inspiré et nuancé. La suite sera donc décisive.

Notes

  1. D’autant qu’il est à cheval.
  2. Les indiens sont les bons, les garçons vachers les méchants.
  3. Un Ouest désert chaud et solaire, un Sud désert froid et lunaire.
  4. Homophonie aussi d’un participe présent.
  5. Lord Hexam, les frères Lowatt, l’archer rouge et son dieu Huecuevu, etc.
  6. Hop Frog au Nord mais aussi les récits de Lowatt, les mythes des indiens Yaghans, etc.
  7. Les tueurs chiliens de Lord Hexam s’appellent les noctambules.
Chroniqué par en mai 2008