Tonic

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La relation bande dessinée et jeux vidéo a toujours été assez simple. Chacun dans son pré carré s’empare à l’occasion des personnages ou univers de l’autre pour les adapter et les décliner à sa manière. A de très rares exceptions, cela donne (pour ce qui est de la bande dessinée) des albums qui ne satisfont que quelques fans ou collectionneurs.

Tonic inaugure à ma connaissance une autre possibilité, peut-être plus à sens unique cette fois, où la neuvième chose se confronte aux particularités intrinsèques d’un type de jeux vidéo, ici ceux dits de «plates-formes». Les auteurs en reprennent les caractéristiques de navigation, les décors et épreuves qu’ils impliquent. L’histoire se résume à un déplacement de personnage, celui de Tonic qui à une lettre près aurait pu être un hérisson bleu. On le suit dans ses épreuves émaillant sa poursuite de La Fille, son but à atteindre.

Comme en écho au fait qu’il serait un avatar ailleurs que dans une bande dessinée, il est accompagné de Fail, celui qui échoue et aide le gagnant, véritable métaphore du joueur multipliant les heures d’efforts pour faire arriver son personnage. Le fait que le but soit La Fille renverrait à la fois au cliché du joueur maniant son bâton de joie pour limiter ou pallier à ses frustrations indirectement libidineuses[1] ; mais aussi qu’à la manière des contes il s’agit de sortir vainqueur d’épreuves pour se marier, vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants.

La tonicité du livre serait alors qu’il n’y a pas besoin d’une histoire pour faire un livre, mais une succession d’épreuves dont l’accumulation retarderait une fin où l’imprévisibilité est avant tout de nature formelle et stylistique. Comme ailleurs il faudra grimper, aller au plus haut niveau, où le trac peut être le pire ennemi des joueurs/lecteurs novices ou bien de personnages trop chaperonnés. Une ultime situation qui pourrait être comme une sorte de morale.

Lefèvre et Piningre habillent leur récit d’une esthétique graphique très années 80[2], renforçant l’ancrage de leur livre vers un type de jeu vidéo directement né dans cette période. Tonic n’est pas pour autant une œuvre uniquement tissée d’allusions nostalgiques. Les auteurs interrogent au contraire cet aspect auquel sont souvent accolés les deux médias qu’ils confrontent. Leur travail est avant tout une ouverture, une exploration, un moyen de percevoir autrement la tabularité de la planche de bande dessinée par exemple, de s’emparer d’un imaginaire, de le mesurer (ou « démesurer ») à d’autres enjeux de nature poétique ou narrative. Par là, le titre du personnage désignerait in fine moins un personnage que le résultat d’une attitude ludique et créative.

Notes

  1. Ce qui pourrait se résumer vulgairement par un «Si t’es tonique, tu niques.»
  2. Qui peut  évoquer à certains le travail de Pierre Clément et sa fameuse publicité Reynolds de 1985.
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Chroniqué par en février 2015