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Tout le monde s’en va

de

Eva Lindström poserait avec subtilité une question qui ne se verbalise et ne se dit qu’à l’aube de l’enfance, la parole à peine acquise : « Tu veux être mon ami(e) ? ». Plus l’enfant grandit, plus les codes sociaux s’imposent à lui, plus la question devient informulable, impose un « comment leur/lui exprimer » difficile et douloureux où le non-dit est la règle, ne réservant la possible déclaration qu’au sentiment roi de l’amour. L’amitié n’aurait pas l’évidence aveugle de ce dernier, encore moins son exceptionnalité, trop située dans un incertain plus terre à terre, entre désir et intérêt qu’aiguillerait un sentiment fait de dénominateurs communs vertueux.

Frank rentre chez lui seul, tandis qu’il voit un trio d’enfants du même âge s’amuser. Il les envie, aimerait être avec eux, eux qui le voient aussi. Tout le travail d’Eva Lindström sera de jouer de cette incertitude d’une amitié possible, naissante ou bien illusoire. Elle en cultive l’atmosphère par des indices, des traces, des échanges de regards. Tous sont en coin, que ce soit des yeux ou des doubles pages. A la manière de la peinture chinoise montrant le vide, l’auteure nous dévoile cette distance qu’il y a entre ces êtres et dit la difficulté extrême qu’il y a à la franchir, à vouloir la limiter le plus possible par la proximité et les gestes partagés.

La perfection du livre est que ce jeu elliptique, déductif, dans l’incertain des lumières crépusculaire nordiques donnant relief aux détails, invite justement à verbaliser comme à l’aube de l’enfance, avec cette nuance que désormais tout est langage, que faire c’est dire. Cuisiner ses larmes et les offrir au/à goûter deviennent les prémisses d’une grammaire mélancolique qui fait le sel de la vie. Tout le monde s’en va, oui, mais dans la même direction.

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Chroniqué par en septembre 2016