Vagues à l’âme

de

Il suffit d’un détail. De quelques gouttes d’eau sur une vieille toile cirée, d’une chanson d’avant-guerre entendue à la radio, ou encore, du regard de ma grand-mère, pour me souvenir. Et je repars à la découverte. Mon esprit vagabonde en Afrique du Nord, en mer Rouge, en Asie du Sud-est à la poursuite d’une vie. Celle de mon grand-père. Je l’entends encore me raconter son histoire. Je sens encore l’odeur du poisson et l’air salin de la méditerranée. Le soleil éclaircit mes yeux et tanne ma peau. Je suis avec lui dans les bars de Djibouti et dans les rizières d’Indochine. Je bourlingue avec lui et ses potes pour faire les 400 coups. Capable de mille audaces, ma vie se remplit de couleurs et porte un parfum que je ne connais pas. Et je sais enfin ! Je partage ses pensées, ses peines et ses joies. L’espace de quelques instants, j’ai brisé la barrière du temps. Je connais mon grand-père.
Mais le temps glisse, insaisissable, comme quelques gouttes d’eau sur cette fameuse toile cirée. L’horloge, dieu sinistre, effrayant, impassible, est capable de briser le plus fort des hommes. Alors, après ce terrible instant, il ne nous reste que nos souvenirs.

Pour ne pas oublier et certainement pour rendre hommage à son grand-père, Grégory Mardon a écrit et dessiné ce merveilleux ouvrage. Il nous y livre l’histoire romancée de la vie de son aïeul, telle qu’il a pu la reconstituer. Qu’importe si tout n’est pas exact, qu’importe si des évènements ont été déformés, l’essentiel est là. Une histoire touchante, qui plonge le lecteur dans ses propres souvenirs à la poursuite de ses propres attaches.

Car c’est bien là le pari réussi de Grégory Mardon. D’avoir su restituer avec justesse et sensibilité le portrait d’un homme que l’on aurait voulu connaître. D’avoir su décrypter des fragments de vie, de souvenirs, pour reconstituer ce qui a dû être une belle aventure, et cependant une vie comme tant d’autres.
C’est aussi d’avoir trouvé un trait élégant, vif et dynamique, capable de se métamorphoser, de s’adoucir au gré des pages, pour souligner un état, un décor ou une pensée. C’est enfin, une mise en page riche et audacieuse qui mériterait un grand format. Espérons que ce premier ouvrage plus que prometteur, donnera sa chance à ce jeune auteur.

Chroniqué par en janvier 2001