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La Voiture Symétrique

de

Parlons voiture. Non pas de cet objet pathétique servant à projeter ses peurs/rêves formatés et/ou conditions sociales, mais de celui permettant d’aller d’un point A à un point B dans des conditions raisonnables de confort et de rapidité, et où, surtout, l’effort se réduit à l’attention portée à la route choisie et à maintenir sa conduite.
Et que constatons-nous ? Que la récompense sera d’arriver sain(t) et sauf et que la voiture n’est pas symétrique, car même face à elle, il y a toujours un volant sur l’un des cotés, jamais au milieu.
Bien sûr, symétrie peut être synonyme d’harmonie[1] et certains pourront la voir où ils veulent. Mais ici, il ne s’agit pas de ça, surtout pas de cette esthétique d’esthéticienne (tunning), mais de ce voyage se pratiquant à «vive allure» en cet objet gris le plus souvent, abîmant l’air et réchauffant la terre par son usage immodéré faisant oublier son utilité relative à courte distance.
Si le titre prétend à ce que nous ne constatons pas, c’est que l’axe est ailleurs, voire d’une autre nature.

Nous sommes en montagne, entre le niveau zéro de la mer (départ) et celui d’un sommet (arrivée), ce plus haut point que puisse offrir la terre, où se trouve condensée la possibilité d’être à la fois ultimement entre soi et le ciel, mais aussi entre soi et la distance parcourue. Ensuite, soit on y reste, soit on redescend, dans le rebours ou le déjà-vu si à l’envers le chemin est le même, si l’existence est une courbe gaussienne.
Mais encore faut-il l’atteindre. Pour l’instant la voiture grimpe, nous sommes sur cette «route sinueuse» comme une ligne de vie, à «vive allure» répétons-le.

Le décor étant posé, cherchons cet axe de symétrie que nous ne savons voir.
Objet. Moyen de transport. Cette définition de la voiture répond aussi à celui du livre[2] qui, ici, est bien formellement symétrique de deux fois douze pages sans compter la couverture. Ce livre a un milieu qui correspond exactement au cahier qui le compose. L’axe est là, accentué et relié par deux agrafes métalliques.

L’histoire est-elle formellement symétrique par cet axe ?
Non, car les pages de ce livre ne sont pas comme les ailes d’un papillon, elles ne se juxtaposent pas parfaitement en leurs motifs, une bande dessinée ayant des impératifs (narratifs, de fabrication, page de titre, couverture, etc.) qui lui sont propres.
Oui, car c’est précisément à cette page treize que pour la première fois le personnage n’est plus vu de dos mais de face, marquant ainsi un glissement qui trouve son évidence en comparant le début et la fin du récit (pas du livre) : il débutait par «une voiture» (p.2), il se termine par «ma voiture» (p.24) ; il commençait par une vue de haut montrant l’ascension de la voiture (p.3), il se termine par une contre-plongée montrant la descente[3] de la voiture (4ième de couverture) ; etc.

Une symétrie plus spéculaire que spectaculaire, se jouant de la métaphore du reflet et de son inversion qui se trouverait multipliée à l’infini si chaque page se faisant face était un miroir. Mais nous sommes dans les limites d’un livre et chaque page a ici, en plus, soit ses mots, soit ses images.
M. A. Mathieu se contente plus logiquement, dans une virtuosité sereine, d’alterner un «devant»-«arrière» dans la rapidité d’une page tourné. Une voiture arrive devant, la page suivante c’est son arrière, la page suivante c’était en fait son devant, etc. Au milieu du livre, le «devant»-«arrière» se double, puis redouble d’une image montrant l’inverse. Nous sommes devant le chauffeur (en face) et il regarde derrière ; nous sommes derrière le chauffeur et ce que nous voyons est l’inverse du devant (rétroviseur), etc. L’auteur, par sagesse peut-être, fait alors retourner son personnage qui constate symboliquement l’illisibilité d’une telle mise en abîme/démarche, en constatant ce noir, «peut-être l’absolu», où la lisibilité du trait, à vouloir tout cerner, se terminerait dans la monochromie de l’encre.
L’espace des images ayant trouvé ses limites, c’est aux mots que l’inversion se porte ensuite, pour terminer, freiner cette histoire. La voiture recule à toute allure, il faut donc accélérer pour l’arrêter.

Comment descendre de ce moyen de transport ? En ouvrant la portière. La vélocité rappellera alors sa logique propre et se portera au corps sorti pour le précipiter en un spin axial centripète de bande dessinée («comme Tintin dans L’affaire Tournesol»), dans ce qui n’est pas un abîme mais un fond de vallon. Roulé, roulante, la possibilité du mauvais rêve comme de l’éternel recommencement s’offre alors comme vrai abîme.
A l’échelle particulaire, et par cette dé-union ultime des forces, cette voiture apparaît donc comme supersymétrique, ce qui à l’échelle humaine et à celui de la bande dessinée ne pouvait que disqualifier le préfixe «super», car il n’y a heureusement pas de super-héroïsme ici. Par la force d’autres choses donc, la voiture est bel et bien absolument symétrique.

Notes

  1. Etymologiquement «juste proportion», source le Grand Bob.
  2. Le transport se faisant alors dans/vers des géographies imaginaires.
  3. Qui peut être aussi une ascension si on n’a pas lu le livre et/ou cette chronique. Reste, ami lecteur, lectrice mon amour que tu n’es surtout pas obligé de me croire.
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Chroniqué par en juin 2007