Voyeur

de

Cette manga n’est pas ce que semble annoncer son titre. Son auteur, Yamamoto Hideo, y transforme l’acte de voyeurisme en clairvoyance et dénonce ce qui n’aurait pu paraître qu’une apologie enfonçant davantage, dans l’esprit du quidam, la manga dans son ghetto.

Le personnage principal, Ko Higaonna a soudain le don de double vue grâce à des lunettes infrarouges. Il voit dorénavant dans la nuit du mensonge, ceux des sentiments trompés par l’arrivisme et d’une solitude aveuglée par un sentimentalisme au romantisme publicitaire et de supermarchés.
Ce mystère révélé aura lieu sur un parking alors qu’il flirte avec sa petite amie (qui ne l’est pas complètement) Il surprendra son futur «co-voyeur» sur le fait, tout affublé de ces fameuses lunettes et d’un micro-canon (pour écouter précisément). Au lieu de fuir devant Ko et d’être gêné, celui-ci lui tend, imperturbablement, les lunettes en lui expliquant que c’est celui qui se ment à lui-même et cache ses sentiments qui est le vrai pervers et le pitoyable voyeur. La quête de cet inconnu n’est donc pas libidineuse mais plutôt une lutte contre le mensonge, une volonté de savoir si l’amour existe et pas seulement en acte reïfiable.
Cet initiateur dans la quête de la vérité, est indéterminé à la fois par son absence de nom (juste un prénom Katsuro) et son apparence androgyne. Il a les yeux vairons pour mieux montrer cette double vue. Un œil sur l’interne (donc sombre) un autre sur l’externe (clair c’est-à-dire renvoyant et projetant la lumière).
Croyant à l’existence des émotions que comme simple déguisement, il est glacial et semble sans affect. Mais quand il découvre la vérité (de ce qui était gardé secret) il atteint un état halluciné, une révélation quasi mystique dont témoigne et/ou accentue (suivant en cela les codes de la manga) une épistaxis systématique.
Avant cette rencontre, Ko Higaonna était un voyeur dans le sens où il se cachait derrière un masque de sourires et de hochements de tête. Comme un voyeur il se cachait pour ne pas être (réellement) vu, pour ne pas révéler la nature de ses émotions, en ayant honte, peur, etc.

Portrait d’une génération et d’un Japon pouvant parfois évoquer Asatte dance dans son décryptage (cru) des sentiments. Yamamoto Hideo reste néanmoins dans un registre plus traditionnel à la manga, en particulier dans les grandes structures scénaristiques (héros, série, histoire courte…) plus particulièrement accentuées dans la deuxième partie intitulée Voyeur Inc.

Le dessin semble un croisement réussi entre le Otomo de Domu et le Taniguchi de L’homme qui marche. Voyeur est paru pour la première fois dans le magazine Shônen Sunday entre 1992 et 1993, et fût suivi par Voyeur Inc qui transformera jusqu’en 1995, la rencontre des deux personnages principaux en binôme de choc hautement équipé (high-tech), traquant les voyeurs dans leur définition la plus courante (pervers, fétichistes, stalker, etc…) et non mutuellement consentie.
Les liens émotionnels invisibles étant pollués (nuitamment) par les ondes des voyeurs enfermés dans leurs coquilles d’objets électroniques (multimédias), la Voyeur Inc se charge de les traquer à leur (et par leur) source. Le voyeurisme dénoncé par des voyeurs voyant le mensonge (la vérité cachée ou qui se cache).
Pour ces (en)quêtes de vérité(s), Yamamoto Hideo transforme véritablement la notion de voyeurisme en démarche philosophique[1] . Le tout par de l’action, un peu d’humour ; l’auteur malicieusement ambigu, tient parfaitement son sujet, surprenant dans son détournement astucieux d’un mot et d’un thème.

Notes

  1. Cela change de l’inverse, comme de péripatéticien à péripatéticienne par exemple…
Chroniqué par en mars 2001