Wizz et Buzz

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Huitième volume publié dans la collection que Lewis Trondheim dirige depuis l’an dernier chez Delcourt, Wizz et Buzz appartient au genre des faux albums pour enfants. Un genre qui connaît déjà de nombreuses espèces chez Delcourt, où sous le label de «livre pour enfants» sont publiés des livres dont il est évident au premier coup d’œil qu’ils cherchent à séduire, en réalité, l’enfant et ses parents, ou l’enfant et ses grands aînés, ou l’enfant et sa tatie-poilue-qui-ne-sait-pas-quoi-choisir-pour-Noël, etc.
Rien de scandaleux, une fois mis de côté le problème général de la surproduction de livres : après tout, pourquoi ne pas décloisonner les segments de marché, à une époque où les éditeurs (de livres en général) ont tendance à ne plus raisonner qu’à l’échelle de microscopiques niches économiques ?

D’ailleurs, en matière de décloisonnement du marché, Winshluss et Cizo ont des arguments : ce sont les grands spécialistes du détournement de style, du mélange de genres, et du pastiche détraqué. De la signalisation routière au cinéma expressionniste en passant par la Semaine de Suzette et le pulp gore de série Z, tous les formats narratifs et graphiques sont un jour ou l’autre passés à la moulinette de leur machine à démystifier.[1]
On retrouve donc très logiquement ces techniques dans Wizz et Buzz. Winshluss et Cizo partent du schéma ultra-classique de la paire de copains débiles accumulant les gaffes et les énormités (formule déjà testée, dans le même genre d’esprit et chez le même éditeur, par Tronchet et Gelli avec Patacrêpe et Couillalère).
Ils le traitent en une série d’histoires courtes (une ou deux planches), rythmées, rapides, où l’on retrouve les traits habituels de leur noirceur graphique : d’une part, un arrière-fond walt-disneyien, avec des couleurs franches, des faciès néoténiques[2] aux traits hypertrophiés, des campagnes souriantes et des accessoires tout ronds ; d’autre part, le détournement constant de cette mise en place par des yeux vitreux, des visages brusquement déformés par la colère, la haine ou le dégoût, de la morve, des crachats, des rots herculéens, des massacres sanguinolents…
Ces façons de dessiner, délibérément «bad taste», sont strictement parallèle à la construction narrative : à partir d’une scène familière et accueillante, qui repose sur la convention Bisounours / Winnie the Pooh, ça part en vrille : le poisson tropical finit au micro-ondes, Cendrillon part en taule, le jeu vidéo décapite vraiment le joueur.

Il faut reconnaître que ça marche : sur ces formats courts, la mise en place est très brève, les étapes tranchées et rythmées, et l’effet de suprise de la déformation graphique ou du retournement narratif est maximal. Les pastiches de films de vampires en noir et blanc, les fausses cartes à jouer façon cradocks à la fin, les dessins monstrueux alors que c’est censé être pour les enfants, tout ça est fait de ruptures et de contrastes constants, et rapides.
Résultat : oui, c’est marrant. Et en même temps, il a quand même fallu lisser un peu le propos, pastelliser le cynisme et le goût du gore, typer les personnages, simplifier la narration. On ne retrouve pas la pleine férocité, le jeu des références, le génie des images glauques qui rendent inimitables Pat Boon (L’Association) ou Super Negra (Les Requins Marteaux).
Wizz et Buzz sont rigolos et parfois féroces, et ils manifestent les qualités de leurs auteurs, mais ils semblent, une fois le livre refermé, éminemment imitables.

Notes

  1. Allez donc voir la chronique par Xav de Smart Monkey de Winshluss, ou l’entretien avec Cizo qui date déjà de 1998, mon dieu comme ça file.
  2. J’apprends en lisant Loleck : la néoténie désigne en biologie, depuis la fin du XIXe, la conservation chez un adulte de caractères morphologiques liés à l’enfance ; par analogie, on utilise le terme pour nommer la manière dont les personnages de Walt Disney conservent tendanciellement des traits enfantins (proportion et localisation des yeux et de la bouche dans le visage) ainsi qu’un rapport de la masse de la tête (et souvent aussi des mains) à la masse du corps qui est aussi immature. De rien.
Site officiel de Delcourt (Shampooing)
Chroniqué par en octobre 2006