Anthologique, ou le musée de papier

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Les anthologies de bande dessinée se font de plus en plus présentes dans les librairies. Plusieurs ont été publiées récemment chez Urban Comics par exemple, consacrées à l’histoire de DC ou bien à un des personnages emblématiques de cet éditeur (Batman, Superman). L’année dernière, Beaux Art Magazine a publié une Anthologie de la Bande Dessinée érotique qui a connu un certain succès. D’autres éditeurs ont fait des anthologies plus ou moins présentées comme telles d’auteurs maison,[1] ou de récits courts initialement publiés dans des revues[2].

L’anthologie présente le meilleur, la fleur (son étymologie), l’essentiel d’un moyen d’expression, d’un genre ou d’un auteur qui aurait été rendu inaccessible soit par le temps, soit par une distance[3].
Dans le premier cas il s’agirait de faire resurgir ce qui a disparu, a été oublié et n’est plus visible depuis longtemps pour diverses raisons. Cela irait d’une nostalgie liée à l’enfance[4], à une volonté de mettre au jour un corpus dont il s’agirait d’afficher l’actualité. Les idées de mémoire, de conservation, voire d’étude et d’analyse s’accoleraient à cette catégorie.
Le second cas, celui de la distance, pourrait être pris au sens large. A la fois comme distance géographique et/ou linguistique[5], ou bien comme écart lié à une méconnaissance due aussi bien à un manque ou à une perte d’intérêt qu’à un défaut d’information. Cette fois ce seraient les idées d’exploration, d’exposition et d’explications qui s’y grefferaient.
Notons que ces deux cas envisagés peuvent être plus ou moins accentués par les particularités éditoriales initiales (œuvres publiées dans la presse, ouvrages à tirage confidentiel, «fanzinat», etc.).

Ainsi circonscrites, les notions ou idées qui s’accoleraient à l’’anthologie semblent semblables à celle d’un musée, où l’on conserve, étudie, analyse, découvre, expose, tout en faisant œuvre d’explication voire de pédagogie.
Ces caractéristiques résonnent particulièrement avec la singularité de la neuvième chose. On le sait, son hybridité texte/image fait que pour certains elle est d’abord un fait littéraire, pour d’autres avant tout un fait plastique. Pour sa consécration officielle, la question s’était alors posée : fallait-il la mettre dans l’écrin d’une bibliothèque ou celui d’un musée ?
Si aujourd’hui, en France, on parle de «cité de la bande dessinée» (l’idée d’une quasi-ville avec son musée et sa bibliothèque) cela montre que l’on a choisi les deux. Au musée la partie émergée de cet iceberg, ce qui fait l’image de la bande dessinée, ce qui est à voir et qui s’expose ; à la bibliothèque le reste, l’immergée, ce qui est à conserver, ce qui est accessible aux chercheurs et aux lecteurs.

Comme dans beaucoup de musées, ce qui s’expose tient du sanctuaire/reliquaire. Dans le cas d’un musée consacré à la bande dessinée, ce point peut se trouver accentué par son statut médiatique d’art populaire divertissant, avec ses amateurs perçus comme «fans», avec des personnages de/en séries dits «cultes» et parfois des auteurs interchangeables. A cela s’ajoute un autre point important, celui qui fait que les planches exposées représentent avant tout une étape dans un processus dont l’aboutissement est la publication, qui jusqu’à maintenant et dans la grande majorité des cas, passe encore par le livre.
Parler d’un musée de la bande dessinée semble dès lors étrange. Il n’y a pas de musée du livre, pourquoi y en aurait-il pour la bande dessinée ? La BNF pourvoit à l’exposition des connaissances sur l’histoire du livre, pourquoi une bibliothèque consacrée à la bande dessinée n’aurait-elle pas été suffisante ?[6]

De la notion de dessin, à ses proximités avec le cinéma, on pourrait déceler bien des facteurs qui font que la bande dessinée est aujourd’hui majoritairement perçue comme un fait plastique, un art de l’image, plutôt qu’un phénomène littéraire et éditorial.
Reste que si l’anthologie est si proche de l’idée de musée, pourquoi ne pas l’utiliser dans cette fonction. Actuellement liée au livre et au papier, elle serait le lieu d’exposition idéal pour un média jusqu’à maintenant lié à ce moyen de diffusion et à ce support. Il ne s’agirait pas de faire un catalogue d’exposition et de montrer processus et alentours, mais bien de montrer la bande dessinée «en action», à travers des extraits et/ou des histoires courtes. La fonction d’éditeur d’une anthologie se rapprocherait de cette manière, de celle d’un commissaire d’exposition au sein d’une institution. Il est intéressant de noter qu’aux Etats-Unis, pays sans institution muséale aussi importante que celle d’Angoulême, les «anthology» se multiplient, s’intéressant aussi bien au patrimoine (celle de Dan Nadel par exemple) qu’aux avant-gardes contemporaines (celles annuelles de Jessica Abel et Matt Madden, intitulées Best American Comics)[7].
Ainsi perçue, l’anthologie serait un moyen intéressant pour les institutions consacrées à la bande dessinée de promouvoir celle-ci comme patrimoine ou art vivant, en jouant à plein de ces particularités. Avec de tels livres, elles accompagneraient ou pour le moins serviraient de référent à un mouvement qui semble de fond, qui connaît de forts succès en fin d’année et qui, tout à ses enjeux commerciaux légitimes, peut parfois manquer de rigueur historique, voire tomber dans l’auto-complaisance commémorative. Définie dans ce rôle et dans ce cadre, l’anthologie pourrait s’affirmer comme un véritable musée de papier.

Notes

  1. Will chez Dupuis par exemple, Crumb chez Cornélius, ou Kirby chez Urban Comics.
  2. Les anthologies thématiques autour de la revue Pilote, chez Dargaud par exemple
  3. En cela elle se distinguerait de l’intégrale ou de la monographie qui auraient une volonté plus exhaustive dans ce qu’elles présentent.
  4. C’est le cas par exemple de la première anthologie de bande dessinée publiée en France en 1963 par Jérôme Peignot intitulée : Les copains de votre enfance.
  5. Cas de AX publié par Le Lézard noir, par exemple, anthologie consacrée à une revue japonaise de manga.
  6. Certains pourraient aussi se dire que le musée de la bande dessinée est une salle d’exposition géante d’une bibliothèque nationale de la bande dessinée si discrète qu’elle en refuserait ce titre ou de se mettre en avant.
  7. On pourrait citer aussi A l’ombre des tours mortes d’Art Spiegelman, qui est dans ce livre créateur, mais aussi curateur, en y présentant des comics du début du XXe siècle relus à l’aune du 11 septembre. Notons que pour beaucoup maintenant le métier de commissaire (depuis Harald Szeemann par exemple) à aussi à voir avec celui de créateur en trouvant une thématique d’exposition originale et en faisant se confronter des œuvres avec pertinence.
Dossier de en décembre 2013