Dorénavant a 30 ans

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Le Salon d’Angoulême — fâcheuse et regrettable coutume — couronnera encore cette année quelques nouveaux monarques, je ne crois pas fausser la pensée de mon ami le peintre Anton Makassar en remarquant que cette inflation de roitelets nuit au royaume de la bande dessinée, cet art MODERNE ; mais Anton qui est un grand penseur le dit mieux que moi.

La misère de la bande dessinée tient principalement en deux points autour desquels gravitent des faux satellites. Le premier point est que peu de créateurs ont une véritable conscience d’AUTEUR, de sorte que beaucoup se perdent dans des entreprises de promotion publicitaire qui ruinent leur œuvre et leur crédit, et que trop laissent aux marchands un pouvoir bien supérieur à la tâche qu’ils remplissent et oublient que ces gens n’ont que des moyens de diffusion à proposer et que leur autorité se limite à l’étroite qualité technique des moyens de publication qu’ils proposent aux créateurs, de sorte qu’il n’est pas utile d’agir avec eux autrement qu’en considération de la tâche qu’ils remplissent. Et à moins d’être tombé dans la folie furieuse, tu n’entreprendras pas d’accorder aux marchands un pouvoir de pression ou de décision sur ce que tu crées. C’est ainsi qu’il y a peu, à la mort de Hergé, de sourds pourparlers se sont engagés pour TERMINER l’ouvrage resté inachevé de l’auteur, au mépris de la haute idée qu’il se faisait de son art, si bien que si jusqu’à présent le bon sens l’a emporté, gageons sans craindre de faillir que tôt ou tard l’avenir nous apportera un TINTIN ET LES FAUSSAIRES que tout portait à l’inexistence achevée et qui se révélera à tous comme un misérable FAUX.

Le second point est que la bande dessinée est longtemps restée an-historique et s’est complu dans des domaines qui n’étaient pas les siens, ici faisant du cinéma là de la littérature, sans avoir les qualités d’expression ni de l’un ni de l’autre. La raison étant que ce qui est pleinement exprimé par un moyen ne peut l’être que de façon atrophiée par un autre, sans quoi l’auteur ne l’aurait pas utilisé. Ainsi, sans être ni littéraire, ni cinématographique, ni artistique, la bande dessinée a cherché à faire de la littérature, du cinéma et de l’art, sans voir que son originalité n’était ni dans la copie maladroite ni dans l’adaptation par des moyens limités de ce qui a déjà été pleinement exprimé autrement. Aussi, pour ne pas l’avoir encore revendiqué, la bande dessinée n’est toujours pas un moyen d’expression autonome.

[Distribué par Dorénavant lors du Salon d’Angoulême en janvier 1985]

Dossier de & en décembre 2015