Dorénavant a 30 ans

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Préface au n°7/8

La bande-dessinée moderne est dans la rencontre du langage bande-dessinée (la mise en rapport d’images séparées juxtaposées) et des vocabulaires des différents territoires de l’expression : elle se présente essentiellement comme un lieu de passage entre les différents territoires où les oppositions peuvent se rejoindre.

Dans ce mouvement général de Dorénavant, tendant à la négation de la séparation des territoires, nous poursuivons nos communications hors de la bande-dessinée. Depuis deux ans, nous sommes présents lors des principales manifestations de poésie : Marché de la poésie de Paris en juin 1987, 1988, de Nantes en novembre 1988, nous établissons des contacts en art, en photographie ; ceci afin de nous présenter comme lieu de convergence de ces différents territoires séparés, à l’intérieur d’un mouvement tendant a les réinvestir a partir de ce que permet la bande-dessinée moderne.

Dans le même mouvement du geste, nous poursuivons la critique de la misère et du sous-développement de la bande-dessinée, en théorie par des textes publiés dans la revue, ou ailleurs (voir par exemple la Contribution Dorérnavant à une réflexion sur les “fanzines”, brochure du salon européen de Grenoble, 1989), et en pratique, à travers, par exemple, notre boycott systématique des revues marchandes (Circus, À Suivre, Pilote, etc.) dans lesquelles on ne trouvera pas de production Dorénavant, à moins que ces « revues » se dorénavantisent.

Dorénavant n’a pas de forme à priori, mais toutes les formes appropriées à ses activités : de la poésie, nous avons le goût des ouvrages à faible tirage et de peu de pages (Éditions Lundström) ; de l’art, le goût des expositions collectives ou individuelles, la mise en sculpture, la toile ou la planche unique comme finalité ; de la bande-dessinée, celui des grands tirages et du non-élitisme ; de la pratique sauvage de quelques uns d’entre nous, enfin, le goût pour les interventions de rue ; d’une manière générale, une certaine attitude.

Questionnaire 1989

Apres le questionnaire aux revues (1986), DORÉNAVANT lance une seconde enquête dont les réponses seront publiées en annexe de la revue. (Réponses à envoyer à DORÉNAVANT, 14 rue de Normandie, 75003 Paris).

1. – En dépit du fait que rien de vivant n’apparaisse en bande-dessinée, quel espoir mettez-vous dans ce langage ?
2. – Est-ce que le scénario est une condition sine qua non pour réaliser une bande-dessinée, ou une des seules approches reconnues à ce jour ?
3. – Quel est votre comportement face à une création bande-dessinée bouleversant l’écriture et la narration ?
4. – Pour vous qui serait le Rembrandt de la bande-dessinée, a-t-elle son Cézanne ?
5. – Comment expliquez-vous que le roman-photo ait tenté si peu de créateurs ?
6. – Ne pensez-vous pas que la bande-dessinée, par son conformisme, est en train de passer à côté d’une révolution du langage ?
7. – La bande-dessinée vous semble-t-elle tendre : vers le rapport d’images, le rapport d’une image à un texte, une suite d’images racontant une histoire ?

Dorénavant et la bande dessinée

INTRODUCTION

« Je me rappelle qu’une nuit, je faisais une jam-session dans une boite de la 7e avenue, entre la 139e et la 140e, je commençais à en avoir assez des harmonies stéréotypées qu’on utilisait tout le temps à cette époque, et je pensais qu’il devait y avoir autre chose. Il me semblait l’entendre, mais je n’étais pas capable de la jouer. »

Charlie Parker

L’histoire de la bande-dessinée est à comprendre comme l’histoire de la recherche d’un langage propre à la bande-dessinée par ses auteurs et théoriciens les plus conséquents, qu’ils en aient ou non conscience. Ce n’est pas là un trajet qui lui est particulier, la poésie comme l’art ou la musique sont à comprendre comme des langages à la recherche de leur vocabulaire et de leur syntaxe. Dorénavant se définit ainsi comme une recherche théorique et plastique de quelques auteurs cherchant les mots les mieux appropriés à ce qu’ils désirent exprimer, cela les pousse à étudier la grammaire et le vocabulaire de la bande-dessinée, à faire la part de ce qui entrave ou contribue à la pratique de ce langage, à ce qu’il peut être.

Des contacts sont à prendre dans les domaines de la peinture, de la poésie et de la photographie : la bande-dessinée n’a jamais que la forme que les techniques utilisées lui donnent. Par delà la séparation des territoires cités, des peintres comme des photographes ont pratiqué un langage commun à celui parlé en bande-dessinée : celui de la mise en rapport d’images séparées juxtaposées.

La bande-dessinée n’a pas encore mesuré avec lucidité ce que cette mise en commun des langages impliquerait nécessairement dans son territoire. Elle peut difficilement nier le travail que quelques artistes explorateurs ont tenté : Ernst et ses roman-collages[1], Magritte de la Clé des songes et de la mise en rapport d’images[2], Warhol et ses autoportraits, Hockney et sa guitare bleue, Mapplethorpe, Bacon et ses dyptiques et tryptiques, le travail de Christian Boltanski, les mises en rapport d’images contradictoires de Roman Cieslewicz, etc.[3] Il y a là de nouvelles pratiques qui doivent être assimilées par la bande-dessinée, et forcement critiquées, ces deux mouvements particuliers n’étant que les deux moments d’un même geste. La peinture ne peut intéresser la bande-dessinée que lorsqu’elle parle le langage de la bande dessinée, alors elle apparaît souvent bien plus hardie que la bande-dessinée elle-même. La bande-dessinée prise comme sujet de la peinture n’intéresse pas le mouvement de la bande-dessinée autrement que comme échantillon de nouvelles techniques à pratiquer ; de ce point de vue, le travail d’un Lichtenstein intéresse moins la bande-dessinée que celui d’un Andy Warhol, lequel pourrait bien en modifier une part du paysage.

SITUATION DU TERRITOIRE :
Ghetto, storyboard et idéologie bédé :
la bande-dessinée traditionnelle.

« La frivolité et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d’un inconnu, sont les signes annonciateurs de quelque chose d’autre qui est en marche. »

Hegel, Phénoménologie de l’esprit.

Les débuts de la bande-dessinée contemporaine ont vu s’imposer une pratique cinématographique qui, de pratique particulière de la bande-dessinée, s’est aussitôt imposée comme pratique générale et unique. Nous avons défini dans Dorénavant ce moment de la bande-dessinée comme du « storyboard » : un storyboard séparé du cinéma. L’histoire de la bande-dessinée traditionnelle peut être considérée comme l’histoire du storyboard séparé du cinéma. Ce moment historique qu’est le storyboard est tout entier dans l’intérêt que lui porte aujourd’hui le cinéma en crise de scénario ; il est traversé par deux courants principaux : le storyboard pour film d’acteur, et le storyboard pour dessin animé.

Le storyboard est le premier élément de réification de la bande-dessinée comme langage d’expression autonome : réduite à cette seule stratégie d’expression, la bande-dessinée n’a jusqu’ici, à quelques remarquables cas isolés près[4], parlé que le langage du storyboard.

La bande-dessinée traditionnelle se caractérise par sa réduction à la seule pratique du storyboard, et par son idéologie bédé. La bande-dessinée traditionnelle est un terme générique permettant de situer historiquement ce moment de la bande-dessinée dominé exclusivement par la combinaison du storyboard et de l’idéologie bédé ; lequel ne commence à être critiqué que très récemment, en idées par quelques rares théoriciens, et en pratique par d’aussi nombreux auteurs, parfois les mêmes – mais pas nécessairement.

L’idéologie bédé de la bande-dessinée, c’est ce mouvement qui entraine sa production à ne réaliser que des ouvrages en parfaite adéquation avec l’image de la bande-dessinée : c’est la bande-dessinée pratiquée de telle manière qu’elle ressemble à l’idée qu’un individu, extra-muros au territoire, se fait d’elle, telle qu’elle correspond à sa représentation. Ce qu’il faudra désormais appeler : le « style bédé ». Bresson faisait une différence fondamentale entre le cinéma et le cinématographe (Notes sur le cinématographe), nous allons être contraints, à l’époque actuelle, de reprendre cette différence, en séparant la « bédé » comme moment historique de la bande-dessinée, tout entier soumis à l’idéologie et au storyboard, et la « bande-dessinée » comme terme générique du genre.

L’envers de ce mouvement, c’est qu’une bande-dessinée pratiquée telle qu’elle ne ressemble pas à l’image représentée du genre, remplit la condition suffisante pour ne pas être comprise comme étant de la bande-dessinée. De ce point de vue, réaliser une bande-dessinée dégagée de ses principaux éléments de réification, c’est peut-être tenter de dépasser la misère de la bande-dessinée traditionnelle dont le sous-développement du territoire est la conséquence immédiate, et poser les premières bases d’une bande-dessinée moderne encore à la recherche de son vocabulaire et de sa grammaire, mais c’est surtout réaliser quelque chose qui, dans les conditions présentes, ne pourra être considéré comme de la bande-dessinée, bien que toutes les conditions soient remplies pour qu’il s’agisse bel et bien de bande-dessinée. On voit d’ores et déjà les voies tâtonnantes que vont emprunter et la bande-dessinée traditionnelle s’autodétruisant et la bande-dessinée moderne naissante, la première en dynamitant son contenu tout en continuant à le parler dans le langage combiné du storyboard et de l’idéologie bédé, la seconde en cherchant son espace de déplacement précisément hors de cette combinaison et, en réaction à la résistance du genre et son bêtisier, contre la bande-dessinée traditionnelle et son sous-développement (c’est à dire la misère de sa structure marchande, d’où une tendance à évoluer en parallèle des va-et-vient de la marchandise[5] ; ceci accompagné d’une dose de violence que le territoire aura rarement connu à l’intérieur de ses frontières.)

Réduite à se constituer en ghetto, montrée du doigt par l’ensemble des autres territoires de l’expression, la bande-dessinée, de la même manière qu’un quolibet devient le nom revendiqué d’une minorité, a fait de la misère de son territoire une spécificité. Mise en demeure d’abandonner ses prétentions à l’expression, elle a cherché au contraire, à définir ce qui faisait sa spécificité, et en définitive ce qui fondait ses prétentions a être reconnue comme territoire d’expression autonome. Ainsi, le ghetto dans lequel s’est enfermée la bande-dessinée trouvait-il sa nécessité dans la recherche d’une identité à imposer impérativement aux autres territoires, et à opposer à un mouvement extérieur l’entrainant à se marginaliser. Le sous-développement de la bande-dessinée contemporaine est l’expression de ce ghetto, d’abord moyen pour s’imposer comme territoire autonome puis, tendant à se séparer de sa nécessité d’origine, devenant paysage habituel de la bande-dessinée, entretenu comme spécificité, étroitement codifié par la combinaison du storyboard et de l’idéologie bédé. (À suivre)

Barthélémy Schwartz

Et pourtant elle tourne… la galette

La bédé braque son télescope sur un unique territoire : le sien. L’axe optique y est rivé, le champ est immobile. Au travers des multiples lentilles, elle se voit en planète, se croit planète… tourne en galette !

Irradiée par les pouvoirs supracellulosiques des miséricordieux 1/2 dieux de papier, l’astéroïde abrite une caste d’humains condamnés, par loi mécanique, à la restauration du temple et l’entretien des 1/2 divinités. Les fidèles étant les ressources de la « maison », le prosélytisme style tournée des popotes est de rigueur (et quel fabuleux spectacle que de voir le bédessineur de 1/2 dieux dédicaçant au dévot comme la bête politique serre les pognes de la ménagère !).

Agrandir la famille… mais attention, suivant les conventions, suivant le catéchisme tissé pour protéger les 1/2 dieux dispensateurs de bienfaits sociaux.

Tout le monde sait que les 1/2 dieux sortent de la bouteille d’encre, mais qui veut savoir que le flacon contient une infinité de mondes, que le liquide endormi stocke l’inépuisable connaissance du possible, de l’impossible… du futur !

Le possible est le conventionnel, le statique, le présent ; l’impossible est un nouvel espace, c’est le mouvement, le futur. L’un des effets du mouvement sera de faire passer des fragments d’impossible (de futur) dans le passé. Au passage une nouvelle caste codifiera, normalisera l’acquis, voudra arrêter le présent. Et à nouveau il faudra que le futur passe !

L’artisan travaille le possible, l’artiste réalise l’impossible. En soi il n’y a pas antinomie… il ne devrait pas y en avoir…

Pourquoi la planète bédé accepte-t-elle si mal une nouvelle approche de ses lois, refuse-t-elle de se pencher sur le travail de celui, ceux, qui, au bout du rouleau, pour une sempiternelle et dernière fois ânonnent « …et pourtant elle tourne ! » Pourquoi son expression est-elle si pauvre ? Pourquoi se défend-elle de ses fabuleuses ressources naturelles ? Inculture, ignorance, peur ?

Il est vrai que son histoire est récente, que les « primitifs » sont tout proche, qu’elle n’a pas, au regard des siècles, encore la durée (de même la photo, le ciné, la télé…*). Mais, justement, parce que son genre est « mo­derne », elle part en retard. Par le fait qu’elle s’institue elle démarque son territoire, ce qui l’isole. Se protégeant, elle se prive de l’apport culturel, du brassage des idées, et accentue son retard.

La bédé ne supporte pas le mouvement ! ?

Elle raisonne en famille, se féconde en cousin-cousine ce qui à plus ou moins long terme enfantera (enfante déjà) un « art » mongolien (il est vrai qu’a sa décharge le phénomène s’applique à tout esprit de chapelle).

La bédé dira qu’elle s’ouvre : cinéma, déco, décors, pub, art… Elle ne s’ouvre pas, elle se répand. En terme économique, elle diversifie ses activités. Elle cherche un prolongement financier à son état. De crise ?

Il n’y a qu’à voir la piètre confrontation de ses stars avec d’autres techniques pour se rendre compte que l’échappée n’a produit qu’une imitation dopée du traité habituel, qu’elle n’a glané qu’un accoutrement d’effets. Si elle en rapporte du clinquant, qu’a-t-elle apporté de neuf ?

La bédé est un métier, dira-t-on, si elle accède à d’autres techniques, c’est pour son « savoir-faire ». Soit, comme si le « savoir-faire » de la danse était les pointes et entrechats ! Comme si la bédé répétait éternellement « le Lac des signes ».

L’incompréhensible n’est pas le travail ni la raison d’être de la bande dessinée, l’incompréhensible c’est de devoir crier : soyez curieux, soyez ouverts, cultivez-vous merde !

Arhu Machar

N.B. Il n’y a pas été question, ici, des satellites, encore mal observés, de la planète bédé.

* Ceci appelle un futur développement.

Annotations minuscules sur la BD

1

Sous la sueur des étoiles, les soirées coagulées devant la télé-BD.

2

Suite d’images logiques ou illogiques : liberté du lecteur.

3

Habitudes conformes, langages conformes, plaisirs conformes.

4

Après un départ prometteur une arrivée avortée.

5

Agoraphobie ! Craintes et angoisses de s’égarer sur les grands chemins de la bande dessinée moderne.

6

S’évader du carcan des habitudes, secouer la tête des gens comme un sac de toile.

7

Forme concrète de l’image, fus de l’imagination.

8

Une bande-dessinée totalement désintéressée.

9

Une BD utilitaire, vouée au bon vouloir des marchands, et aux intérêts des auteurs.

10

Schémas et constructions identiques en BD, apparemment immuables pour certains.

11

La conformité en BD est stupide, elle ne provient que du défaut d’habitude.

12

Coutume de la présentation atteinte à l’imagination, pauvreté intellectuelle des créateurs.

13

Dépasser les représentations fictives en bande-dessinée, les images stériles et enkystées.

14

Dénoncer les impostures dominantes en BD. Les grands auteurs immortels, soi-disant représentants d’un genre qui leur échappe.

15

Rechercher l’essence véritable, posséder une vue personnelle, propre à chaque chose que l’on désire créer.

16

La majorité exige une tenue crédible en bande-dessinée.

17

La cohérence, l’incohérence, la logique, l’illogique s’habillent des dépouilles de l’arbitraire. Ils n’existent qu’en fonction des définitions que l’homme leur a imposés. Il faut créer au-delà de ces concepts, sans les respecter.

18

L’expression peut être incohérente en apparence, mais en apparence seulement.

19

Les images de la nouvelle BD doivent s’éloigner le plus possible des modèles anciens. Il faut la reprendre, la réorganiser avec une certaine compréhension et une réalité accrue par l’expérience flottant au-dessus des ruines de ses anciens créateurs.

20

Improvisation totale. Le hasard cingle de son fouet les esprits arides.

Romuald Hibert

Plaintes, doutes et découragements pour une forme en gestation

« Je regrette que l’horloge de Demain, de 391, n’ait pu être reproduit dans Calligrammes. Je crois en effet que cette œuvre, tout en restant dans la tradition populaire du graffiti, aux confins de l’art d’écrire et de l’art de peindre, inaugure une série d’expériences. »
André Breton, « Guillaume Apollinaire », in Les pas perdus.

« Et me voici qui dessine deux petits signes à la frontière d’es pagne puis je pense à autre chose. »
Raymond Queneau, Fendre les flots.

« Les diverses réalisations de la métagraphie, qui se proposent théoriquement d’intégrer en une seule écriture tous les éléments dont la signification peut servir, ont été, jusqu’à présent, tout à fait insuffisantes. »
« Panorama intelligent de l’avant-garde à la fin de 1955 », in revue Potlach, n°24.

« La bande dessinée ne pourrait-elle pas devenir aujourd’hui encore autre chose ? »
François Caradec, revue Bizarre, n° 32-33.

« La poésie visuelle, connue par les réseaux sporadiques d’un circuit éditorial éclaté, international, de revues (Approches, L’Humidité, Lotta poetica, Ou, Doc(k)s) et de volumes anthologiques, celui d’Iliazd d’abord (Poésie de mots inconnus, 1948) et ceux de Mary Ellen Soit, Stephen Bann, Pierre Garnier, Jean-françois Bory, Emmet Williams, n’a finalement pu s’imposer comme discipline à part entière. »
Marc Dachy, « Littérature pictographique », in revue Art Press, numéro spécial audiovisuel, juillet-août 1982.

Stéphane Goarnisson

Stéphane Goarnisson, Père de la « bédé sans dé » française

Il est rare d’assister à la naissance d’un génie littéraire. Plus rare encore de pouvoir la rattacher au nom d’un écrivain particulier. Cette conjonction s’est pourtant opérée dans le cas de Stéphane Goarnisson, inventeur incontestable de la « Bédé sans dé » française. Il y a fallu des circonstances très particulières : une marginalité provinciale redoublée d’une marginalité sociale et économique ; l’éveil à la vie littéraire à une époque où la relève n’était pas encore achevée des formes périmées de la poésie du XXème siècle à la poésie de l’avenir ; un intérêt exceptionnel pour la bande dessinée et l’ambition de lui emprunter quelques unes de ses ressources ; un esprit inquiet, ombrageux, douloureusement perfectionniste.

Remèdes à petits pas

* *

La bande-dessinée en général, est une machine à spectacle désuète et obsolète.
Son mécanisme antique n’a subi que très peu d’évolutions et si certaines se sont effectivement produites, elles se caractérisaient principalement de manière interne, comme dissimulées derrière leurs boulons rouilles, à l’abri de toute interaction externe. Ce que j’entends par modifications internes, c’est une démarche pseudo évolutive se concentrant dans un cercle étroit et n’aboutissant qu’à un retour perpétuel et ambivalent (évolution-régression) aux pieds de l’impasse qu’il faut s’efforcer de franchir.
Les phénomènes externes, nouveaux devront y contribuer. Ces manifestations ne sont que d’autres moyens d’expressions, de réalisations, d’éléments inconnus, extérieurs au système de la bande-dessinée conventionnelle et encore inemployés.

* *

Deux images d’une réalité évidente mais presque opposées.
Plus elles s’éloignent l’une de l’autre (de par leur sens) tout en se rapprochant sur le papier, plus elles évoqueront, elles catalyseront un certains courant d’émotions, de sensations de fraîcheur dans la conception.

* *

Pour faire une muraille en désuétude : Prendre deux gros dés (en papier, en bois, en fer…).
Dessiner des images sur les faces de l’un, puis des dialogues, des poèmes des assemblages de mots qui vous plaisent, sur celles de l’autre. Jeter les dés et observer le résultat (au besoin rassembler le tout)

* *

Si la bande-dessinée se manifeste avant tout par une action primordiale et nécessaire au premier instant : la vue, il serait intéressant que d’autres sens apportent leur contribution. L’ouïe et l’odorat par exemple. Une BD parfumée. Une BD musicale.

* *

Une bande-dessinée où tous les éléments qui la composent sont transfigurés d’après la conception primaire/première qu’en a l’auteur.

*

Romuald Hibert

Partie de campagne avec journalistes

À Angoulême, j’ai vu que l’establishment communiquait avec lui-même, qu’il n’avait pour matière que potins et cancans, que l’information braquait ses projecteurs sur le reconnu, pire… sur le reconnaissable ! Qu’elle ignorait craintivement l’au-delà de ses feux pour se garder sans doute de l’indéfinissable ! J’ai côtoyé « là-bas » ses représentants atones affalés dans les communiqués, reprenant quelque vigueur à l’heure des mondanités. J’ai éprouvé le dossier de presse purée prédigérant la nourriture de l’accrédité gavé. J’ai vu cette pâtée mâchée, remâchée, ingurgitée, digérée, évacuée, répandre sa grasse suffisance en de molles, pesantes, suffocantes colonnes. J’ai observé les observateurs n’observant rien, ne révélant rien, se contentant de fixer l’image prédéveloppée avant de transmettre à la galerie le cliché déjà jauni.

J’ai vu que l’information couvre.
J’ai vu qu’elle ne découvre pas !

Sait-il, le journaliste, que la crête de la vague qu’il vitrifie occulte les sourdes et hallucinantes profondeurs du devenir ? Qu’elle n’est qu’une déformation éphémère de l’ineffable densité du monde, du mystère ? Sait-il que son vernis participe à l’obstruction du merveilleux ? Enfin sait-il, l’homme, que la bande dessinée n’est qu’un joyeux prétexte ?

Dymen, auteur de Réseau Zoo, album de poésie graphique, 1987

Notes

  1. La femme 100 tête, 1929, Mac Ernst.
  2. L’homme au journal, 1927, – Le symbole dissimulé, 1928, – Les six éléments, 1928, – L’espion, 1928, – Georgette et René Magritte (photographie), 1928, – La clé des songes, 1930, – L’arc-en-ciel, 1948, – Etc.
  3. Voir L’Anthologie Dorénavant de la bande dessinée, in revue Dorénavant, n°3, 4, 5.
  4. Renato Calligaro, Art Spiegelman, Francis Bernard de Narration du déluge, Arcantère, 1986.
  5. Voir les réponses de séduction au Questionnaire Dorénavant aux revues, Lunsdtröm, 1988.
Dossier de & en février 2016