Marchand d’autographes

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En octobre 2011, un article de Livre Hebdo intitulé «Dédicaces : scènes de chasse au salon» avait dévoilé à un large public la pratique d’amateurs à l’organisation quasi professionnelle, prêts à tout pour pouvoir revendre à bon compte sur des sites d’enchères ou de vente en ligne, des dessins signés récoltés gratuitement. L’auteure reçut même un prix pour son reportage sur un excès particulièrement lié à la neuvième chose, que libraires et auteurs connaissaient déjà depuis longtemps.
Si des mesures furent prises pour essayer de contenir ce travers lors des salons suivant, il n’en reste pas moins que le problème demeure, questionnant une pratique ici liée à la nécessité d’un dessin, alors que dans d’autres secteurs éditoriaux une simple signature suffit.

Une des solutions à ce problème serait peut-être celle développée par un libraire en ligne spécialisé dans les bandes dessinée rares, épuisées ou d’occasions. Sa boutique se trouve sur Ebay, au nom de Buffalo 92. Présent depuis une huitaine d’année sur ce site, ce vendeur a mis au point une méthode simple qui consiste à passer un contrat avec un auteur, pour que, moyennant salaire, celui-ci dédicace un certain nombre d’albums qui seront ensuite revendus en ligne ou lors de salons. Si cette méthode est principalement consignée aux dédicaces, elle semble aussi être tentée vers la commande de dessins originaux. Buffalo 92 paraît avant tout être un amateur de bandes dessinées franco-belges classiques et grand public, et favorise par conséquent des dédicaces que d’aucuns pourront juger «vendeuses», voire racoleuses.[1]
Offrant une possibilité de revenus supplémentaire à des auteurs dont les ventes d’albums diminuent de manière générale, la renommés et le professionnalisme de ce libraire commence à s’étendre et beaucoup de dessinateurs frappent aujourd’hui à sa porte. Vu son succès, il y a de fortes chances pour que sa façon de faire soit adoptée par d’autres, peut-être pour d’autres niches.

Son système assez simple est pour l’instant utilisé sans véritable réflexion sur la nature de la dédicace en neuvième chose. Celle-ci est-elle une signature ? Un commentaire de l’album ? Un hommage adressé au possesseur du livre ?
Buffalo 92 semble se contenter de faire ce que les chasseurs de dédicaces[2] font, mais de manière légale et transparente.[3]

La démarche de ce libraire devenu véritablement marchand d’autographes ramène aussi la bande dessinée vers une forme de bibliophilie que le commerce de planches, de croquis préparatoires ou autre avait finit par faire quelque peu oublier, au profit des cimaises des galeries. Pourtant la planche n’est qu’une étape dans le processus d’élaboration d’une bande dessinée, comme le manuscrit peut l’être dans celui d’un roman. Actuellement, l’aboutissement de ce cheminement reste le livre dans la très grande majorité des cas. Et si l’on parle souvent de la bande dessinée numérique, on remarquera qu’elle l’est bien plus dans sa conception ou sa finalisation que dans son édition. A moyen terme, on pourrait même imaginer que les galeries dédiées à la bande dessinée pourraient manquer de planche à exposer et à vendre.

Traditionnellement, les vendeurs d’autographes peuvent aussi bien être des galeristes que des libraires. Le cas de Buffalo 92 semble aussi faire une jonction entre deux métiers en amenant les cimaises dans le livre et en en faisant une pratique pouvant s’inscrire dans le présent, avec des auteurs contemporains. Pour d’autres plus audacieux il y aurait là aussi, la possibilité de faire d’une particularité liée au phénomène de la dédicace, un territoire de création et d’expression pour des auteurs, et d’une relation autre à un lectorat devenant véritablement bibliophile.

Notes

  1. Des Pin-ups, des dessins centrée sur une virtuosité technique, un degré de réalisme, etc.
  2. Peut-être ce vendeur est-il un ancien chasseur de dédicace ?
  3. Il offre aussi de meilleures conditions de travail pour les auteurs ; et pour les acheteurs des dessins plus travaillés.
Dossier de en septembre 2014