Riad Sattouf

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Riad Sattouf débute dans la bande dessinée en signant Petit Verglas chez Delcourt. Ensuite débute une série chez Dargaud, Les pauvres aventures de Jérémie, qui lui vaut le prix Goscinny, et puis il écrit également des scénarios pour Petit Vampire dans son adaptation en dessin animé. Riad Sattouf participe également à la collection jeunesse des Editions Bréal dirigée par son ami Joann Sfar. C’est à l’occasion de la publication de Ma Circoncision que nous l’avons rencontré début 2004, au moment même où l’ouvrage était menacé de censure…
Ma Circoncision traite d’un sujet sensible d’un ton juste. Terrible. Une introspection qui invite à réflexion.

Pouvez-vous rapidement revenir sur votre vie jusqu’à aujourd’hui ?

Ma mère est française et mon père syrien. Celui-ci a fait ses études en France, à la Sorbonne, puis est parti enseigner dans les pays du Machrek, notamment en Libye, pendant deux ans, alors que j’étais tout petit, puis à Damas. Pour lui, c’était un retour à la maison, pour moi c’était une découverte. Nous y sommes restés dix ans. Nous habitions dans son village natal, à deux heures de la capital. Puis quand mes parents se sont séparés, je suis revenu en France de manière définitive, et je suis rentré au collège. La fin de mon école primaire s’est déroulée à cheval entre la Bretagne et Damas. Jusque là, je ne voyais la France qu’une fois par an, pendant les vacances. Aujourd’hui, cela fait 15 ans que je ne suis pas retourné en Syrie.

Peut-on parler de double culture ou d’acculturation dans votre cas ?

J’ai perdu tout espoir d’intégrer les deux et de tenter d’en faire un ensemble homogène. Je vis avec les deux en parallèle ! J’ai totalement refoulé la langue arabe. Lorsque l’on est enfant, on utilise peu de vocabulaire… Je sais encore l’écrire un peu mais plus du tout le parler. Je pense que cela peut revenir assez vite quand même. Quand j’entends parler arabe à la télé, j’arrive encore à saisir des bribes de phrases. Aujourd’hui je vais reprendre des cours, puisque ma situation professionnelle et financière s’arrange.

Venons-en à votre livre. Comment travaillez-vous avec Joann Sfar ?

Le boulot de Joann est de donner à des auteurs la possibilité de faire des livres sans contraintes. Une fois qu’il a accepté le projet, il nous laisse une liberté complète dans sa réalisation. Il suffit que cela reste rigolo et agréable à lire. Il n’intervient plus. C’est d’ailleurs un rapport de confiance qui existe également chez Dargaud, et qui est très agréable. C’est une responsabilisation appréciable.

Et comment avez-vous travaillé avec Jean-Christophe Menu pour la maquette ?

J’écris toutes les pages à la main, dans lesquelles je place mes crayonnés, puis je fais les dessins à coté, et Menu reprend tout et le remet en forme, le réorganise, en gardant la succession des textes et des images. C’est un peu bateau mais je respecte Jean-Christophe Menu à mort et lui fait entièrement confiance.

Il y a au début de Ma Circoncision une note aux lecteurs qui rappelle que le racisme et l’antisémitisme sont des délits punissable par la loi. C’était une volonté de votre part de le mettre en préambule ?

Cela me gênait, tout comme Joann, parce qu’il nous semblait que le livre parlait de lui-même de l’intolérance. Mais cette note est nécessaire car cette collection peut tomber sous le coup de la loi de 1949 qui concerne les publications pour la jeunesse. L’avocat de Bréal a donc très fortement insisté pour que cela soit écrit, afin que le livre soit inattaquable. Le sujet étant sensible, il ne fallait pas prendre de risque et je pense qu’il a eu raison.

Du Manuel du Puceau, à Ma Circoncision, vous passez de l’humour via l’autofiction à l’autobiographie grave, du tutoiement du lecteur au « je » sérieux. Comment expliquer ce décalage ?

Tout d’abord, j’avais besoin de l’écrire à la première personne pour montrer que je l’avais vécu, et que même si je n’avais pas la peau très mat, cela ne m’avait pas empêcher de vivre une expérience très particulière entre culture française et culture syrienne. Ensuite, la bande dessinée se prête très bien à l’autobiographie, et c’est ce type de livre qui me touche. Enfin, c’est peut-être pour plaire aux filles que je me suis mis en avant. J’ai du mal à répondre à cette question parce que cela me touche beaucoup et que je n’y avais pas encore pensé de cette manière. J’ai peut-être envie que ma bite soit la bite la plus connue de France !

Les femmes sont complètement absentes de votre livre…

C’était voulu depuis le départ. La circoncision est une affaire d’hommes en Syrie. Le village dans lequel j’habitais était musulman et je me suis demandé si je devais rappeler qu’elles y étaient voilées, mais en supprimant leur présence du livre, il me semblait que cela était assez explicite. Ma mère n’a rien eu à voir dans cette histoire d’ailleurs.

Votre père l’a lu ?

Je ne sais pas, mais je ne pense pas. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Mon père n’était évidemment pas aussi inflexible que la manière dont il est présenté, mais il détestait effectivement les Israéliens et était musulman pratiquant. Je l’évoque d’une manière assez dure, mais c’est avant tout pour montrer aux lecteurs adolescents que les références parentales semblent inflexibles lorsque l’on est plus jeune. Je voulais parler de la place du père, en général, par rapport à la place de l’enfant dans une société ultra violente. Je n’invente rien. A l’école, le châtiment corporel était institutionnalisé. Dans les familles, c’était la même chose, etc.

Quel rapport peut-on établir entre ce symbole du passage à l’âge adulte et ce sentiment de castration ?

A part pour des raisons médicales, et encore… On a pas à mutiler des enfants. Et cela n’a rien à voir avec la religion ! Cela dit, je ne sais pas dans quelle mesure je peux l’interpréter. J’ai mis dans le livre ce que j’ai exactement ressenti. Je pense que la circoncision est un acte castrateur qui fait des hommes inquiets et paranos. Le pénis étant un symbole très important, quand un groupe d’hommes, autre que son père, montre à un enfant qu’il a le pouvoir de le maîtriser et de lui en couper un morceau, ce groupe exprime qu’il a le pouvoir d’en couper plus si jamais le besoin s’en fait sentir.

Ce qui n’est pas dit clairement, c’est pourquoi votre père a pris cette décision.

Je ne l’ai jamais exactement su, mais je pense que mes cousins ont du le dire à leurs parents qui ont du à leur tour le reprocher à mon père.

Contrairement au Manuel du Puceau, c’est un témoignage, vous ne prenez pas le lecteur à parti directement en l’interpellant. A votre avis, quel lecture un adolescent peut-il avoir de Ma Circoncision ?

Je l’ai fait en pensant à moi adolescent. A 13-14 ans, on est attiré par l’interdit, et j’espère faire comprendre aux ados à travers ce livre que l’on est avant tout le produit de son éducation. De ce point de vue, j’invite les adolescents à réfléchir sur leur propre éducation, ainsi qu’au regard qu’ils portent sur le monde. La France est une société patriarcale, mais d’une manière différente. Dans les discussions avec mes cousins, je me rendais bien compte qu’ils suivaient des rails tous tracés menant à reproduire des traditions qui leurs avaient été inculquées qu’ils ne remettaient pas en cause. Il faut éviter que cela se reproduise.

Note sur les livres mentionnés


A ma gauche, Le Manuel du Puceau, un guide indispensable pour tout ado à peine pubère se posant des questions sur les filles, leurs culs et leurs nichons. Un livre ironique, parfois cinglant, très drôle, et qui révèle les super-pouvoirs de chaque boutonneux : Imaginer nues des filles habillées, en 3D !
A ma droite, Ma Circoncision, un témoignage sur la circoncision de l’auteur lors de son enfance en Syrie, à l’attention d’adolescents réfléchis, ou réfléchissants. Un ouvrage dur, sur la nostalgie de l’enfance et ses frayeurs, sur le terrible monde des adultes et ses règles parfois injustes.
Deux titres indispensables du même auteur.

Entretien par en octobre 2005