Delmas x Valfret Aspératus

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L’underground graphique nous montre des produits sans code barres, des posters mais aussi des recueils d’images pliés, agrafés, cousus mains, dont les techniques d’impression commencent avec la ronéo, la gravure lino, jusqu’à la plus récente risographie, mais aussi de simples assemblages de feuilles imprimées avec un toner noir de photocopieur des plus basiques. Ces éditions très limitées ne cessent de réinventer l’objet livre, le "zine" mais aussi les principes de la bande dessinée. Ces suites d’images racontent, expriment, et sont au cœur de la révolution de l’image imprimée en Europe. En ce moment, ce sont ces marges qui font bouger l’énorme bande dessinée, fossilisée dans ses références immenses.

Alkbazz, dans le précédent entretien, avait particulièrement insisté sur un certain mode de fonctionnement. On y avait lu des pensées que beaucoup partagent : une volonté d’indépendance radicale aussi bien dans la fabrication de l’objet que dans sa diffusion.
Dans cet entretien, avec Valfret Aspératus, il est question de bande dessinée toujours, et de la volonté de s’en défaire ou de la transformer, des sensations du dessin, des complexités de la création pour parvenir à l’expression singulière.

Valfret Aspératus (alias Cyprien Mathieu) est né en 1982. Il vit et travaille à Peruwelz en Belgique.
Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Tournai. Son univers artistique en expansion est majoritairement visible sur le support imprimé : fanzines, graphzines, collectifs divers, sérigraphies. Il passe d’un style ou d’une technique à l’autre, entre art brut et expressionnisme chargé d’humour noir.

Bibliographie : Bernard Barracuda, Les Requins Marteaux (2011) ; Ecce Homo, Alter Comics (2013) ; Waiting for the storm, French Fourch (2015) ; Goltzius on the Black Ice, Re :surgo (2015) ; Zigmount, éditions du Trois Huit (2015) ; Goudron, Le Dernier Cri (2016) ; Zinzin, Kaputt (2016).

Gabriel Delmas : « Valfret Aspératus » pourquoi ce pseudonyme, comment et quand l’as-tu inventé ?

Valfret Aspératus : J’ai toujours aimé avoir des pseudos. Et même en avoir plusieurs au même moment. Là par exemple, j’en ai créé un nouveau il y a quelque semaines. J’aime bien, on avance masqué, c’est mystérieux et ça correspond à une envie précise à un moment précis. J’ai été Al bikoun, Thomass C.
Le contexte de création est lié à grandpapier : il y avait eu un projet « Minnéapolis john » lancé sur le site qui demandait aux auteurs déjà présents de se créer un nouveau pseudo et de dessiner sous un style différent. J’ai fait un truc qui détournait le compte de Max de Radiguès. Je m’appelais Rax de Madiguès. Et puis en fait je me suis amusé comme un petit fou, pas le détournement quoique quand même (Max de Radiguès rigolait un peu moins haha), mais j’ai prolongé le projet (je pense avoir été le seul à pousser le truc), et j’ai produit des bandes dessinées, des dessins. Mais à un moment il a bien fallu changer le nom, la blague était un peu trop longue, alors bon voilà c’est pas gégé mais j’ai pris le nom d’un personnage des racontars de Jorn Riel, Valfred (c’est pas de la littérature incroyable mais c’est sympa, drôle et ça se lit bien quoi) et je l’ai mis en phonétique belge. Le « Aspératus » est arrivé à cause de la contrainte facebookienne d’avoir un nom, et en fait, sans que je le décide, des gens qui imprimaient des collectifs auxquels je participais se sont mis à le mettre tel quel dans l’ours de leur publication, alors je continue comme ça, mais parfois c’est juste valfret (Aspératus c’est un certain type de nuage, c’est à voir !).

Gabriel Delmas : Asperatus, c’est un nuage « agité », mais ça veut aussi dire « brutal » en latin ; c’est en lien avec l’art brut ou c’est juste une coïncidence sans indication de sens caché ?

Valfret Aspératus : Non, drôle de coïncidence. J’ai choisi après avoir vu des photos. Merci pour l’info, j’ai jamais cherché à connaitre la signification, la mélodie du mot me plaisait beaucoup aussi.

Gabriel Delmas : J’ai vu quelques unes de tes bandes dessinées sur le site grandpapier, je ne sais pas si tu en as fait d’autres, autrement, sous un autre nom ou pas, mais on dirait que tu as plus ou moins laissé de côté ce médium pour te consacrer au dessin et à la peinture. Pourtant, tu sembles accorder beaucoup d’importance au livre, aux collectifs, aux fanzines…

Valfret Aspératus : Oui, alors tu pointes un truc très juste, peut-être légèrement plus complexe en réalité, mais en gros les lignes de forces de mon parcours sont bien décrites.
Des bandes dessinées perso, j’en ai fait deux : une aux Requins Marteaux et une autre chez un sac à bouse d’éditeur qui s’appelle Alter Comics et qui a l’habitude peu civilisée de faire signer des contrats et de ne pas payer les auteurs ensuite (parenthèse : il faut voir d’ailleurs ; il a un catalogue d’auteurs assez connus ; je ne sais pas comment ce type a fait pour arnaquer autant, bref). En fait, ces deux bandes dessinées sont sorties il y a cinq ans, ou un peu plus. Et depuis lors, eh bien effectivement, j’ai arrêté d’en faire. Ceci pour deux raisons : la première est que depuis toujours chez moi, y’a deux pratiques artistiques qui semblent proches mais qui en fait restent bien distinctes (la bande dessinée d’un coté, et le dessin narratif/peinture de l’autre), et la deuxième parce que la bande dessinée est le putain de métier le plus horrible du monde. Les auteurs sont les moines copistes modernes. Ils sont pâles, vivent reclus, bafouillent beaucoup, ils ont tous des problèmes de dos à force d’être au bureau, ont les artères bouchées parce qu’ils fument trop et mangent mal et sont au mieux désociabilisés, au pire des autistes. Voilà le tableau, il m’a fallu ces deux bandes dessinées pour me rendre compte que m’astreindre à un projet qui dure six mois, voire un an, sans parfois être sûr qu’il va exister vraiment parce qu’il dépend du choix d’éditeurs qui te paieront pas ou peu, ne me renvoyait pas une énergie assez folle pour me doper au travail. Pour moi, cette période rime réellement avec vie de casanier pour avancer et déprime chronique (accompagnée toujours de bières spéciales belges). Mais comme pour moi la bande dessinée était un rêve de gamin, il m’a fallu du temps pour accepter de ne pas en faire (haha c’est véridique).

Gabriel Delmas : Oui, je comprends parfaitement ça. On va dire que j’arrive régulièrement aux mêmes conclusions. Même s’il m’arrive d’y revenir plus ou moins. Mais c’est amusant de voir que la bande dessinée correspond souvent à une excitation d’adolescent.

Valfret Aspératus : En fait, la photo de départ dans ma vie est la suivante : moi petit lisant relisant des bandes dessinées et me promettant de devenir plus tard auteur de bande dessinée (sans avoir aucune idée de comment on fait). Puis durant l’adolescence morne et déprimante, et son cortège de rendez-vous au centre d’orientation pour savoir ce que j’allais bien faire de moi-même, le dessin revenait (je me rappelle des résultats précis d’un test). Bref, à cette époque, moi je ne fais absolument pas de bande dessinée mais je dessine des trucs bizarres, genre des trucs spontanés uniquement après avoir fumé plein de pétards et au lieu de faire mes exos. Je vais faire une école d’art. Je te passe les péripéties mais j’atterris dans une école des Beaux-Arts en Belgique (moi qui vient de Haute Savoie en France). Et là il y a bien quelques heures de bande dessinée, avec Philippe Foerster (que j’adore) mais surtout beaucoup de dessin, de peinture, de gravure, d’expérimentations en tout genre. J’en oublie la bande dessinée à cette époque. Et puis j’y reviens en changeant d’école, je vais aux Beaux-Arts de Tournai où, là, il y a une vraie section dédiée à la bande dessinée. Donc là, j’en oublie mes années passées à me faire plaisir dans le dessin expérimental et je me contrains à faire de la bande dessinée, que je découvre d’ailleurs seulement en tant que lecteur et comme tous les gars de ma génération, je découvre les maisons d’édition Cornélius, Ego comme X, l’Asso, Les Requins Marteaux etc. Je ne jure que de bande dessinée, je trouve le médium formidable, on y raconte des trucs très perso, trash, drôles, complètement barrés etc. Et bon, je garde cette ligne en tête, je veux faire de la bande dessinée quoi. Et puis bon, je galère en Belgique, je sors de l’école, j’ai pas un rond, j’ai des problèmes de papiers, donc je DOIS travailler pour régler ça. Là c’est terrible, car après une période d’une année où je branle rien, je me réveille et me secoue les miches : « Hé mec tu voulais pas faire de la bande dessinée, au fait ? ? » C’est là où je me mets à faire des trucs sur GrandPapier. Je participe à des collectifs, je contacte des gars, je fais des fanzines, c’est une manière d’apprendre à faire les trucs, à travailler pro, dans la prépa des planches, le scan, etc tu découvres comment envoyer les fichiers, en quelle réso etc. Et puis ben au lieu que tout reste dans un tiroir, tu offres la possibilité à ton boulot d’être un peu vu… Travaillant à mi-temps je repars sur une base simple : j’ai moins de temps, je dois trouver un truc efficace, pas soigné. Ça démarre sur une blague au boulot et ça finit par un album qui sort chez les Requins Marteaux. Là je suis heureux comme pas possible, c’est mon rêve Les Requins. En plus je note chez mes collègues auteurs alterno, que d’un seul coup par le fait d’être édité là-bas, on me trouve sympathique (beaucoup n’ont pas lu le livre, hein, haha) et du coup, on me propose plein de collectifs. Et en fait dans ces collectifs, je reviens petit à petit vers le dessin narratif, l’illu etc.
Dans la manière de travailler, le dessin narratif offre un résultat rapide, tu peux le montrer, les gens peuvent te donner un retour rapide. Bref, ça va plus vite, c’est moins douloureux à vivre tout ça, je trouve mon rythme, je me trouve, en fait. Et là aussi je participe à plein de trucs, sérigraphies ou pas, des trucs en France, en Belgique, en Lettonie etc .

Gabriel Delmas : Mais du coup, tu n’es pas intéressé non plus par ce que font les grands éditeurs ? On a vu Dav Guedin et Craoman faire un album de bande dessinée chez Delcourt, tu ne pourrais pas toi aussi t’adapter à un projet pour un public plus large, différemment ? Peut-être dans le futur ?

Valfret Aspératus : C’est bien pour eux qu’ils fassent des trucs chez Delcourt, ils gagnent un peu plus de thunes et ils sont plus visibles en librairie. Leur bande dessinée est bien ; ils n’ont pas fait de compromis, c’est bien quoi. Me concernant, les grands éditeurs, pourquoi pas, disons que ce que je veux faire prochainement ne s’accorde pas trop avec. Et puis comme je t’ai dit, la bande dessinée, ben ça me fatigue un peu, maintenant. Peut être que ça reviendra, je ne sais pas. Je suis vraiment attiré par la vidéo et l’animation, là, et je crois que ça va me prendre du temps. J’ai aussi hyper envie de me mettre à la menuiserie.

Gabriel Delmas : La menuiserie ? pour faire des choses artistiques ou ça n’a rien à voir ?

Valfret Aspératus : Les deux mon capitaine. Mais de fait, pour en revenir à ta présentation, je privilégie le dessin par le biais du livre parce que ça correspond à ce que j’ai toujours voulu, à savoir : faire des livres. (petit j’en avais plein et je les connaissais par cœur et j’ai sûrement dû fétichiser mon rapport à l’objet. Aussi et surtout pour moi le livre c’est le médium idéal : seul à seul en tête à tête avec quelqu’un que tu ne connais pas ! ! ! trop bien ! !) Faire une expo est pour moi un truc bizarre (alors que j’en ai fait quand même quelques-unes perso et pas mal de collectives). Et d’ailleurs je ne suis toujours pas habitué à en faire, et je n’ai pas encore la méthodologie, la grammaire pour le faire très bien. C’est un truc que je dois apprendre.

Gabriel Delmas : Pourtant, tes dessins narratifs semblent se regrouper par séquences, par thèmes, enfin on dirait que tu crées des ensembles auxquels tes dessins/peintures appartiennent. Et puis il y a aussi cette question de styles. Tu montres des styles très différents. On dirait que tu expérimentes dans des codes graphiques très différents alors que les motifs de fonds sont peut-être assez proches. Comme si tu cherchais à exprimer des mêmes sentiments mais de manières différentes. Et ma vision c’est que c’est surtout très graphique. Ces écritures du dessin, on les dirait rattachés à des « albums », des suites d’images, de dessins. Comme si tu créais des histoires absurdes qui correspondent à des sensations plutôt qu’à des récits. Il y a dans tes dessins quelque chose qui s’extrait de la bande dessinée et qui extrait aussi de la bande dessinée des sortes des formes mouvantes, comme des souvenirs ou des sensations graphiques rémanentes.

Valfret Aspératus : En fait, quand je parle de bande dessinée, je pense à un récit dont les clés narratives sont assez resserrées, je pense à cette idée de la bande dessinée classique, qui avance selon un code narratif reconnu par le plus grand nombre (sorte de définition de la bande dessinée pour le quidam non connaisseur). Je me suis longtemps questionné sur la problématique qui a une époque était posée par le FRMK : qu’est-ce qui est de la bande dessinée ? avec leur réponse, très large, acceptation très vaste : suite d’images associées accompagnées ou non de texte. A partir de là, si on étire encore, une exposition de tableaux avec son accrochage, sa scénographie, devient de la bande dessinée, avancer dans la ville à vélo et suivre les différents panneaux est comme avancer dans une bande dessinée géante (évidemment, on n’a plus affaire au livre).
Je comprends tout à fait ce que tu veux dire (et je suis ok avec ça) quand tu dis « Ces écritures du dessin, on les dirait rattachés à des « albums », des suites d’images, de dessins. Comme si tu créais des histoires absurdes qui correspondent à des sensations plutôt qu’à des récits. Il y a dans tes dessins quelque chose qui s’extrait de la bande dessinée et qui extrait aussi de la bande dessinée des sortes des formes mouvantes comme des souvenirs ou des sensations graphiques rémanentes. » Et c’est l’effet qui est donné. Par contre, le processus qui a amené à ça a été long et s’est fait à l’aveugle. Il y a eu des moments un peu clé qui ne dépendaient d’aucunes considérations ou projections artistiques et qui étaient juste des moments ou des personnes ont pu me dire par exemple : « Pourquoi tu fais pas encore un grand format comme l’autre là-bas qui est bien ? »
Après, quand même, il a deux projets qui m’ont vraiment amené à travailler comme je le fais maintenant : un livre de dessin que Blanquet m’avait demandé pour UDA (et qui finalement ne sortira pas chez lui) et un graphzine réalisé pour les éditions du 38 quai notre dame (Zigmount) : en fait, le truc ça a été : « On me demande de faire un livre de dessins, qu’est ce que je vais bien y mettre ? » et évidemment le seul truc que je sache faire par la bande dessinée, c’est étirer un univers, donc bon j’ai entamé le travail de série.
Par contre, pour préciser une différence tout de même (merde, je précise tout, je rentre trop dans le détail peut-être ?), rétrospectivement autant sur ces deux projets chaque dessin ou presque était expérimental et pouvait ouvrir lui-même sur une série et faisait éclater un peu le truc, autant en ce moment je suis dans une période où j’essaie de rester très cadré et de garder une stabilité à l’intérieur de la série. Et surtout, j’essaie de mieux m’organiser dans la présentation de ces séries : parce que le truc qu’il faut savoir c’est que, en général, je commence plusieurs séries en même temps (je ne sais pas rester sur une seule). Et donc les styles différents dont tu parles ne correspondent pas à des périodes temporelles distinctes, tout se fait en même temps, je passe d’un dessin d’une série à un dessin d’une autre série (encore une fois chez moi l’ennui est le truc rédhibitoire, qui me force à travailler dans une certaine urgence).
Aujourd’hui, travailler par série est un plaisir très grand et c’est un canevas stable pour moi : je choisis un format, un papier, une technique où je sens que les choses vont un peu bouillonner. Je choisis une ambiance autant qu’elle se révèle. Je prends des personnages, je les bouge d’un dessin à un autre, je les transforme, je les détruis. Ce sont des paysages intérieurs qui appartiennent à la même histoire, au même monde. Je décline tant que j’ai assez d’énergie et d’envie pour continuer à le construire, je décline et même si des motifs réapparaissent j’essaie de créer un décalage, trouver d’autres personnages d’autres situations, des choses qui me font rire ou qui me dégoûtent et quand j’en ai marre, j’arrête tout. Il m’est arrivé parfois de vouloir agrandir certains dessins d’une série, pour voir ce que ça donne et pour pouvoir proposer des choses de grande taille — je travaille assez petit, souvent max en A3. Et le résultat est souvent merdique, parce que justement je sors du truc de la série, du truc qui a un fil, qui se construit avec chaque dessin.

Gabriel Delmas : Comment te situes-tu par rapport à l’œuvre de Baselitz qui conjugue une force brute et un expressionnisme assez savant ? Souvent ce que tu fais me semble dans cette filiation, avec, en plus, cet apport « bande dessinée » assez essentiel puisque, outre la mise en place « graphique » de tes dessins, il y a aussi cette esthétique, cette dérision et un côté ludique… Quand j’étais étudiant, j’avais été très marqué par le carnet de dessin « Dessins 1962-1992 » de Baselitz, publié en 1993, par le Centre Pompidou. C’était très inspirant, parce que totalement libre et sans complexe. Il montrait surtout cette affirmation puissante de l’expression et une capacité d’invention de motifs, mais non systématiques.
Bien sûr il y a eu Picasso et Bacon avant lui, mais Baselitz a, j’ai l’impression, beaucoup influencé la pratique du dessin, et cette culture du dessin brut qu’on trouve dans les zines, en particulier.

Valfret Aspératus : Baselitz, je viens donc de découvrir. J’aime beaucoup les premières peintures, celles où il a eu des soucis avec la police. J’ai trouvé très peu d’images du livre de dessin dont tu parles. Je ne sais pas si je comprends tout à fait bien ta question. Je ne situe pas vraiment bien la différence entre force brute et expressionnisme savant. Ce que je peux te dire, c’est que je ne travaille pas d’un seul coup. Je travaille par séquence. Je laisse facilement reposer un dessin pendant plusieurs heures ou plusieurs jours. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je reviens assez souvent sur mes dessins. J’aime bien ce temps où on retrouve un dessin, où on le voit sous un œil neuf. Les choix sont alors plus évidents. Et là aussi, il s’agit aussi de piéger ses habitudes et ses propres limites. J’utilise beaucoup le Tipex ou le recouvrement, j’enfouis facilement des zones, je repentis, je change d’avis quoi.
Certaines personnes voient dans certains de mes dessins des choses assez éclatées, moi souvent je les trouve un peu trop tièdes. Si tu connais le travail de Silio Durt par exemple, le mien en comparaison semble aussi pâle que le carré blanc sur fond blanc de Malévitch.
J’étais dans une école des Beaux-Arts, donc j’ai eu des cours de perspective, de modèles vivants, etc On parlait de composition, de lignes de forces. Alors même si j’essaie d’envoyer chier ça un maximum, ça revient obligatoirement un peu. Tiens, je pense aux boulots de Ludovic Boulard le Fur aussi, qui dessine et peint dans un élan hyper puissant. Quand je suis passé chez lui à l’époque, il m’a montré un de ses derniers boulots : il avait peint sur toutes les pages d’une encyclopédie à l’encre de chine. Je ne sais pas combien de pages il avait fait, mais une chiée. Et il avait fait chaque dessin en un seul jet. C’est un truc dont je suis incapable, ça peut m’arriver mais au final, c’est assez rare. Comme il peut m’arriver de crayonner un dessin au préalable, mais là c’est encore plus rare.

Gabriel Delmas : En parlant de dessin… Puisque tu peux sauter d’un style à l’autre ou d’une forme, d’une expression à une autre, et je comprends parfaitement ça, je le fais aussi, et nous ne sommes pas très nombreux à le faire, parce que si c’est excitant, c’est aussi peu sécurisant, et pas très stratégique commercialement, mais il y a cette question d’ennui dont tu parlais et que je comprends aussi très bien je crois… Donc comment regardes-tu du coup un dessin plus classique, avec ses contraintes et ses sommes de connaissance, ses nécessités techniques, puis de pratiques lentes et rigoureuses ? On pourrait dire que le dessin classique est à l’opposé de tes expressions graphiques. Mais comme tu parais vouloir « visiter » beaucoup de formes, je me demandais si tu avais été tenté d’explorer ces possibilités.
J’aime souvent comparer le dessin et la musique, et on pourrait trouver incongru de mettre sur la même estrade le punk rock et la musique classique, pourtant on peut aussi parler simplement de mélodie. La peinture classique nous montre ce souci de réalisme, d’approfondissement des formes et des volumes, des nuances très complexes pour servir la représentation. On est dans un temps long contrairement au temps court de l’expression. La mélodie quitte la chanson, le titre court, pour devenir symphonie. L’énergie brutale permet-elle selon toi une expression complexe des sentiments ? J’ai noté que tu avais fait aussi des dessins qui sont justement très détaillés et minutieux, donc plus nuancés, plus lents certainement ; les rapprocherais-tu de ces temps artistiques longs qui demandent qu’on y revienne plusieurs fois (autant dans l’exécution que pour le spectateur) pour bien les comprendre ou s’en nourrir ?
Quand je regarde certains de tes dessins, j’ai la sensation d’une mutation hybride étrange de Mattioli et de Baselitz, mais pourtant avec cette base souterraine classique un peu cachée.

Valfret Aspératus : En fait, j’envisage le dessin comme une pratique globale, en soit tout m’intéresse et tout est jeu. Donc je travaille tout style de dessin. J’ai plein de carnets remplis, des carnets d’observations, de croquis ou de tests graphiques, à l’acrylique ou à l’aquarelle. Ça peut être du dessin fait en trente secondes jusqu’à d’autres très observés et travaillés. Ça peut m’arriver de travailler sur des dessins qui me prennent plusieurs semaines ou plusieurs mois pour les finir (comme les dessins pour la tranchée racine). Je peux faire des choses très obsessionnelles, avec des petites hachures partout et je suis capable de dessiner mes collègues pendant les réunions du boulot de manière tout à fait réaliste. J’aime a priori toutes les techniques et toutes les contraintes (y’a l’huile que je n’ai pas testé), j’aime les outils pourris, bref tout est prétexte à dessiner.

Gabriel Delmas : Si tu n’as jamais essayé l’huile, tu dois absolument le faire !… C’est l’orchestre symphonique, justement. Tout est possible avec l’huile. Mais c’est un temps long, avec une amplitude longue. On y crée de la chair, de l’espace et du temps. La peau est dense, pas comme cette peau de plastique que produit l’acrylique. Bien sûr ce sont des comparaisons un peu stupides, mais nous savons bien qu’une dimension particulière se trouve dans l’huile.

Valfret Aspératus : Oui, tu me donnes envie pour l’huile ! ! Quand tu dis : « Donc comment regardes-tu du coup un dessin plus classique, avec ses contraintes et ses sommes de connaissances, ses nécessités techniques, puis de pratiques lentes et rigoureuses ? » Clairement ça m’intéresse autant que le reste. A une époque je détestais ça, je catégorisais beaucoup. Maintenant non, c’est juste que dans ma pratique je ne peux plus le faire, ça tue le temps (et en ce moment, j’en ai assez peu). Et le dessinateur de bande dessinée classique incarne un peu cette pratique. L’auteur de bande dessinée travaille plus ou moins la même technique, les mêmes caractères, toute sa vie (c’est un cliché, il y un bien des auteurs qui cassent ça, je le sais, mais quand même ça reste une majorité). D’une certaine manière son but est de tracer un sillon et d’affiner ce sillon. Son dessin est asservi à l’histoire (les contraintes sont évidentes : le même perso doit se ressembler sur les différentes pages, il faut aussi ne pas oublier qu’une bande dessinée contient une palanquée de dessins, c’est pas une mince affaire, faut tenir la route). Aussi, plus il affinera sa technique, plus il pourra se concentrer sur le narratif, plus il sera libre car fort dans son propre langage.

Gabriel Delmas : C’est très vrai, et c’est cet artisanat qui m’ennuie le plus. Et surtout il demande une simplification du dessin et sa transformation en codes. Je pense qu’il y a une révolte actuellement contre les codes, qui sont des principes de l’industrie, du produit. Un savonnage des aspérités. Mais on voit aussi que la contre-culture utilise les codes pour les transformer. D’où ma comparaison de ton travail avec Mattioli pour le côté graphique et Baselitz pour le côté plus plastique.

Valfret Aspératus : Oui sans doute, je suis un dessinateur perdu entre ces deux lointaines balises GPS là. Je crois que je comprends ta différence en force brute et expression savante. Oui, bien sûr que l’énergie brute peut être une expression complexe des sentiments. Les deux peuvent être complémentaires.

Gabriel Delmas : Tu parlais de Silio Durt… et Tommi Musturi ? Tu suis ce qu’il fait ?

Valfret Aspératus : Oui Tommi Musturi bien sûr, Moolinex aussi dans une certaine mesure, mais le travail de Musturi est incroyable. Tu aimes aussi ?

Gabriel Delmas : Oui J’aime beaucoup le travail de Musturi. Il est assez éloigné du mien mais il est vraiment inspirant je trouve. Il a une facilité impressionnante pour passer d’un code à l’autre, justement. Je te trouve assez proche de lui. Dans la même famille, si on veut. En admettant que cette idée de « famille artistique » ait un sens…

Valfret Aspératus : Je vois ce que tu veux dire et ça me va si on me met dans sa famille comme tu dis, après lui ce qu’il en penserait, ce serait autre chose. Héhé, mais oui il y a du frénétique chez lui et la volonté d’aller sur tous les terrains et de les labourer. Son travail de bande dessinée est extra, précis, ligne claire, minimaliste et puis boom, il te fait des trucs violents, puissants… C’est le genre de boulot, je me demande comment il peut aller aussi loin, il a du faire voler ses limites, enlever ses œillères, avoir de la ressource etc…

Gabriel Delmas : C’est toujours le même concept de « territoire »… C’est ainsi que je vois le dessin.

Valfret Aspératus : Oui, le dessin est une expérience existentielle : la feuille définit l’espace-temps. Je démarre, je cherche quelque chose que je perds plus tard, je passe de grands moments de doute, j’ai des choix cornéliens, je traverse tout ça par la confiance, quand je suis perdu j’utilise les réflexes puis je les annule, je les brise, j’impose au dessin une règle très souvent (par exemple remplir telle type de zone comme ça) et puis au bout d’un moment je décide de casser la règle, de faire l’inverse sur une autre partie du dessin. Ce qui est chouette avec le temps, à force de s’être aguerri à ça, c’est que j’ai la certitude que ça va bien se terminer (pour le dessin en tout cas, héhé), je ne jette quasiment jamais de dessin. Par exemple, les paysages démoniaques sont nés d’aquarelles ratées que j’ai recouvertes en partie de gouache noire. Le résultat était une putain de joie .

Gabriel Delmas : Si tu as vu La grande nuit dans le seau de Baselitz, c’est à mon avis un tableau important, un tableau « borne » pour l’expressionnisme, comme le Saturne de Goya, Le Radeau de la Méduse, Le Cri de Munch ou Peinture 1946 de Bacon… L’art brut est une forme d’expressionnisme qui ne se voudrait pas savant, mais c’est aussi une sorte de fantasme, je crois. Le dessin n’est brut que dans ses premières tentatives. Après, il devient forcément science, savoir, et la somme de sensations du départ se transforme en « manière », « style ». J’apprécie particulièrement ta façon de défaire les styles par les techniques, en changeant de technique, donc cette façon que tu as de reculer le moment où ce que tu feras sera une « technique » (je joue un peu sur les mots, mais les sens pluriels sont là). Il faut chercher à se surprendre, il faut perdre l’équilibre, il faut être tenté par le précipice, l’erreur, le faux, le laid, tout ça, je le pense aussi. Même si, souvent, on m’a fait la remarque : « chercher l’accident est une technique comme une autre ». Oui, il faut admettre que c’est difficile de se passer de chemins. Plus on avance et plus on emprunte les mêmes chemins pour arriver à son « œuvre ». Ou on va regarder Basquiat, et se dire que c’est ça, c’est inscrire ses mots sur ce qui nous entoure, la porte d’un vieux frigo comme une toile, et défaire, recouvrir, ne garder que l’expression pure et sans cadres, sans présentations. On rejoint Van Gogh, la nécessité mystique de peindre, dessiner jusqu’à l’épuisement. Mais Van Gogh héroïque cherchait désespérément une reconnaissance, et puis aussi à vendre ses œuvres.

Valfret Aspératus : Je comprends bien, c’est très clair, tu décris et décomposes bien la chose. oui ça devient une manière de faire sur le long terme.
Donc oui, tout mettre en œuvre pour l’accident, c’est créer ses conditions et c’est une technique. mais elle est chouette, être dans une impro — impro au sens où évidemment, on a des automatismes structurels qui nous poussent à rester dans un certain cadre tout de même (je digresse mais je repense à une discussion avec Xavier Mussat qui en plus du dessin et la bande dessinée fait de la musique, enfin du bruit haha, de l’expérimental avec son groupe Aynar et il expliquait combien c’est dur de faire quelque chose de totalement déstructuré dans la durée, et combien en fait le réflexe est de revenir sur la route).

Gabriel Delmas : On décompose les sensations du dessin mais elles sont difficiles à expliquer…

Valfret Aspératus : As-tu lu l’Eloge de la main de Henri Focillon ?

Gabriel Delmas : Oui l’Eloge de la main, ce texte très fin et très intelligent de Focillon. Je l’ai lu il y a longtemps… ça me fait penser à l’œil et l’esprit de Merleau-Ponty aussi… je ne sais pas pourquoi. Peut être parce que j’ai dû les lire à la même époque. Je me souviens avoir écrit sur mon exemplaire. Je faisais beaucoup ça. Je griffonnais entre les lignes quand des idées me venaient. J’étais un peu obsédé par cette histoire du corps et de l’espace, de la peinture comme quelque chose de très physique. Ce qui est un peu contraire à la fabrique des images, courbé sur son bureau. La main n’a pas la même fonction d’ailleurs. Elle peut être un deuxième corps, avec une sorte de cerveau presque distinct.

Valfret Aspératus : Ah je le note dans ma longue liste de chose à lire.
Tiens je voulais aussi te filer des noms de personnes qui font des choses que j’aime beaucoup, j’espère que leur travaux peut t’intéresser : Monsieur Pimpant, Lotte Van de Walle, Nathan Saudek Olivier leloup, Jul Quanouai, Etienne Beck, y’en a d’autres mais c’est toujours quand on cherche qu’on oublie.

Gabriel Delmas : Je ne connais pas ces auteurs, à part Pimpant, je pense avoir déjà vu son site ou des vidéos de lui. Ce que fait Jul Quanouai m’intéresse, il faudra que je regarde de plus près. Merci.
Tu as fait plusieurs choses chez French Fourch aussi, tu as rencontré Tristan Pernet à quelle occasion ?

Valfret Aspératus : Avec French Fourch, j’ai fait un zine + un poster. On cause régulièrement avec Tristan qu’on va faire d’autres trucs, mais il y a plein de monde avec qui il veut bosser et puis il doit faire de quoi manger dans sa gamelle avec le Paris Print Club, donc. Je l’ai rencontré au festival Culture Maison, c’était un pote à Monsieur Pimpant, Pimpant faisant d’ailleurs partie de French Fourch à l’époque.

Gabriel Delmas : J’ai acheté ton zine ZinZin publié par Kaputt, je trouve ce petit livre vraiment génial. C’est vraiment un petit recueil de dessins, pas cher, bien édité (encore qu’il aurait gagné à être un peu plus grand, format A5). C’est aussi très riche, très inventif. Ce qui est intéressant, c’est qu’il pourrait être un cours de dessin pour les étudiants. Il y a tout dedans : de la perspective, de l’anatomie, des drapés, différentes manières d’utiliser les valeurs de gris par le trait ou le point etc… c’est une sorte de modèle. C’est assez incroyable, cette démonstration graphique. Si je dis que tu as un côté virtuose, ça ne va pas aller avec le côté « art brut » ?

Valfret Aspératus : Oui c’est un peu la même chose entre force brute et expressionnisme savant non ? C’est quelque chose entre les deux, quelque part dans le flou, loin des yeux, ça se rejoint. Le brut est un élan intérieur né d’un besoin impérieux et peu conforme aux goûts de la norme. Il est difficile d’en dire plus. Je travaille dans une institution pour personnes handicapées, il y a des autistes aussi, j’y anime un atelier dessin gravure à mi-temps, c’est des questions complexes tout ça. J’ai aussi bossé en pendant cinq mois dans un hôpital psychiatrique où j’y faisais de la bande dessinée. Là, on ne rentre dans la guerre des définitions, on marche sur des œufs, et un élément peut tout faire foirer : c’est pas parce qu’une personne ne communique pas sur sa manière de travailler, qu’elle n’élabore pas les choses tout de même, qu’elle ne porte pas un soin de construction à cette chose, l’autisme c’est un mystère immense, c’est l’univers. Et puis tous ces trucs, art brut, arts singuliers, art hors les normes etc, y a toujours un des mecs qui rentre pas complètement dans ces cases.
Regarde Wölfli, y’a un élaboration folle. Tous les dessins qu’il a produit. Il a forcément mis des choses en place. En fait je me définis pas dans ce genre de trucs, moi j’aime dire que je suis dessinateur comme je peux. J’ai un peu dérapé de ta question je crois, parce que virtuose c’est encore un peu autre chose, non ?

Gabriel Delmas : Oui justement, je soulevais un paradoxe. Ce que je voulais dire, c’est que ton dessin est tout sauf « brut » dans ce recueil, en tous les cas dans cette démonstration-là. Puisqu’il démontre, peut-être inconsciemment, les sciences du dessin.
Le côté « virtuose », c’est quand on sent en plus que c’est fait avec facilité. Il y a quelque chose d’évident, d’un peu Jazz, où l’improvisation montre une certaine jouissance ; on voit le créateur s’épanouir dans sa facilité à trouver des harmonies. C’est un peu contraire aux chemins plein de ronces du noise ou du brut. D’où ma question.
Mais pour moi l’art brut est un fantasme. (Je me répète) C’est un cul-de-sac intéressant (un de de plus) du vingtième siècle. Une des tentatives de trouver une pureté dans la pratique artistique. Alors que l’art peut être totalement lâche, opportuniste ou même sale dans ses intentions, sans perdre sa force. Et il peut être très savant tout en étant très sincère et très fort. Après tout, la Piéta de Michel-Ange est une commande, et une œuvre de propagande, ce qui n’enlève rien à son sublime. Elle reste bien plus puissante qu’un tableau réaliste soviétique représentant Staline bénissant les foules ou qu’une pub Kelloggs façon Disney, et qu’une sculpture de Dubuffet. On cherche surtout les émotions, les sentiments. Quelque chose qui n’a rien à voir avec des intentions propres, ou avec cette obsession de pureté du moderne.
Adolf Wölfli, oui c’est intéressant. Mais c’est différent encore. Je pense à Mary Barnes aussi. Je me souviens avoir lu son livre. C’était fascinant. Et je reviens à Van Gogh. Dans ses lettres, on voit sa quête d’absolu, un intégrisme quasi religieux transposé à la pratique du dessin et de la peinture. Et si on suit son évolution, on voit comment il part de quelque chose de très lourd et très embarrassé pour finir par atteindre une expression de plus en plus radicale et bouleversante. Mais on va toucher à la question de la quête de la force. Ou de la liberté. Ce qui revient au même. Il y a beaucoup de moyens d’y arriver. J’ai l’impression que tous sont valables à égalité. Que ce soit une application méthodique artisanale académique ou une « élaboration folle » (pour reprendre tes mots) à la Wölfli.
Mais en dehors de toute folie diagnostiquée, quand on commence à choisir cette occupation d’artiste, on doit sombrer dans ce monde un peu à part qu’est l’art. Art. Le mot fait peur aussi. De nombreux artistes ne veulent surtout pas qu’on les voit comme des artistes. Le mot les gêne. Pourtant c’est un métier comme un autre. On ne verrait pas un ouvrier à l’usine refuser d’être ouvrier. Ou chercher un en-dehors à la définition. Dire « oh vous savez, j’utilise juste les machines outils, je ne suis pas vraiment un ouvrier »… L’art c’est pourtant ça, un monde parallèle avec des outils et des choses à fabriquer. Des choses inutiles et pas pratiques. Mais il faut admettre une humanité qui fabrique de tels objets. Surtout si on est un ouvrier de cette fabrique. Il y a donc un savoir, des compétences. Adolf Wölfli avait un savoir particulier. C’était le sien. Son art. Son usine personnelle où il était seul.

Valfret Aspératus : Un virtuose du brut !

Gabriel Delmas : On voit les limites des positionnements et des classifications… Quels sont tes futurs projets pour 2017-2018 ?

Valfret Aspératus : 2017-2018, pas mal de bazars : un livre sérigraphié de 40 pages chez Ice Screen (éditeur bruxellois) ; le livre qui devait être publié chez UDA le sera chez Anne et Shige ; un livre chez Re :surgo, c’est censé être une collab dans leur nouvelle collection mais il vient de m’envoyer un mail pour me dire qu’il galérait à mettre en couleur… Un projet avec Anton Mobin, édité par Xavier Mussat. Je suis entrain de réaliser avec un pote un clip pour un morceau d’un groupe terrible qui s’appelle Unik Ubik. En affinant la technique pour le clip, j’ai trouvé un bazar qui me plait et du coup j’ai commencé une nouvelle série : les derniers dessins sur mon Tumblr. Ça ferait surement un zine.
Trouver un lieu avec un groupe d’amis pour créer espace de mise en commun de matoss genre presse à gravure et espace galerie, aussi sur Tournaiche, ce qui n’est pas évident.

Gabriel Delmas : Tu vas rester en Belgique ?

Valfret Aspératus : En Belgique, oui sûrement un peu. J’aimerais bien retourner du coté de Genève (je viens de Haute Savoie), j’ai des potes et j’aime le coin. Je m’ennuie assez vite comme tu le sais.

Gabriel Delmas : Quand tu voyages en Europe, tu dois voir pas mal de ces livrets graphiques d’environ 16 pages (plus ou moins) qui sont auto-publiés… Il y en a des centaines chaque année en France, peut être plus. Cette production underground parallèle au marché en librairie est chaque année de plus en plus importante, de plus en plus libre, tu la vois comment ?

Valfret Aspératus : Ah oui, tous ces ‘zines qu’on achète et qu’on regarde plus trop. Ben cette production existe et c’est assez miraculeux. C’est assez riche. Il y a là-dedans toute une faune bigarrée. Il y des éditeurs, des dessinateurs, des organisateurs d’événements (aussi des mecs et des nanas qui y traînent parce que c’est la mode ou c’est un peu rock’n roll, ou que ne sais-je). Qui vivent de peu, qui se regroupent, qui se mettent en lien, qui s’entraident. Qui produisent de la merde et du très bon, comme partout, qui éditent entre eux des choses qui se ressemblent et d’autres qui ne se ressemblent pas (des normes esthétiques se recréent). Il y a différents courants et techniques artistiques qui viennent percuter le médium bande dessinée, ça bouge, c’est énergique. J’observe que, à l’instar de la musique alternative, s’est créé tout un réseau européen de lieu d’expos ou de concerts, réseau assez dense, et maintenant on peut aller dans quasi n’importe quelle ville (bon je parle pas de la ville de 10 000 habitants hein) mais on peut y trouver un lieu d’expos, des petites structures d’éditions sérigraphies, riso, gravure etc, et des salles de concerts. Bref, on s’emmerde plus trop. Evidemment c’est un monde précaire, les gens ont peu de thunes. Mais ce n’est pas pour autant comme le voudrait le mythe du chemin vers la réussite, une parenthèse le temps d’accéder à quelque chose de plus clinquant, c’est je crois ce qui fait la force de cette production, de ce réseau-là, c’est que les gens qui y sont acteurs le sont pour des raisons vitales, artistiques et politiques.

Gabriel Delmas : Oui, et ça va s’intensifier, je pense. Merci Valfret, et on va suivre tout ça.

Valfret Aspératus : Merci pour cet échange, ça me force à réfléchir à ma pratique, à mettre les choses en perspective. je suis quelqu’un qui intellectualise beaucoup en général, parfois trop, et là avec le dessin, je ne sais pas, je garde les choses un peu à distance.

Entretien par en mars 2017