Le Lézard Noir

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Douze ans après sa création, le Lézard Noir semble avoir atteint, en 2016, une forme de plénitude, superbement incarnée par la sortie remarquable (et remarquée) du Chiisakobé de Mochizuki Minetarô. A l'opposé de l'image proprette du "Cool Japan", retour sur l'aventure d'un éditeur passionné.

Xavier Guilbert : Tu fondes Le Lézard Noir en 2004. Nous voici en 2016, à nouveau l’Année du Singe — donc cela fait douze ans, un cycle complet du zodiaque japonais. Quel bilan tires-tu de ces douze années ?

Stéphane Duval : Quand j’ai lancé Le Lézard Noir, c’était avant tout pour éditer Maruo Suehiro. Je l’ai rencontré chez lui, et je me suis dit : je veux éditer quelque chose de lui. En réalité, je ne connaissais pas grand-chose au manga et n’avais pas du tout imaginé me lancer dans l’édition de manga, même si la dernière bande dessinée que j’avais lue, c’était Akira à sa sortie en France. Par la suite, je ne me suis intéressé qu’à la musique, j’ai été disquaire pendant des années. Mais à travers les pochettes de disques et l’art japonais, la photographie, l’art du bondage, de fil en aiguille je suis arrivé à Maruo, qui m’a ramené au manga. C’est pour ça que les premières années, on était surtout centré sur de l’ero-guro.
Aujourd’hui je me fais toujours autant plaisir, même si c’est fatiguant. Ici à Angoulême, c’est un peu un baromètre qui me permet de me positionner, de savoir où j’en suis par rapport au métier, parce que je n’en vis pas. Le fait d’être reconnu en Sélection, tous les ans, avec un titre, ça me remotive. C’est un challenge tous les ans de se réinventer : qu’est-ce que je vais réussir à trouver au japon, que je vais être en capacité d’acheter, et qui va également pouvoir trouver sa place dans le catalogue.

Xavier Guilbert : Pas que du manga, d’ailleurs. On trouve aussi dans ton catalogue des livres de photos…

Stéphane Duval : Oui, on a fait plusieurs livres de photos (bondage, architecture) et puis il y a le livre de Makoto Aida Mutant Hanako, dont je suis très fier, et qui est à la marge manga/livre d’artiste. C’est un pastiche de manga, avec tous les poncifs du manga hentai dedans. Il y a eu vraiment toute cette démarche d’être à cheval, en fait. C’est-à-dire de ne pas être dans le monde de la bande dessinée, tout en y étant — à la croisée de plusieurs territoires, afin de proposer un outil de décryptage du Japon contemporain et underground, et qui me parle. Et à travers cette recherche en bande dessinée, par l’entremise du Lézard Noir, de continuer à explorer l’univers japonais.

Xavier Guilbert : « Japonisme et décadence ».

Stéphane Duval : Alors ça, c’était mon premier « credo », parce que j’étais peut-être un peu plus provocateur quand j’étais plus jeune. Il y avait ce côté fougueux, tu vois, ce mélange de Mishima Yukio, du bondage, etc. Effectivement, c’est assez réducteur, comme thème, et très vite, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je reste enfermé là-dedans. Je ne suis pas constitué que de ça, c’est une partie de mon imaginaire, mais j’ai une vie tout à fait « normale ». Le tout a été d’imaginer comment on allait pouvoir, petit à petit, ouvrir le catalogue et sortir un peu de ce japonisme décadent, et d’un catalogue où l’on trouvait principalement du Maruo.
La première étape, a peut-être été le Vagabond de Tokyo de Fukutani Takashi. Pourquoi le Vagabond de Tokyo ? Parce que du temps où j’ai publié Maruo, je ne connaissais pas trop le Japon, mais en vivant avec une japonaise, en y allant régulièrement, j’ai vu qu’au Japon les codes, les signes étaient très différents de chez nous. A travers le Vagabond de Tokyo, je me suis dit qu’on allait peut-être pouvoir explorer un peu plus profondément la cellule familiale, la société, les travers, les choses cachées… Quand j’ai découvert le Vagabond de Tokyo, c’était sur une pile de livres, il y avait ces quatre types sur la couverture, et je me suis dit : « cette bande de lascars, il doit vraiment se passer un truc rigolo avec eux. » Et c’est comme ça que j’ai fait le Vagabond de Tokyo. Quelques personnes ont été surprises, et j’ai entendu dire : « tiens, qu’est-ce qu’il fait, Le Lézard Noir ? Il se lance dans le manga « grand public » ? » Finalement, c’est un titre qui a plu à beaucoup de monde et qui a aussi interpellé mon lectorat habituel, et c’est quand même ma meilleure vente aujourd’hui en manga. Donc c’était déjà le passage à un cap supérieur. Ensuite, on a continué à explorer le gekiga, plutôt d’avant-garde. Des auteurs parfois méconnus, mais qui sont majeurs au Japon, comme George Akiyama, qu’on a réussi aussi à avoir en Sélection à Angoulême.
Plus récemment s’est posée la question de ne pas rester éternellement affilié au patrimoine. Alors oui, je suis content d’être dans la Sélection du Patrimoine à Angoulême, mais à un moment donné, il faut arriver à en sortir. L’an dernier, on était quand même en patrimoine, mais c’était avec le livre de Bonten Tarô, qui n’était pas sorti sous cette forme-là au Japon, donc on était quand même un peu dans la création. C’est un livre qu’on a construit ensemble avec des contacts japonais.

Xavier Guilbert : C’est un peu pareil quand même pour le Vagabond de Tokyo. Tu n’as pas repris les trente et quelques volumes de la série…

Stéphane Duval : Pour la première anthologie, elle était sortie chez Seirinkôgeisha telle quelle. Pour les autres, on a fait un choix ensemble avec Miyako Slocombe. Elle vient à la maison, elle regarde un peu les volumes par tranche de 10, elle me fait un premier choix d’histoires, puis je lui dis : « tiens, il y a cette histoire qui me plait plus au niveau graphique », et ça va se jouer sur du ressenti. Et c’est de cette manière qu’on en vient à construire les différents volumes de l’anthologie.
Quand j’ai découvert le personnage Bonten Tarô, je me suis dit : il faut qu’on puisse le présenter, pas uniquement comme un manga-ka, mais montrer ses différentes facettes. Et comme pour mes premiers livres, celui de Makoto Aida ou ceux d’Akino Kondoh, il y a eu cette volonté aussi de faire parler l’artiste, de parler sur l’artiste, et de montrer son travail qui va au-delà du manga. De montrer uniquement une bande dessinée de Bonten Tarô, cela n’a pas grand intérêt. C’est bien, mais ça ne révolutionne rien en termes de narration. Par contre, son histoire nous montre que Bonten Tarô est un chaînon manquant dans le manga au Japon, et même si beaucoup de gens l’ont oublié au Japon il reste une figure marquante pour les spécialistes. Marquante, parce qu’il était aussi tatoueur, parce qu’il se décrivait lui-même comme yakuza, qu’il était chanteur, acteur… Il y aurait quasiment une histoire à faire sur les mille vies de Bonten Tarô. Donc voilà, c’était un livre de création en patrimoine et j’étais un peu déçu l’année dernière de ne pas avoir de prix avec, parce que j’avais vraiment mis beaucoup de moi-même dedans. Et donc, en repartant d’Angoulême, je me suis dit : « allez, c’est cuit, de toute façon, on sera toujours en Sélection Patrimoine »… et il s’est trouvé qu’entre-temps je suis tombé sur Chiisakobé, que j’ai fait une offre, qu’on l’a sorti, et qu’il est aujourd’hui en Sélection, et là, je sors du Patrimoine. J’ai montré que j’étais capable aussi de faire du contemporain.

Xavier Guilbert : Tu en avais déjà fait un petit peu.

Stéphane Duval : Il y a Tonoharu de Lars Martinson, peut-être, si l’on veut…

Xavier Guilbert : Je pensais aussi à Soldats de Sable de Higa Susumu, qui est plus récent.

Stéphane Duval : Soldats de Sable, c’est plus récent, mais ça reste quand même un auteur d’une soixantaine d’années, qui était déjà à la marge de Garo. Là, avec Mochizuki Minetarô, on est avec un auteur qui n’est pas du tout Garo. On est chez un très gros éditeur, Shôgakkan, donc on traite aussi avec des majors de l’édition, ce qui n’était pas mon habitude. Jusqu’à maintenant, je traitais soit avec des petits agents, soit directement avec l’auteur, soit avec un intermédiaire, mais je me faisais un point d’honneur de travailler sans intermédiaire officiel de type grandes agences.

Xavier Guilbert : Dirais-tu que cela a été aussi pour toi une sorte d’apprentissage du travail d’éditeur, et plus encore du travail d’éditeur avec des japonais ? Ou est-ce que tu as été finalement plutôt chanceux, en y allant sans te poser de questions ?

Stéphane Duval : En fait je n’ai pas accès à énormément d’éditeurs. Il y a beaucoup d’éditeurs, au Japon, qui ne veulent pas travailler avec moi, parce qu’ils ont suffisamment de gros éditeurs ici, et ils ne voient pas ce que cela pourrait leur apporter de plus. Avec Shôgakkan, cela s’est passé différemment. Il y a une dizaine d’années, on s’était approchés au sujet d’Umezu Kazuo et Tsuge. Puis à moment-donné, ils se sont dit : « non, il y a déjà suffisamment d’éditeurs en France, on ne va pas en rajouter un de plus. » Bon, très bien. Et puis plus récemment, on s’est recontacté de nouveau, je les ai rencontrés à Bologne, je leur ai montré mes livres, et ils se sont dit que oui, ce serait peut-être bien de faire plaisir, entre autre, à monsieur Umezu, avec une belle édition de ses livres. Je leur ai dit : « écoutez, si on arrive à faire une belle anthologie ensemble, peut-être que ce livre pourra être en Sélection à Angoulême ». Ils m’ont fait confiance là-dessus. Ensuite il s’est trouve que je suis tombé au Japon sur Chiisakobé juste après avoir rencontré Umezu chez lui. On sortait d’interview, j’entre dans une librairie, et ce bouquin me saute aux yeux. Alors je regarde qui en est l’éditeur et c’est Shôgakkan. J’ai fait une offre assez rapidement, il a fallu que j’explique de quelle manière cela pouvait rentrer dans mon catalogue, ce qui fait que j’ai plutôt axé sur le côté littéraire, et Shôgakkan m’a fait encore confiance. Je suis assez content que les deux livres que j’ai signés avec eux se retrouvent tous les deux en Sélection à Angoulême. Ça montre aussi que j’ai peut-être du nez sur ce coup.

Xavier Guilbert : Le Lézard Noir, ce n’est pas que du manga — il y a les livres sur l’architecture, sur une forme de création contemporaine, ce que tu fais dans le domaine de la jeunesse…

Stéphane Duval : Oui, c’est un peu protéiforme, ou multiforme. C’est vrai que c’est un peu compliqué à suivre comme ça. Mais Chiisakobé, en fait, pourquoi ce livre ? Tout d’abord, il m’a plu d’un point de vue graphique. Le look des personnages, c’est vraiment très actuel. Quand je l’ai vu sur cette table dans une librairie, je sortais donc de ce rendez-vous avec un l’éditeur d’Umezu qui me disait : « oh, il y a un bouquin que j’ai sorti, tout le monde se bat en ce moment pour l’avoir en France ». Deux heures après, je tombe sur Chiisakobé, et je me dis : voilà, je suis sûr que c’est ça, mais au final c’était pas ça. Alors je regarde, c’est vraiment pas mal, il y a quelque chose dedans au niveau du trait, on est vraiment beaucoup plus proche d’un Adrian Tomine, d’un Daniel Clowes — c’est tellement pas japonais, et en même temps il y a quelque chose de profondément japonais dedans. Ce qui est complètement étonnant. Au ressenti, parce que je ne parle pas japonais, je ne le comprends pas, je ne le lis pas. Mais il y avait vraiment quelque chose. Il se trouve que je l’ai fait lire à ma femme, puis à Miyako ma traductrice, qu’elles l’ont trouvé super. Ma femme l’a validé, alors qu’elle n’est pas du tout fan de ce que je fais au Lézard Noir. Mais elle m’a dit en gros : « ça, c’est… j’aurais moins de honte à le porter » (rire).
Après avoir fait la traduction, l’avoir maquetté, je me suis rendu compte que finalement, il s’y trouvait énormément de choses qui étaient de mon quotidien. Il y a beaucoup de scènes qui me rappellent des scènes quotidiennes à la maison. Il y a le fait aussi que le personnage principal est architecte, qu’il cite Zaha Hadid ou Frank Lloyd Wright, alors que je travaille pour un espace d’exposition d’architecture contemporaine. Donc finalement, même si je ne l’ai pas signé pour ça, il s’est trouvé après coup qu’il me parlait bien, qu’il y avait une logique et qu’il était peut-être la pierre angulaire qui allait me permettre d’ouvrir le catalogue.

Xavier Guilbert : C’est un petit peu le trait d’union entre la partie des ouvrages de photos, d’architecture et de création contemporaine, et le manga.

Stéphane Duval : Tout à fait.

Xavier Guilbert : C’est pour ça que je voulais revenir sur le terme de « japonisme ». Pour moi il y a beaucoup d’éditeurs qui sont « mangaphiles », et je n’ai pas l’impression que ce soit ton cas.

Stéphane Duval : Je n’en lis pas, par manque de temps, donc…

Xavier Guilbert : Tu es plus dans le japonisme, dans un intérêt pour le Japon…

Stéphane Duval : Alors, le « japonisme », il y a tout le temps le côté vaguement péjoratif de la fin XIXe. Justement, ce qui m’intéresse, même s’il y a « japonisme », c’est de décrypter le Japon réel, et de sortir de la carte postale. Le Japon des cerisiers en fleur, c’est très joli, mais ce n’est pas mon truc. Mon Japon, c’est le Japon l’été, par exemple. Il y a quelque chose qui est du domaine cinématographique, dans le sens où quand je dis « le Japon l’été », c’est qu’il y a le chant des cigales qu’on entend dans les films. Ma démarche est très cinématographique et très photographique, aussi. Ne parlant pas japonais, je signe les livres sur un ressenti visuel, d’un découpage, et surtout d’une thématique très urbaine. Il faut qu’il y ait de l’urbanisme dedans et toujours ces plans cinématographiques.

Xavier Guilbert : Depuis que tu as créé Le Lézard Noir, tu passes quand même plus de temps au Japon, j’ai l’impression.

Stéphane Duval : Oui, quand j’ai créé Le Lézard Noir, je n’y étais allé que deux fois. Aujourd’hui, j’y vais tous les ans, mais à chaque fois un petit peu plus longtemps. Je n’y ai jamais vécu, mais tu as raison, j’y passe plus de temps.

Xavier Guilbert : As-tu l’impression que cela a changé ton regard ?

Stéphane Duval : Bien sûr, parce que j’habite dans une petite ville, Poitiers, qui n’est pas du tout urbaine. Le fait de s’immerger dans ce maillage du train du Japon, ça me fascine. Je le vois comme un organisme vivant, d’autant plus que le fait de travailler aussi pour un espace d’exposition d’architecture contemporaine m’a sensibilisé à la notion d’urbanisme, la notion de déplacement dans la ville. La notion de centre-ville aussi, puisqu’il n’y a pas de centre-ville au Japon. Tout cela, ça m’interpelle, de voir comment nous concevons ici la ville qui doit être obligatoirement construite autour du pouvoir politique : la mairie, cœur de ville, la préfecture à tel endroit… Au Japon, finalement, on ne connait que la gare, parce que c’est l’endroit où passent les gens et que tous les services passent par là. J’aimerais monter une mission d’urbanisme et d’architecture, au Japon, pour repenser peut-être la ville différemment, et faire un… une politique à 180° de ce qui se fait actuellement, puisqu’aujourd’hui certains centres-villes sont en train de mourir du fait de l’explosion des cités-dortoirs et des centres commerciaux. Peut-être que si on allait s’inspirer du Japon, si tu prends la gare de Poitiers, c’est peut-être là que l’on installerait l’annexe de la mairie, le supermarché, etc. comme au Japon. Peut-être que cela fonctionnerait mieux, avec des déplacements pendulaires entre grandes structures, pour sortir de cette vision un peu archaïque, quelque part, d’un centre-ville historique. Donc à travers tout ça — mes interrogations sur la vie de la cité, l’organisation politique — tout cela se mélange à la photographie et au reste. et cela construit Le Lézard Noir, qui suit au final mes obsessions ou mes interrogations du moment.

Xavier Guilbert : A ce stade, je ne peux pas m’empêcher de parler de Mangapolis, qui s’inscrit pleinement dans cette démarche.

Stéphane Duval : Bien sûr. Ça fait quoi, onze ans que je suis directeur de la Maison de l’Architecture à Poitiers ? Mais je n’y avais jamais mis mon intérêt personnel. On s’est posé la question, car on savait toucher et sensibiliser les architectes, les enfants plus jeunes, mais on ne savait pas vraiment comment sensibiliser les adolescents. C’est là que j’ai expliqué à mes partenaires que je travaillais dans le manga, et qu’il y avait peut-être quelque chose à faire autour de ça. Mon conseil d’administration a dit : « bingo, lançons une exposition », et c’est à ce moment-là que je t’ai sollicité pour en assurer le commissariat, et qu’on a essayé de décrypter cette ville différente. Je trouve que c’est super intéressant, quand on fait des ateliers avec des gamins : on leur met par exemple la Rue de la Tranchée où je bosse, et on leur demande d’y placer le mobilier urbain d’une ville japonaise. Après, ils apprennent à lever les yeux, et regarder de quoi est fait leur environnement. Toute cette réflexion m’intéresse, et c’est sûr que Mangapolis a été aussi l’ouverture et la transition vers une collection de livres d’architecture. Suite à ça, on a aussi fait un livre sur l’art contemporain avec Sophie Cavaliero. Sophie Cavaliero m’a présenté le photographe Jérémie Souteyrat qui fait un travail personnel sur la maison contemporaine japonaise. On a décidé de faire un livre de photos ensemble, du livre est né une exposition, puis un catalogue et au final, on a deux livres qui pour moi sont marquants sur l’architecture domestique contemporaine japonaise, qui sont L’archipel de la maison et Tokyo no Ie. Un safari urbain, uniquement photo, livre d’art, et le premier qui est une traite de la maison japonaise au cours du XXe siècle, avec son inspiration occidentale, comment elle s’est transformée, comment on l’habite et comment on la vit. C’est un livre qui a très bien marché, on vient de le réimprimer, l’exposition tourne, et ça donnera l’occasion, je pense, à un prochain livre sur l’architecture futuriste au Japon, dont le métabolisme.
Tu vois, tout se fait au fil de mes rencontres : je ne m’interdis aucune ouverture de catalogue, le problème, je le conçois, c’est comment arriver à faire cohabiter tout ça, parce qu’on peut se dire qu’il n’y a pas de cohérence et que ça part dans tous les sens. Mais pour moi, c’est très cohérent.

Xavier Guilbert : Tu ne t’es pas retrouvé tenté, au moment où s’est présentée cette ouverture vers l’architecture, de créer une autre collection ? Tu as le Petit Lézard pour la jeunesse, mais là, ce sont des choses que tu publies au Lézard Noir.

Stéphane Duval : C’est compliqué, parce qu’évidemment, quand on présente à certaines personnes qu’on va faire une collection architecture à côté du Maruo, avec un logo Lézard, ça paraît bizarre.

Xavier Guilbert : Après, le format des livres est très différent, il y a une signature.

Stéphane Duval : Mais ce n’est pas si éloigné que ça. Une personne qui achète L’archipel de la maison peut acheter Chiisakobé. Les deux peuvent être chroniqué dans A vivre… par exemple.

Xavier Guilbert : En t’entendant, toujours pour revenir sur cette idée de « japonisme », mais sans pour autant qu’il y ait des connotations négatives, en l’opposant à la « mangaphilie », j’ai l’impression que tu es plus dans l’altérité de ce qu’est le Japon, que dans la volonté que l’on rencontre beaucoup chez les gens qui partent vivre au Japon, de devenir plus japonais que les Japonais.

Stéphane Duval : Mais je suis 100 % franchouillard, et pourtant, le Japon m’amène quelque chose, et m’a aidé à me comprendre moi-même en tant que français. Il y a des choses qui me hérissent le poil là-bas, et en même temps il y a des choses qui me fascinent. Ce qui me fascine, c’est la présence de Eros et Thanatos, et le fait que la terre soit vivante et que ce soit une terre panthéiste, peut-être. Je suis intimement proche du shintoïsme, l’animisme me parle. Et Le Lézard Noir — c’est un peu un outing — Le Lézard Noir fait partie pour moi d’une quête hermétique globale.

Xavier Guilbert : Ce qui se retrouve jusque dans ta raison sociale

Stéphane Duval : Oui, je me suis beaucoup intéressé à tout ce qui relevait de l’occultisme, plus jeune. Enfin, occultisme, c’est un peu péjoratif, mais hermétisme. Je me suis beaucoup intéressé à l’alchimie, à toutes ces choses-là, ça fait partie d’une recherche personnelle. Et le Japon a été un cap déterminant dans cette recherche. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais il y a là quelque chose qui relève de l’intime, et qui fait que quand je vois un petit temple d’inari au milieu d’une forêt, je me sens chez moi. Pour moi, l’un des plus beaux symboles hermétiques, c’est le torii, qui veut tout dire. Tu as juste un bout de bois posé sur deux autres bouts de bois, c’est une porte qui est là, et c’est juste la perception qu’on a soi-même du monde qui va te permettre de voir ce qu’il y a derrière cette porte. En ce sens-là, c’est pour moi une quête hermétique.

Xavier Guilbert : Quand tu parles d’intime, c’est quelque chose que je retrouve dans ton catalogue. Il y a des choses qui sont très japonaises — comparé à d’autres mangas qui sont plus globaux dans leur thème ou leur narration, le Japon il est là, il vibre. Le vagabond de Tokyo est un portrait assez incroyable du Japon des années 1980.

Stéphane Duval : Sans concession, bien sûr.

Xavier Guilbert : Une part que le Japon lui-même n’est pas forcément prêt à accepter.

Stéphane Duval : Bien sûr. Mais même ici. Je me souviens de chroniques je crois dans Animeland, où on disait : « mais pourquoi faire une bande dessinée sur cet auteur dégueulasse, qui est alcoolique ? » Ce qui était intéressant, c’était de montrer un Japon éloigné de la culture kawaii et du Cool Japan. Celui véhiculé par Bonten Tarô — et avec Bonten Tarô, tu découvres Kaze Shinobu, tu découvres Miyaya Kazuhiko, et tu réalises qu’il y a eu une forme de manga qui était très contestataire. Ce qui est intéressant, c’est de montrer cette révolte intérieure qui se traduit artistiquement. Parce que cette révolte, elle est contre l’ordre établi, et quand il est injuste, c’est quelque chose de sain à mon sens. Le Lézard Noir, avec ses modestes moyens, y contribue, quelque part. Miyaya par exemple a fait un livre que j’aimerais éditer qui s’appelle Nikudan Jidai, où apparaît Mishima

Xavier Guilbert : Le « fleshbomb style »

Stéphane Duval : Voilà, ce nikudan gekiga. Et là, avec un ami, qui s’appelle Udagawa Takeo, on s’est dit qu’on allait continuer à éditer les auteurs de cette scène — je veux continuer à faire du Chiisakobé, ouvrir mon catalogue, mais je veux aussi montrer à la face du Japon et la face de la France aussi, qu’à travers cette bande dessinée, des gens ont décidé de lutter. Un peu comme Wakamatsu Kôji au cinéma, comme l’a fait l’Armée Rouge de son côté, ou Mishima à sa manière. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer ça : ce qu’on essaie de gommer par le Cool Japan.

Xavier Guilbert : Tu envisages donc d’explorer ce qu’Udagawa avait traité dans son Manga Zombie , qui est absolument fabuleux, dans lequel on retrouve déjà George Akiyama, Miyaya…

Stéphane Duval : Bien sûr. Le livre d’Udagawa a été mon livre de chevet. Et ça a été une rencontre phénoménale, parce que avant tout, c’est une personne très sympathique, professeur d’université. Il organise des soirées Lézard Noir quand je viens l’été avec de la musique, des débats etc. On a prévu, d’ailleurs, de faire une revue ensemble. Une revue qui serait protéiforme, qui serait très « Lézard Noir ». Ça pourrait s’appeler Barakei, en hommage au livre de photos de Mishima. Là on m’a dit : « attention, bara, c’est très connoté homo au Japon, les roses… » Mais je trouve que c’est un mot qui claque, « Barakei ». Après, il faut le temps de le faire, mais ça recouvrirait aussi bien des interviews de manga-ka du nikudan gekiga, de la photographie, pourquoi pas d’architecture futuriste, d’occultisme ; d’essayer de mettre en fait tout ce qu’a fait Le Lézard Noir dans une revue, qui pourrait être annuelle. De faire ce pont avec des gens qui luttent intérieurement et par leur expression artistique au Japon — dans le butô, dans le manga, dans le tatouage, pourquoi pas — et d’essayer de faire une sorte de plateforme où les gens pourraient se rencontrer, échanger, travailler ensemble. C’est cet aspect de rencontre qui m’intéresse, avec le Japon. Tu connais le Japon mieux que moi, c’est ce côté fil d’Ariane, où labyrinthe, tu découvres une porte, et derrière cette porte il y a encore une autre porte… Ça ne veut pas dire qu’il n’y est pas ça en France, mais il y a quelque chose de fascinant au Japon.

Xavier Guilbert : Udagawa Takeo, de ce que j’ai vu, est d’ailleurs très branché sur tout ce qui est « subculture » au Japon — cette culture alternative qui va dans la musique, dans les performances…

Stéphane Duval : … dans le théâtre expérimental. Il m’a lancé sur la troupe de l’Aquarium Theater, il m’a dit : « va voir telle pièce de théâtre à Kyôto », et j’ai vu Le lys dans la vallée adapté par l’Aquarium Theater en version Shinjuku fin des années 1960, et c’était magnifique. J’ai vu qu’il y avait des gens qui travaillaient encore le théâtre à la manière de Terayama Shûji. La même semaine j’ai vu le musicien de Terayama, J.A. Seazer, qui refaisait Jashumon au théâtre Za Koenji. Cette expression est encore vivace au Japon, finalement. Et elle ne demande qu’à se faire connaître un petit peu mieux, au-delà du Cool Japan.

Xavier Guilbert : Tu parlais tout à l’heure d’entretiens avec des manga-ka. Ce que je note aussi dans ton travail d’éditeur, c’est cette volonté de ne pas livrer l’œuvre seule, mais de l’accompagner soit d’introductions, soit de traductions d’entretiens, pour qu’elle soit contextualisée.

Stéphane Duval : Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je ne parle pas Japonais, je ne le comprends pas, donc il faut qu’on m’aide à le décrypter. J’ai aussi assez peu de temps à consacrer à mes recherches personnelles. J’ai un peu du mal à concevoir qu’on puisse publier certains livres sans un minimum d’appareil critique. Certains livres s’inscrivent dans une histoire, ça ne vient pas gratuitement.

Xavier Guilbert : Tu disais que le Bonten Tarô était le seul bouquin qui relevait d’une véritable création de ta part. En même temps, les éditions japonaises qui proposent une sorte de postface en forme d’entretien sont rares. Là-aussi, il y a une forme de création de ta part.

Stéphane Duval : Oui, on l’a fait pour quasiment tous les premiers livres. Même pour le Vagabond de Tokyo, j’aimais bien avoir une petite introduction. J’aime si ça peut lancer une discussion, un débat, une rencontre. Et amener un nouvel éclairage.

Xavier Guilbert : Pourtant, chez beaucoup d’éditeurs, c’est complètement absent. C’est dommage de ne pas fournir de contextualisation pour certaines œuvres, alors que c’est quasiment toujours présent chez toi.

Stéphane Duval : Ça me paraît vraiment important. Il se trouve que quelque fois elle y est : pour La maison aux insectes, ce n’est pas moi qui ai demandé l’introduction à Kurosawa Kiyoshi, elle était dans l’édition japonaise. Je n’ai pas besoin de refaire un texte de plus pour expliquer. Elle se suffit à elle-même.

Xavier Guilbert : Oui, tu reprends la réédition de Shôgakkan.

Stéphane Duval : Exactement. Pour certains livres, ça n’y est pas. Pour La Chenille, je trouve ça dommage de ne pas resituer ce livre dans le contexte politique et littéraire de l’époque ; à quel moment le roman original a été écrit… Pour moi, ce serait une faute de ne pas l’accompagner comme il se doit, c’est pourquoi j’avais demandé à Miyako un texte sur le corps difforme au Japon.

Xavier Guilbert : Tu as évoqué un certain nombre de projets — du Miyaya, ce projet de revue… Je note que tu es assez fidèle à certains auteurs : Maruo est très présent, tu t’es beaucoup attaché au Vagabond de Tokyo

Stéphane Duval : J’ai un côté très familial ou clanique.

Xavier Guilbert : Donc tu viens d’accueillir Mochizuki Minetarô dans ta famille…

Stéphane Duval : Oui. J’ai fait d’autres propositions sur d’autres Mochizuki, on verra si ça passe. Ce n’est pas forcément chez le même éditeur. C’est aussi la raison pour laquelle je l’invite : pour qu’on instaure un dialogue un peu plus poussé aussi avec son éditeur. Pour qu’il voit le travail qu’on fait. J’aime les gens qui ont une colonne vertébrale. J’aime les gens qui sont fidèles à la parole donnée ou un engagement pas forcément écrit. Je suis un peu « old school » sur ces aspects.

Xavier Guilbert : C’est très japonais, aussi.

Stéphane Duval : Quelque part, peut-être — enfin, le vieux Japon. A la Bonten Tarô, c’est pour ça que j’aurais beaucoup aimé rencontrer Bonten Tarô. On aurait probablement été très différents sur des tas de sujets, mais on aurait probablement partagé certaines valeurs. Pour revenir à Maruo, je pensais qu’il aurait été plus à même de me défendre, sachant tout le travail que j’avais fait pour faire connaître son travail ici, quand il a changé d’éditeur. (un long silence) Fin de la discussion (rire).

Xavier Guilbert : Justement — est-ce que c’est dur d’être éditeur aujourd’hui ? Comment est-ce que tu le vis ? Parce que ce n’est pas ton activité principale…

Stéphane Duval : J’aimerais bien que ce soit mon activité principale. Mais si je voulais en faire mon activité principale, il faudrait évidemment que je n’édite pas que du gekiga, parce que ce n’est pas ce qui se vend le plus. On parlait de cap tout à l’heure, effectivement, il faut que je passe des caps. Chiisakobé va être un cap, maintenant, est-ce que je continue à faire de l’édition comme une activité annexe, secondaire, qui est une passion dévorante — trop dévorante. Parce qu’avec un vrai travail à responsabilité la journée, faire neuf à douze bouquins dans l’année, ça devient quasiment du n’importe quoi. Surtout sur des sujets assez variés. Alors c’est sûr qu’il y a des bouquins qui viennent quasiment clé en main, mais quand même, c’est du boulot. Il y a aussi tout l’aspect en coulisses : la gestion, la comptabilité, le suivi du graphisme, la relecture, les colis, la VPC… ce n’est pas qu’un travail éditorial. C’est un travail éditorial multicarte, touche à tout. Jusqu’à la communication : il n’y a pas d’attaché de presse, donc…

Xavier Guilbert : Cela étant, il y a des choses que tu as appris à mieux faire. Je me souviens quand on avait travaillé sur Mangapolis, tu me parlais du fait que tu avais un garage entier d’invendus du premier Maruo que tu avais édité.

Stéphane Duval : J’ai appris à gérer — des Maruo il y en a moins, parce que depuis dix ans ils ont fini par se vendre un petit peu. A l’époque, il fallait acheter 3000 exemplaires aux Japonais. C’était un minimum garanti de 3000 exemplaires pour les bouquins. Ils ont fini par revoir les choses à la baisse, et aujourd’hui on est sur des quantités beaucoup plus cohérentes. J’ai appris à gérer aussi. J’étais très fidèle à des imprimeurs qui ne me l’ont pas forcément rendu, donc aujourd’hui je vis ma vie. Et puis oui, on sait mieux faire des livres. Mais j’en parlais avec Jean-Louis Gauthey de Cornélius l’autre jour, qui me disait : « il m’a fallu dix ans pour savoir faire un livre et encore, il m’arrive de me planter. » On apprend toujours. L’imprimerie n’est pas une science exacte. On fait parfois des boulettes sur des bouquins qui peuvent nous coûter cher. Un truc tout con, il y a eu un problème quand on a fait La Chenille sur la dorure à chaud, les couvertures sont parties à la benne et voilà, tu perds 1500€ sur des erreurs d’inattentions. Donc oui, les bouquins aujourd’hui sont un peu mieux faits, mais il y a encore du boulot à faire. Mon souhait, c’est d’arriver à toucher un public large, tout en étant exigeant sur la qualité sans pour autant faire du trop cher, trop luxueux…

Xavier Guilbert : De l’extérieur, ce qui me surprend un peu, c’est cette économie du livre qui repose sur des sommes qui peuvent être conséquentes, mais sans être non plus mirobolantes. On parle toujours du cinéma avec des millions, mais quand tu parles de 1500€ pour les couvertures…

Stéphane Duval : Le problème, c’est que le retour sur investissement de cette économie est très peu élevé. Si tu vends 600 Ishinomori Eros x SF, tu as travaillé pour rien. Même si tu as un point d’amortissement — admettons que tu en fasses 1000, que tu aies un point d’amortissement autour de 600, sur les 600, je ne compte pas le temps que j’y ai passé, les charges fixes. Ce qui fait que tu le fais plus pour la gloire, mais aussi parce que c’est un livre que je trouve fascinant. Eros x SF, il y a des parties dedans qui sont vraiment — qui méritent plus que les ventes qu’il a eues.

Xavier Guilbert : Pour Ishinomori Shôtarô, c’est un auteur qui a été pas mal traduit en français, il y a eu beaucoup de choses chez beaucoup d’éditeurs. Mais il reste en France, peut-être comme c’est le cas au Japon, un auteur qui n’est pas perçu comme aussi important qu’il aurait pu l’être s’il n’y avait pas eu Tezuka Osamu au-dessus.

Stéphane Duval : Tezuka est plus lisse, peut-être.

Xavier Guilbert : Au Japon, Cyborg 009 est beaucoup plus important qu’en France où c’est un four complet. Alors que toi, tu es allé le chercher sur un sujet très particulier.

Stéphane Duval : Oui, c’est un tout petit bouquin en version bunkô

Xavier Guilbert : Ça me fait un peu penser au Tezuka qui est paru chez Flblb, L’homme qui aimait les fesses, avec le Tezuka qui publiait dans un équivalent de Playboy. Il y a un côté canaille — du moment que ça ne se voit pas trop… Mais je trouve intéressant que tu sois allé le chercher.

Stéphane Duval : Oui, parce que je trouvais que graphiquement, c’était assez fort. Il y avait aussi des histoires sur Mishima dedans, il y avait ce récit sur les clubs SM de Shinjuku dans les années 1960. Il faut aussi montrer que ces gens qui faisaient de la bande dessinée plutôt pour les jeunes, comme Kamen Rider, ont aussi une « part d’ombre ». Mais ils ne l’ont pas fait comme les grands maîtres du shunga, sous un pseudonyme, ils le faisaient quand même sous leur propre nom. C’était important aussi de montrer toutes les facettes de ces auteurs, de ne pas gommer cet aspect.

Xavier Guilbert : Au début du Lézard Noir, tu faisais essentiellement des ouvrages brochés, mais maintenant tu as un certain nombre de livres qui sont en couverture rigide.

Stéphane Duval : Oui, parce que j’ai pu changer d’imprimeur, et j’ai trouvé à l’étranger des imprimeurs qui faisaient pour moins cher du relié avec une meilleure qualité, et pour un plus petit tirage. On s’est donc lancé dans le relié, pour certains livres, pour tout ce qui va être gekiga, sur des one-shots et du Maruo, je vais plutôt rester sur du relié. Sur des livres qui vont peut-être pouvoir trouver un plus large public et sur lesquels je voudrais ne pas dépasser 15€, on va rester sur un broché, format roman.

Xavier Guilbert : Tu parlais du Eros x SF, c’est quand même une sacrée brique…

Stéphane Duval : Oui, parce que je voulais que ce livre soit repéré, que c’est aussi un gros boulot. C’est à mon avis une pièce maîtresse dans l’œuvre d’Ishinomori. Après, il y a le choix de passer d’un papier 90g à un 115g, pour lui donner encore plus d’épaisseur, plus de valeur, d’avoir l’impression d’avoir une brique et d’en avoir pour son argent. Il y a aussi, dans ce travail éditorial, tout l’aspect fabrication, qui est encore un des aspects du métier qui consiste à se dire : si je fais Chiisakobé sur un 90g, je vais être sur un dos qui va être à 1,8cm ou 2cm, alors que si je le passe en 115g on va peut-être passer à 2,5cm, et les gens auront plus l’impression d’avoir un objet conséquent dans la main. Il y a aussi tout cet aspect économique à gérer, par rapport au nombre d’exemplaires que l’on estime pouvoir vendre. Par exemple, un livre comme Les femmes du zodiaque de Maki Miyako, je ne l’ai pas fait en relié, parce que si je le faisais en relié, il faudrait peut-être passer au-delà de 25€, avec un bouffant. Deux volumes à plus de 25€, ça faisait un petit peu dur. Là, on ne dépasse pas les 45€ pour les deux volumes, ça reste correct pour 800 pages de bande dessinée.

Xavier Guilbert : A propos de ventes. Chiisakobé, c’est une bonne surprise ?

Stéphane Duval : Là, j’ai un peu pêché par excès de prudence, parce que maintenant je suis toujours à la limite de la rupture de stock. Il y a quelques temps, j’ai dû pilonner des milliers de bouquins, et ça m’a un peu traumatisé. Pendant peut-être deux ans, j’ai pris des tableaux Excel dans tous les sens, pour me dire : « mais alors, si j’avais stocké ça, chez ma mère, si je mets ça dans ma cave… je vais éviter le pilon. » Et puis ensuite, tu regardes la réalité. Si pour tel bouquin, j’ai du stock pour vingt ans, je ne vais payer que 40€ peut-être la palette de stockage sur l’année, mais au bout de vingt ans, le bouquin t’aura coûté ce qu’il t’a coûté, plus son stockage sur vingt ans. Alors je fais très attention à mes tirages. Je sais que mes mises en place sont rarement au-dessus de 1200-1300 pour ce type de livre. Donc Chiisakobé, j’ai été un petit peu trop juste au niveau du premier tirage, et il a été en rupture très vite.

Xavier Guilbert : Et tu as été juste au niveau du deuxième tirage aussi.

Stéphane Duval : Le deuxième aussi, pareil. Je me suis dit qu’on allait en réimprimer 1500, et… et voilà, il y a eu plein de presse, et on a été trop juste. Il se trouve que ce n’est pas un bouquin qui est très compliqué à imprimer, mais c’est un bouquin qui est imprimé sur du Munken, qui est un papier de fabrication, qu’il faut commander. Donc le temps qu’il soit commandé, fabriqué, livré, ça prend toujours un peu de temps. Alors oui, c’est vrai que c’est dommage que des gens aient pu le rater, mais comme c’est un bouquin qui est un peu intemporel et qui va pouvoir jouer sur la durée.

Xavier Guilbert : Surtout qu’il y a un tome 2 derrière.

Stéphane Duval : Il y a un tome 2 qui va le relancer, les gens qui l’ont raté vont y revenir de toute façon. Parfois, il faut presque rater quelques ventes pour ne pas avoir des frais de sur-stockage — parce qu’on n’a pas parlé de sur-stockage, au-delà des frais de pilon. Quand on a chez son diffuseur un certain pourcentage annuel, par rapport aux ventes, de stockage gratuit, tout ce qui dépasse est payant. Et on peut très vite avoir des sommes extravagantes. Tout cela, c’est un travail de gestionnaire, d’apprendre à gérer son tirage pour ne pas tomber dans le sur-tirage. Il y a toujours ce système un petit peu pervers de la diffusion. C’est une sorte de dépôt-vente vis-à-vis des libraires. Tu peux avoir 1500 ou 2000 bouquins qui partent en librairie, et puis en avoir 1800 qui reviennent huit mois après. Tu peux être en rupture avec tes 1500 ou tes 2000, mais est-ce qu’il faut réimprimer, est-ce que c’est judicieux ? C’est compliqué.

Xavier Guilbert : Tu parlais de Miyaya et d’autres projets. Comment vois-tu ton avenir ?

Stéphane Duval : Je vais continuer le gekiga, parce que ça m’intéresse de rencontrer ces vieux auteurs. En plus, ils ne sont pas éternels. Si on veut transmettre, c’est aujourd’hui. Si tu prends Miyaya, je ne sais pas qui seront ses ayant-droits. Si on ne le fait pas tout de suite — il doit avoir plus de 75 ans, je crois, il n’est plus édité, il n’a pas d’agent.

Xavier Guilbert : Je crois d’ailleurs que les seules éditions japonaises, c’est chez Ohta Shuppan.

Stéphane Duval : Il y a eu une anthologie, et encore. Il y a Kaze Shinobu qui m’intéresse, qui est l’assistant de Nagai Gô. Je suis allé chez Nagai pro l’autre jour, on a discuté aussi d’une anthologie. Il y a Sasaki Maki, on est aussi en discussion pour faire une anthologie de son travail. Cette partie gekiga, c’est un peu mon dada, mon côté défrichage, constituer un catalogue — un petit peu de la même manière que fait Jean-Louis, mais lui peut-être plus avec certains auteurs qu’il a choisis et qu’il met en avant. Ça, je veux le continuer.
Un autre auteur avec lequel j’aimerais beaucoup travailler (qui est décédé depuis un petit moment), c’est Takeuchi Kankô, qui était un assistant de Bonten Tarô, et qui avait fait aussi une autre histoire de Kitarô. C’était le deuxième Kitarô au Japon si j’ai bien compris. Takeuchi Kankô a fait un manga sur les sanka, qui est un peuple nomade japonais qui aurait disparu dans les années 1960. Certains disent qu’ils n’ont pas vraiment existé, que ce n’était qu’une légende. Or, il y a un vieux numéro de Connaissance du Monde avec des photographies des sanka qui avaient été prises par une journaliste de la BBC. J’aimerais beaucoup rééditer ce manga sur les sanka, qui étaient des exclus, qui ne sont pas les burakumin. Sauf qu’il faut retrouver sa fille, qui habite dans la région d’Ôsaka — 15 à 20 millions d’habitants, les gens ont perdu sa trace depuis dix ans, comment je vais la retrouver dans tout ce bazar ? Alors, je me suis posé la question de savoir si je le faisais en pirate, ou pas. Pourquoi pas ? Ce sont trois gros volumes, qui étaient sortis à l’origine en kashihon. Udagawa les a, donc je pourrais les scanner. Ce qui est intéressant, c’est que les premières pages, comme certaines bandes dessinées américaines à l’époque, étaient en couleur. Je trouve ça assez intéressant de montrer cette histoire des sanka à travers les âges, un petit peu à la manière d’un Shirato Sampei — on est dans le moyen-âge, et puis après on arrive dans les années 1950 et on les voit qui sont en train d’essayer de se cacher et de se fondre dans la population. Ça m’intéresse aussi, parce qu’à travers ça les japonais redécouvrent quelque part une partie de leur culture qu’eux-mêmes ont tendance à occulter, peut-être par volonté politique.

Xavier Guilbert : J’imagine que tu connais l’endroit — mais ça me marque, chaque fois que je vais au Mandarake de Nakano, de voir que tout le gekiga, c’est quatre rayons dans l’un des cinq ou six magasins, et tous les autres sont consacrés à justement ce Cool Japan. C’est plus facile de trouver un vieux Norakuro que de trouver un Miyaya.

Stéphane Duval : Miyaya, oui, il y a certains bouquins qui sont assez durs à trouver maintenant. J’ai trouvé le Peacock (Kujaku Fûkin) l’autre jour, chez un bouquiniste d’Ôsaka, je ne l’avais jamais vu à Tôkyô. C’est un grand format, style franco-belge, un super bouquin qui est quasiment impossible à trouver aujourd’hui. Parce que d’abord, il y a énormément de bouquins, et puis il s’est peut-être très peu vendu. Je ne sais même pas si les bouquinistes les rachètent, au final.

Xavier Guilbert : Et pour des auteurs plus récents ?

Stéphane Duval : Le fait d’avoir eu Chiisakobé, j’espère que ça va me donner un petit peu plus de crédibilité sur du contemporain auprès des éditeurs. Après, je ne suis pas un grand fan de tout ce qui se fait en manga contemporain. Je sais aussi quelles sont mes limites par rapport à de très gros éditeurs : je ne vais pas pouvoir monter sur certains livres. Donc mon but, ça va être un petit peu comme Chiisakobé, de repérer des choses au feeling, en amont, et de prendre des risques de signer avant la fin de la série. Il y en a un que j’ai repéré, dont je ne te donnerai pas le nom : le manga vient de sortir, on m’a répondu ce matin que ce serait une série de quatre volumes. Est-ce que je joue le tout pour le tout, et comme à la roulette, je mets une plaque dessus en disant : je signe les quatre aujourd’hui ? Sans l’avoir lu, pour essayer de devancer tout le monde en me disant — rien que sur le ressenti, sur le découpage, sur le dessin, je pense que ça peut parler à un plus vaste public en France que le public manga.
Et puis je vais continuer sur Umezu. J’ai fait une offre sur Je suis Shingo, ce qui fait quand même six volumes de pas loin de 400 pages. Ce serait une traduction monstrueuse à faire pour Miyako. Mais c’est un bouquin vraiment à part, chez Umezu, ce mélange de technologie eighties, contemporaine, avec ces petits enfants assis devant des vieux ordinateurs du genre Amiga ou Amstrad. De voir ces planches qui sont faites avec des gros pixels, parce que j’ai l’impression que les enfants rentrent à l’intérieur de l’ordinateur comme dans Tron… Ça m’a l’air assez fascinant, et j’ai envie de le lire donc — si je ne l’édite pas, vu je ne vais pas apprendre le japonais… Quitte à me payer une traduction privée, autant la faire partager aux collègues (rire).

Xavier Guilbert : C’est donc ça. C’est comme ça que tu fonctionnes…

Stéphane Duval : Oui, j’aurais beaucoup aimé être une sorte de mécène. Je fais mon petit mécénat à mon niveau. Et je me dis qu’il y a en France un millier de personnes qui sont prêtes à suivre les bouquins que je fais, qui aiment ce que je fais, qui me font confiance sur des titres, qui ne lisent pas forcément de manga, mais qui vont s’intéresser à la maison japonaise, à la société japonaise à travers Chiisakobé, un peu à l’art contemporain… qui se retrouvent, finalement, au sein du Lézard Noir, pour avoir cette vision un peu différente du Japon.
Dans les autres sorties qu’on a prévues, il y a le Akino Kondoh : son journal de New York [New York de Kangae-chû]. D’abord, parce qu’Akino est une amie, et que je trouve que c’est une artiste très talentueuse. On l’a présentée avec deux bouquins qui n’étaient pas si faciles que ça : Les insectes en moi et Eiko, qui était au final très inspiré par Toshio Saeki, au niveau du trait. D’ailleurs, elle me l’a dit, elle a eu envie d’être manga-ka en voyant le travail de Toshio Saeki. Il se trouve qu’elle vit à New York depuis cinq-six ans, et qu’elle fait, sous forme d’un blog, ses chroniques de New York. Ça a beaucoup plu à la fois à Miyako et à ma femme, donc on s’est dit qu’on allait éditer ça. Il y a beaucoup de livres qui sortent sur les expériences des Français à Tôkyô, et il en ressort toujours un peu les mêmes choses. Je l’ai fait avec Tonoharu, tu vois, mais c’était dans la campagne. En allant au Japon, on a tous été confrontés aux mêmes choses, donc au final, ça nous parle, mais peut-être presque trop. Alors que là, Akino arrive à New York, et il y a ce choc des cultures qu’on n’a pas eu l’habitude de voir, d’une Japonaise à New York. Quand elle raconte Thanksgiving, la dinde de Noël, les soirées pizza chez les gens, on peut imaginer, nous qui connaissons les Japonais, le choc culturel que ça peut représenter. Elle le transcrit de manière intelligente et assez simple, avec beaucoup d’humour. Ça sortira au mois de septembre, et je pense qu’on peut trouver aussi un lectorat un peu plus grand public autour de ça. On n’est pas uniquement dans un blog de fille.

Xavier Guilbert : Tout à l’heure, tu parlais de neuf-dix bouquins par an, c’est ta limite aujourd’hui.

Stéphane Duval : Oui, mais le problème, c’est que j’en ai seize de prévus cette année. Il y a déjà trois Chiisakobé.

Xavier Guilbert : Il n’en reste plus que deux…

Stéphane Duval : Oui, mais déjà depuis le début de l’année, il y a eu leVœu Maudit, Chiisakobé — tu en rajoutes deux, un autre Umezu, on est déjà à cinq. Il y a un livre de Sacré-Cœur en jeunesse, ça fait six — je pourrais te donner le planning, mais…

Xavier Guilbert : Akino Kondoh…

Stéphane Duval : Akino Kondoh, ça fait sept. Ah, on n’a pas parlé de Hatanaka Jun (auteur de la superbe série plutôt ratée au niveau de sa fabrication au Seuil, Ryôta du Mandala), avec un récit que je trouve assez drôle, dans un esprit Vagabond de Tôkyô. C’est une histoire qui s’appelle Mon village, qui est en quelque sorte son testament en manga et qui montre son amour pour son village au Japon contre des promoteurs qui vont le détruire pour construire un barrage. Ce qui est assez marrant, c’est qu’on a l’habitude de cette femme plutôt réservée qu’on va voir dans Chiisakobé, et là, chez Hatanaka, on est avec des femmes grivoises, qui portent la culotte, et — c’est presque du théâtre de boulevard, entre Feydeau et de l’ero-guro. C’est complètement dingue.
Il y a aussi un Vagabond de Tokyo tome 5, les histoires sont choisies. Et puis si on m’accepte Shingo, on fera Shingo également. Il y a encore cet autre bouquin que j’aimerais faire. Il faut que j’arrive à voir un petit peu dans tout ça si un livre pourrait éventuellement se trouver en sélection à Angoulême. Et puis il y a aussi le Sasaki Maki.

Xavier Guilbert : Ce serait une reprise de la grosse anthologie qui est sortie au Japon ?

Stéphane Duval : Alors oui, ce serait la grosse anthologie, sauf qu’on a enlevé dedans deux histoires qui sont constituées que de texte et qui n’apportent pas grand-chose à l’anthologie, en fait. Avec le traducteur, on s’est dit que ce n’était pas la peine de passer des heures à traduire cette partie-là. On va faire plus ou moins la même anthologie, et un petit peu comme Bonten Tarô, on va aussi rajouter des pièces couleur en introduction. Après on ne sait pas, peut-être Miyaya. Mais le problème, c’est d’arriver à trouver le temps pour faire tout ça.

Xavier Guilbert : Un prix à Angoulême, ça changerait quelque chose ?

Stéphane Duval : Bien sûr. J’y ai cru l’année dernière. On l’aurait mérité. Là, je serais super content si c’était Umezu, mais je serais encore plus content si c’était Chiisakobé quand même, parce que ça nous donnerait un éclairage différent auprès des éditeurs japonais, qui nous écouteraient peut-être avec un petit peu plus de bienveillance ou qui nous feraient confiance comme l’a fait Shôgakkan. Peut-être un peu comme quand on a eu le prix avec les Moomins, où d’un seul coup, on s’est dit qu’on avait passé un cap. C’est sûr, c’est du patrimoine, mais on a été regardés différemment par les autres éditeurs. Et au final, les dividendes sont retombés sur les Moomin Characters : suite au prix à Angoulême, ils ont vendu sur toute la planète dans quinze langues. Même si Drawn+Quarterly nous avait devancés, il n’empêche que c’est suite à ce prix que tout s’est fait. Là, du fait d’avoir Chiisakobé en sélection, Shôgakkan a vendu le titre en Italie, on m’a contacté pour la Corée et les Etats-Unis.
Mine de rien, c’est un Festival qui est très regardé, alors que les Japonais viennent relativement peu. Il y a assez peu d’auteurs qui viennent, il y a assez peu d’éditeurs de manga qui le défendent. C’est dommage, cela mériterait peut-être un autre éclairage. J’ai pensé qu’avec Ôtomo Katsuhiro on aurait vu un petit peu plus de présence japonaise… mais j’ai l’impression que le Cool Japan ne passe pas par-là, parce que le Cool Japan est aussi circonscrit à une distance, une praticabilité, un hébergement, un accueil, un tapis rouge…

Xavier Guilbert : Et puis aussi un revenu. Le Cool Japan, c’est une grosse industrie qui attend que ce soit rentable.

Stéphane Duval : Oui, bien sûr. Probablement qu’aujourd’hui, ce qui est plus rentable pour eux, c’est le Salon du Livre de Paris, peut-être, parce qu’ils peuvent travailler et discuter avec des éditeurs de tous les secteurs, parce que Paris est plutôt central. C’est Japan Expo, visiblement, et, j’ai l’impression aussi, Montreuil Jeunesse. Les Japonais se sont quand même fait déborder ces derniers temps par le retour des super héros Marvel et DC — surtout Marvel — qui ont réussi, eux, à réinventer leurs licences, à les réadapter et à réécrire l’histoire pour qu’elle parle au nouveau lectorat. Tu as des gamins comme moi, tu vois bien que quand on montre à nos gamins un Spider-man dessiné par John Buscema ou John Romita, nous, ça nous parle — c’est magnifique, en terme de dessin. Les gamins, ce n’est pas ça qui leur plait. Ils ont besoin de choses un peu plus grossières, un peu plus ordinateur. Et à quel enfant, aujourd’hui, ça peut parler, Doraemon en France ?

Xavier Guilbert : D’ailleurs, ça a fait un four.

Stéphane Duval : Ça parle à mon fils, parce qu’il est franco-japonais, donc il aime bien Doraemon — même si maintenant il est passé à Détective Conan. Mais c’est normal, c’est comme les Moomins ça s’est vendu, mais il y a une limite. D’abord parce qu’on est sur de la bande dessinée noir et blanc, et que les enfants ont besoin de couleur. Et puis que les enfants de cet âge-là n’ont pas l’habitude de lire du manga encore. Ils sont encore dans la littérature jeunesse. A sept ans, il y en a très peu qui lisent du manga. Je pense que oui, cela va peut-être faire partie, je suppose, des objectifs des éditeurs japonais, de ne pas laisser le champ libre auprès du jeune lectorat à Marvel, qui a explosé ces dernières années avec toutes leurs licences.

Xavier Guilbert : As-tu l’impression d’avoir réussi à construire ton petit noyau de lecteurs ?

Stéphane Duval : Oui, je le ressens. Aujourd’hui, on sent un lectorat qui s’ouvre un peu, du fait d’avoir fait Umezu et puis Chiisakobé, et de ma présence un peu plus accrue sur Twitter. Je suis plutôt actif sur Facebook depuis très longtemps, où je sais que j’ai une clientèle trentenaire-quarantenaire, qui lit du roman graphique, qui s’intéresse au Japon, à l’art contemporain. Mais pas trop tout le milieu geek. A travers Twitter, on a des gens plus jeunes. Il y a les gens de Nostroblog qui nous suivent et qui sont assez intéressants dans leur manière de défendre le manga de marge. Et j’y découvre tout un nouveau lectorat avec lequel j’échange aussi. C’est pour ça que j’aime bien faire le Festival d’Angoulême et qu’on va probablement faire d’autres salons dans l’année. Pour partager mon enthousiasme, et puis ça nous nourrit aussi. Parce que sinon, je suis chez moi, je bosse la journée, je rentre chez moi, je mange en famille, je monte faire mes maquettes, mes colis, puis je vais me coucher — il n’y a pas le métro parce que j’habite à 300 mètres du boulot, mais tout est basé sur des interstices.
Au final, je vais assez peu au contact, alors les quelques fois où je sors, ça me requinque. Dernièrement, je suis allé à la librairie Mollat, j’ai été accueilli par Sarah, la vendeuse au rayon bande dessinée, d’une manière excessivement gentille. Et je me suis dit que je ne faisais pas Le Lézard Noir pour rien. Quand j’ai un tel accueil…

[Entretien réalisé le 28 janvier 2016, durant le Festival d’Angoulême.]

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Entretien par en juin 2016