Libon

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Auteur grand public tout en étant exigeant avec lui-même, Libon prouve que le populaire peut-être de qualité. Depuis six ans, il est devenu difficilement contournable, d’autant qu’il double sa prolixité d’une capacité à apparaitre dans les quelques revues de bande dessinées encore diffusées en kiosque. Démonstration par l’absurde, en quelque sorte.

Maël Rannou : J’ai un souvenir assez vague d’une planche de toi dans Psikopat, au début des années 2000…

Libon : J’ai fait quelques pages, mais j’ai surtout illustré la nouvelle d’Olivier Ka. Paul (Carali) publie ce qu’il aime, beaucoup de nouveaux auteurs, même quand ce n’est pas toujours abouti (c’était mon cas je crois !). C’est dans le Psiko que j’ai publié professionnellement pour la première fois. Dans la même période j’ai eu une rubrique dans Tchô, environ un an.

MR : Mais là où tu commences vraiment à devenir visible, c’est quand tu arrives dans Spirou avec Jacques le petit lézard géant, en 2004, ton chef d’œuvre !

L : Jacques, c’est marrant parce que je l’ai crée en pensant à Fluide Glacial. J’ai rencontré Tinlot et je lui ai montré des planches mais il n’accrochait pas, alors je lui ai montré Jacques le petit lézard géant, et c’est ce qu’il a voulu publier. Après, Tinlot est parti chez Fluide, du coup il m’a appelé, et j’ai commencé à publier dans les deux revues en même temps.

MR : C’est amusant de voir que tu voyais plus Jacques dans Fluide. Ce qui est sûr c’est qu’Hector Kanon ne pourrait pas être dans Spirou ! Mais dans le fond on retrouve le même matériel, la bêtise humaine exacerbée et le goût de l’absurde.

L : Au début je voulais vraiment un antihéros méchant, détestable, mais je n’ai pas réussi. J’ai essayé mais pour qu’il soit vraiment dégueulasse, il fallait le bourrer de poncifs, qu’il soit raciste ou autre, et ça ne marchait pas. Du coup j’ai plus axé sur un personnage très prétentieux mais bête, dans un monde branché, ça marche beaucoup mieux comme ça. On se moque de lui mais au fond il est attachant.

MR : Tu as une assez large production, et pour des publics bien différents. Comment jongles-tu avec ça ?

L : En fait je ne me pose pas trop la question du public. Je pars d’un univers bien construit puis j’adapte un peu, je veux d’abord que ça me branche. Si ça ne me plait pas, ça ne plaira pas plus à un enfant de 8 ans ! Bon bien sûr, je peux me permettre des choses dans Hector Kanon que je ne peux pas me permettre dans Tralaland. Mais je n’ai pas à me forcer plus que ça, c’est plutôt naturel à partir du moment où j’ai défini l’univers. Il y a une fois dans Jacques, j’ai du enlever un tas de gros mots mais j’en avais mis vraiment beaucoup, et des corsés.

MR : Jacques est ma série préférée, même si j’aime beaucoup les autres, et elle m’a marquée dès sa parution en feuilleton. C’était prévu dès le début que ce soit une série récurrente ? Ta signature est désormais devenue presque incontournable dans l’hebdomadaire.

L : Moi j’ai toujours pensé Jacques dans une construction assez longue, pas juste un one shot. À la fin du tome un je savais déjà ce qui allait composer le deux, et j’avais une idée du trois. Mais là c’est terminé Jacques, du moins sous cette forme. J’aime bien ce personnage, je réfléchis à d’autres façons de raconter des histoires avec lui. Mais je me sens totalement incapable de me lever en me disant «allez hop, c’est parti pour le cinquantième album»… C’est pour ça que je fais une nouvelle série dans Spirou.

MR : Ah bon c’est terminé Jacques ? Parlons en quand même encore un peu. Ce qui m’a saisit dans cette série, c’est cette manière que tu as eu de décrire le monde certes complètement absurde mais à travers le regard d’un héros totalement innocent. Sa pureté, ou son incompréhension, rajoutait encore une dimension d’humour absurde, allant du coup dans des niveaux assez hauts de décalage.

L : Bah tu sais moi quand je regarde le monde je me demande juste comment ça se fait que ça tourne encore rond, Jacques accentue juste ce côté-là. Personnellement je suis encore plus impressionné de voir que le monde se casse pas la gueule. Et puis si c’était juste un petit lézard qui parle normalement, ça serait beaucoup moins intéressant, il n’y aurait pas moyen de faire une aventure, ou alors ça serait une histoire avec un début, un problème qui survient, un déroulement, une fin. Ce n’est pas ce que j’avais en tête, je voulais raconter des rencontres. Là c’est un petit lézard qui devient géant mais pas trop, et qui voit le monde d’une manière totalement personnelle, c’est le clash entre les deux qui permet à la série de tourner sans s’épuiser. Je le vois un peu comme un road movie avec un personnage un peu particulier qui traverse de nouveaux territoires. Il faut quand même se rappeler qu’avant de se balader partout, il n’avait connu qu’un coin de jardin et les murs d’une maison !

MR : Il y a peu de temps est sorti Animal lecteur, c’est un album un peu particulier. Déjà c’est la seule série que tu fais avec un scénariste, et puis ce sont des strips éditoriaux qui avaient vraiment un sens dans le magazine chaque semaine, sans qu’on attende un livre au final.

L : C’est vrai que c’est bizarre de travailler avec un scénariste, surtout qu’il est aussi dessinateur. Ses scénarios sont tous dessinés et très précis, du coup il faut réussir à reprendre ça sans recopier bêtement, c’est sûr qu’il y a moins de création mais le courant passe bien donc j’ai l’impression que ça fonctionne. Cette série est né en Belgique, lors d’une réunion chez Spirou, c’est lui qui a lancé l’idée mais il se sentait pas de la dessiner, moi ça me plaisait bien, il me l’a envoyé et c’est parti. L’idée du recueil est arrivée petit à petit, quand on a commencé a avoir une centaine de strips.

MR : Aujourd’hui tu publie régulièrement dans Fluide Glacial et Spirou, les deux revues «historiques» qui paraissent encore en kiosque, ce n’est pas rien. Ça ne donne pas trop de pression tout ça ?

L : Mine de rien, c’est pas évident, c’est presque trop de travail, les deux bouclages se cumulant souvent. En étant régulier on peut bien s’en sortir mais faut pas trop avoir envie de vacances. Mais se retrouver à travailler à coté de ses héros de jeunesse, Goossens ou Edika, ou passer là où Gaston travaillait, c’est chouette et bizarre à la fois.

MR : Et Tralaland dans tout ça trouve moyen d’exister ?

L : Tralaland, je fais ça vraiment pour me détendre, c’est des petits cases, avec ma petite plume, j’ai une énorme liberté et j’invente un monde où j’aimerai bien passer des vacances, c’est parfait ! Là le tome 2 est en train de paraitre dans Dlire. Mais je le prends vraiment comme une récréation.

MR : Ca fait quelques mois qu’on lit ta nouvelle série dans Spirou, Les Cavaliers de l’Apocadispe. J’ai été assez étonné de te voir dans de l’animalier.

L : Le troisième Jacques était moins loufoque, et je voulais revenir au loufoque des situations, aller très loin. Dans Les Cavaliers de l’Apocadispe il y a des conneries que j’aurai pu faire étant gamin, mais très excessives, et l’animalier est nécessaire pour rendre ça drôle. Si c’était des petits humains, beaucoup moins de gens riraient quand il y en a un qui tombe dans un ravin ou qui se fait bouffer le bras par un chien. Avec des animaux ça passe mieux, c’est mignon donc on peut les couper en tranche. C’est cruel, mais légèrement.

MR : Avant de nous quitter tu peux m’en dire un peu plus sur tes projets ? Ça fait longtemps que l’on n’a pas revu Hector Kanon

L : Il y a eu une petite pause d’Hector Kanon aussi, mais il va revenir, je ne m’en lasse pas de lui, il y a plus à dire sur les abrutis que sur les lézards. Sinon, bah les Cavaliers de l’Apocadispe et Animal lecteur vont continuer dans Spirou, et puis il y a Sophia, un gros bouquin que je fais avec Capucine pour la collection Shampooing. C’est un hommage à tous les pockets de gare, on fait le dessin et le scénario tout les deux et ça me prend pas mal de temps en ce moment !

[Entretien réalisé à Paris, le 22 avril 2010.]

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Entretien par en juin 2010