A la mass(e)

de

« Astérix est lààààà ! ! ! » [1] et, en fameux mauvais coucheur, a une fois de plus tiré la couverture médiatique à lui.
Si c’était pour opportunément dévoiler la bande dessinée dans sa vérité nue que nous ne cessons d’admirer, ce serait parfait. Mais non. Le Gaulois moustachu, comme il se doit pour un natif du village [2] , est publiquement et uniquement avec le si bien nommé Obélix, en couple légitimé par la pax (romana) et la situation de force qu’elle impose. La couverture ne dévoile donc que l’énorme, l’imposant érecteur de pierres, avec l’Idéfix toujours sur le ventre. Dans leurs bulles leur réalité s’affirme, tous dorment rassasiés et sans rêves, répétant et partageant la dernière lettre de l’alphabet.

Nous souvenant du passé [3] , nous ne jetterons pas le menhir sur le couple franchouillard idéal jusque dans la domesticité animale. Le problème n’est pas non plus l’empire des relations héroïques, ni moins celui des romains et de leur langue morte, mais bien plutôt celui médiatique. Car les questions s’imposent d’elles-mêmes : pourquoi toujours ce même cirque à la sortie d’un Astérix ? Et surtout pourquoi cache-t-il cette ennéa-forêt étrange que nous parcourrons quotidiennement ?

La réponse viendra d’une autre question : pourquoi avec des bassins de populations moins importantes et une presse aux performances économiques relativement médiocres, la France associée à la Belgique incarnent-elles le troisième ennéa-pôle mondial en étant l’étrange noyau attracteur de la bande dessinée européenne ?

Astérix est la réponse, la photographie d’un temps paradigmatique car statistiquement indétrônable.
Les médias s’y intéressent car il est leur miroir, renvoyant l’image déformée mais familière d’eux-mêmes et de leur public. Il partage la même relation forte en termes d’audience et de panel social. Il a encore moins de 50 ans comme la fameuse ménagère, et touche toujours la jeunesse prescriptrice abreuvée avant de savoir lire de produits de toutes sortes à la gloire de l’irréductibilité du village [4] .
Aux yeux médiatiques, le Gaulois est la preuve concrète que la bande dessinée existe comme mass média. Astérix fait donc partie de la famille, il est accueilli en conséquences à chaque nouvelles visites.
Le problème est qu’à nos yeux aiguisés et actuels, il fait autant partie de la famille que la photo de l’arrière arrière-grand-père dans son cadre poussiéreux au-dessus du téléviseur de papy et mamie.
Il représente la glorieuse époque d’une France qui s’ennuyait à s’en défouler en mai et où les deux ou trois télés d’Etat offraient une concurrence si peu importante, qu’il était facile d’être un média de masse même avec des tirages relatifs.
Astérix a été le succès le plus éclatant de ces décennies dorées, d’autant que son scénariste, par les fonctions éditoriales que l’on sait, a accompagné la bande dessinée et ses jeunes lecteurs « boomers » dans leurs métamorphoses les plus décisives. Toutes ces raisons et bien d’autres encore, ont fait plus généralement l’originalité de la bande dessinée francophone, sa place unique en Europe et dans le monde, et plus particulièrement celui d’Astérix le gau-gau le Gaulois.

Aujourd’hui la bande dessinée n’est plus un mass média [5] mais une littérature comme les autres. Depuis plus d’une vingtaine d’années elle n’est plus un phénomène de presse mais uniquement un phénomène éditorial.
Les médias, plus à leur image qu’à l’image, ne peuvent voir cette nouveauté statistiquement imperceptible à leurs yeux narcissiques évoluant dans l’étrange spectre des lumières para-scientifiques du « média métrique ». L’image de la bande dessinée ne peut donc s’actualiser que si Astérix se trouve battu statistiquement en tirage et en audience. L’image est ainsi figée comme une icône avec ce qu’elle incarne et thématise [6] .
Pour tout amateur de l’autre bande dessinée l’hiatus semble à chaque fois plus insurmontable voire insupportable. Mais c’est comme ça. Tout à l’apologie de l’inertie, les mass médias sont à la masse, tout à la masse et rien d’autre.

Notes

  1. Plastic Bertrand, 80’s.
  2. Village People en breton.
  3. Des grands Goscinny et Uderzo, d’Astérix légionnaire par exemple.
  4. Local et global.
  5. Du moins en Europe. Au Etats-Unis elle le reste encore sous la forme des comics strips, et pratiquement plus sous celle des comics books. Le Japon est hors compétition, le plus mauvais des tirages chez eux équivaut au meilleur chez nous…
  6. D’où en découle l’usage fréquent du mot « culte » et les floraisons d’expressions du type « comme une bd » dans le vocabulaire journalistique.
Humeur de en septembre 2003