De Disney à Disney

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Les éditions Nobi Nobi viennent de publier un manga en deux volumes adaptant en bande dessinée La Belle et la Bête, le film des studios Disney récemment sorti au cinéma, avec Emma Watson en tête d’affiche. Le scénario est signé par une américaine, Mallory Reaves, et le dessin réalisé par Dice, un studio japonais. Une production américano-japonaise donc, représentative pour certain de ces Global Mangas, qui seraient à la bande dessinée japonaise ce que le globish est à l’anglais, un langage « universel » sans la précision et les saveurs de l’original. Dans l’air du temps, d’autres y verront peut-être aussi une alliance — mais restant modeste a priori — entre les deux soft-powers les plus puissant de la planète.

Au-delà des ces visions ou analyses qui auraient pu aussi s’amuser à déterminer qui est la Belle et qui est la Bête, le plus intéressant me semble-t-il est de constater qu’un pur produit Disney se voit adapté en manga. J’ignore si c’est la première fois, j’ignore aussi si la demande vient des américains eux-mêmes. Par contre, d’un point de vue plus simplement historique, il est stimulant de constater que l’entreprise qui, il y a plus de 70 ans, a été l’influence déterminante de Tezuka Ozamu considéré comme le père des mangas modernes, se retrouve à exploiter un style ou un langage qu’elle aura à la fois largement et lointainement inspiré et dont elle constaterait — peut-être tardivement — la popularité internationale, voire la modernité.

De manière plus générale, la visibilité quotidienne du logo / signature Disney sur une infinité de produits a fait oublier à quel point cette entreprise a eu une importance phénoménale sur l’histoire des bandes dessinées mondiales. Les publications adaptées des productions Disney ont été pendant des années en tête des ventes de comic books, et ce dès les débuts de cette forme éditoriale et loin devant le genre des super-héros. Des productions qui ont fait le bonheur d’un enfant parmi d’autres, un certain Robert Crumb.

En France, la publication du Journal de Mickey en 1934 fut une vraie rupture. L’expression « bande dessinée » a été inventée à l’occasion, et jusque dans les années 50 ou 60 on partait volontiers de « petits Mickey » pour designer les publications de neuvième chose en général. Sans ce journal, des auteurs comme Uderzo, Franquin, Morris, etc. n’auraient peut-être pas eu, là aussi, les motivations nécessaires pour faire de la bande dessinée.

Entre grands yeux et gros nez, le chaînon manquant serait en quelque sorte la firme américaine et son créateur, restant pourtant associés aux yeux des commentateurs à l’animation et au cinéma plutôt qu’à l’histoire de la bande dessinée. Ajoutons que l’effacement des auteurs derrière le logo-signature, la prééminence des personnages et la jeunesse du public visé, n’ont pas arrangé les choses puisque l’histoire du neuvième art s’est faite surtout, depuis plus d’un demi-siècle, avec des noms d’artistes s’émancipant d’une catégorie et/ou d’une censure en conquérant l’adultat.

Certes, les choses changent. Les bandes dessinées Disney sont désormais en librairie de manière constante depuis quelques années et, chose nouvelle, souvent mises en avant sous le nom des anonymes qui les produisaient. Plus récemment encore, des auteurs sont invités à donner leur vision des personnages emblématiques ou de l’imaginaire associés à la firme américaine.

Dans le cas du manga de Nobi Nobi, les créateurs restent en retrait. Trop lié à des enjeux promotionnels et communicationnels, il pouvait difficilement en être autrement. Reste que s’il y a deux volumes, c’est pour donner une version de l’histoire du point de vue respectif de chacun des deux protagonistes. En soi, peut-être là l’affirmation implicite, en filigrane, de ce décentrement constaté, d’une forme d’autonomie encadrée. Disney inspire toujours, mais autrement, les auteurs/autrices de neuvième chose.

Humeur de en mai 2017