Logique marketing

de

Réferend’Art est une drôle d’exposition.
Komar et Melamid sont deux artistes d’origine russe, qui ont fait faire un sondage pour savoir ce que les français désiraient exactement comme peintures [1] . Une logique marketing devenue classique aujourd’hui, mais incongrue dans l’univers sacré de l’Art ! ! !.
L’exposition montre les résultats de ses sondages, sous forme d’histogrammes en trois dimensions, exposés comme des sculptures.
Vous apprendrez entre autres choses affligeantes, que le format idéal des tableaux pour nos compatriotes est celui «d’une télévision» ! [2])
Vous saurez aussi tout sur les couleurs, les formes, les matières, les thèmes, les personnages, les genres, etc … que les français préféreraient avoir en peinture sur leurs murs.

Fort de ces sondages, Komar et Melamid ont réalisé deux toiles. Une est la peinture que les Français aimeraient le plus avoir chez eux (un paysage avec un petit nu, des animaux, la campagne, un lac, une montagne, une dominante bleue, etc … sans oublier un format de la taille d’une TV) ; l’autre est la peinture que les Français détesteraient le plus avoir chez eux (un grand format abstrait aux formes géométriques, couleurs pastellisées, peinture épaisse, etc …).

Ces deux anciens dissidents russes ont donc, pour obéir à la logique du marché, été amenés à peindre le même genre de peinture mièvre et béate, qu’ils dénonçaient et qui avait fait d’eux des dissidents sous la dictature soviétique il y a une vingtaine d’années …
Et à l’opposé la peinture que les Français détesteraient le plus avoir chez eux montre toute l’impasse d’un art de pseudo avant-gardes ou pseudo-rebelles (que l’on trouve à foison de nos jours) fondé uniquement sur la provocation …

Mais, quel rapport avec un petit édito bédéphilique me direz-vous ?
Cette exposition nous rappelle tout simplement que l’avant-garde artistique (de la peinture, sculpture) est surmédiatisée pour des raisons historiques et sociologiques (l’art (celui de l’Histoire) est acheté par les plus riches).
Elle nous rappelle que de nombreuses galeries vivent correctement sans se revendiquer avant-gardistes, que Buffet va très bien (merci), ou que les peintres de la place du Tertre vendent (beaucoup même suivant l’affluence touristique) … Il y a donc une peinture populaire mais on n’en parle jamais [3] .

Au contraire pour le neuvième art c’est la bande dessinée populaire qui est surmédiatisée … Là aussi bien sûr, pour des raisons historiques et sociologiques (cf édito du9 n 3) … [4]

Enfin on notera pour finir que si l’adjectif populaire est souvent un critère positif, voir de santé pour la bande dessinée, c’est exactement l’inverse en matière d’art.
Et vice versa quand on parle d’avant-garde. Si des dessinateurs de bande dessinée se revendiquent avant-gardistes, on leur reproche tout de suite leur élitisme, ou leurs vaines revendications intellectuelles, etc …
Alors qu’en matière d’art il faut être avant-gardiste ou se situer par rapport aux avant-gardes ou aux ex-avant-gardes …

Conclusion de du9, ami(e) bédéphile ?
On peut continuer à aimer sans scrupules une bande dessinée source de voyages internes, qui augmente la portée de nos sens et notre lucidité sur le réel.[5]

Notes

  1. Les résultats de ce sondage sont entièrement publiés par la revue Connaissance des Arts d’Octobre 1995. Les deux oeuvres de Komar et Melamid sont aussi reproduites. A part ça, cette revue est chère, gnangnan et prout prout (mais bien imprimée. Si ! si ! c’est de l’offset mais c’est du beau travail …).
  2. La sainte télé commerciale ! Centre de tout ! Référentiel absolu ! Big brother cyclope chéri ! Oeillère des sens ! Cadrage de l’esprit, du goût, du jugement et menottes du libre arbitre ! (Poème à déclamer en haut de la tour TF1
  3. Tous ces gens sont des peintres, mais sont-ce des artistes ? Vaste question vous en conviendrez … et qui se pose pour tous les arts … même celui du 9ème étage …
  4. Vous pourriez me dire « Cher Môssieur Jessie Bi, la bande dessinée à la différence de la peinture est une industrie, et je vous méprise petit mollusque bédéphile ! »
    Et je vous répondrai après vous avoir foutu un coup de boule que la peinture industrielle existe, et que les galeries des centres commerciaux où des gares sont là pour le prouver (si elles ne vendaient pas elles seraient pas là). Et quand les musées tirent à plusieurs milliers d’exemplaires une carte postale reproduisant une oeuvre d’un artiste vivant, ne peut-on pas parler d’industrie ?
    Pour finir, j’ajouterez en riant du « quadruplement » de volume de votre appendice nasal tuméfié : Peut-on parler d’industrie quand Lapin tire à peine à 2000 exemplaires ? Hein ? hein ?
  5. Si vous avez vraiment encore quelques scrupules faces à l’art sacralisé lisez Bourdieu (Pierre) et Moulin (Raymonde), ou aussi Hiatus : L’art et le fonctionnement du marché, par D. Sagot-Duvauroux, in L’art d’aujourd’hui, Éditions du Vélin, Paris, sept 93.
Humeur de en novembre 1995