Vues Ephémères – Avril 2011

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On avait peut-être fini par croire qu’un festival de bande dessinée, c’était forcément à Angoulême et toujours en plein hiver. Qu’il fallait obligatoirement se presser dans des allées étroites, et courir du matin au soir au milieu d’une foule compacte. Et enfin, que l’on venait généralement acheter de la nouveauté et y chasser la dédicace. Et pourtant, à huit cents kilomètres de la Charente, pour sa dix-huitième édition, «BD à Bastia» continue à proposer une autre manière d’envisager un festival de bande dessinée.

Il y règne comme une ambiance de vacances — la météo n’y est certainement pas étrangère, et l’on investit les terrasses pour profiter des rayons du soleil printanier. Devant le centre culturel Una Volta, on a sorti quelques tables et un banc, où quelques auteurs se sont installés, pour discuter, échanger, dessiner parfois. Ici, on se connait, on se salue, on prend le temps. Après tout, on a laissé derrière soi la grisaille du continent, il serait bête de ne pas en profiter.
Pourtant, cette nonchalance apparente dissimule une programmation riche et dense. Les rencontres,[1] les entretiens se succèdent — la salle étant investie par l’imposante table de France Culture une partie du vendredi, avant de laisser la place à un coin salon avec deux fauteuils, plus «cosy» et tranquille. Les portes sont ouvertes, on peut rentrer, regarder, écouter un moment, s’installer même au milieu de ce public plutôt nombreux et résolument attentif. Et lorsque la rencontre (officielle, inscrite au programme) se termine, c’est une autre rencontre qui continue, alors que l’on s’approche, pour parler, échanger, poser une question, parfois demander un dessin — sans que l’on y retrouve jamais les ambiances industrieuses des habituelles séances de dédicace.

Il y a les expositions dans les étages pour prolonger la découverte — des univers fragiles d’Ilya Green et de Juliette Binet à la construction aussi loufoque qu’abracadabrante du «Vaste Complot» imaginé par Etienne Lécroart, en passant par les plus classiques Etienne Davodeau et Lax, ou encore Joub et Olivier Tallec. A moins que l’on ne décide d’aller s’aventurer un peu plus loin, vers le haut de la ville et son musée d’histoire, où après avoir monté il faudra redescendre dans les cuves souterraines, à la rencontre de l’exposition Rupestres !, avec lampe-frontale obligatoire. Ou bien l’on préfèrera aller vers le bas[2] du côté de la galerie Gour & Beneforti entièrement investie (habitée, pourrait-on dire) par le magistral L de Benoît Jacques.[3]
Enfin, il y a les ateliers où les jeunes (et moins jeunes) peuvent venir s’essayer à la bande dessinée, autour d’une «Fabrique à Fanzine» en provenance directe d’Arc-et-Senans et animée par l’infatigable Association ChiFouMi.

Una Volta devient le centre autour duquel tout gravite, où l’on retourne immanquablement, où l’on vient se retrouver, se rassembler. Comme ce samedi soir, où à l’occasion de l’exercice des 30 minutes (aperçu du côté de Pierre Feuille Ciseaux dans une version deux fois plus longue), on découvre les associations inattendues d’auteurs ayant accepté de se frotter à la contrainte oubapienne. Et de suivre les différents trios[4] gratter fébrilement le papier dans la bonne humeur, pour un résultat souvent drôle et que l’on pourra longuement découvrir aux murs de la même salle le lendemain.
C’est peut-être dans cette réunion symbolique, où les clivages alternatif-mainstream disparaissent pour ne plus laisser que des auteurs,[5] que s’exprime le mieux l’atmosphère particulière qui baigne ce festival à part : une manifestation résolument humaine, où l’on priviliégie l’échange au commerce, la rencontre à l’affluence. Et il n’y a pas à dire, cette alternative fait du bien.

Les sorties d’avril 2011
Nicolas Bainco-Levrin – Les mangeurs d’enfantsDrozophile
Ted Benoît – 60 Ray Banana (en ligne pas si claireAlain Beaulet
Francesco Cattani – BarcazzaAtrabile
Robert Crumb – Mister SixtiesCornélius
Sylvain Ricard & Cubi – La trilogie urbaine t.2 : Retour à PlouclandSix Pieds Sous Terre
Christopher Ford – L’Odyssée de Zozimosçà et là
Jochen Gerner – AbstractionL’association
James et la Tête X – L’EpiSix Pieds Sous Terre
Mahler – EngelmanL’association
Thomas Mathieu – Le type de la photoL’employé du Moi
Anne Simon & Sandrine Martin – L’histoire de MurielL’employé du Moi
Matthias Picard – JeanineL’association
Jim Woodring – Frank et le congrès des bêtesL’association

Collectifs
Drozophile n°8 – Drozophile

Notes

  1. du9 étant partenaire cette édition 2011 du festival «BD à Bastia», j’ai eu le plaisir d’animer deux d’entre elles, avec Benoît Jacques et Dominique Goblet.
  2. Bastia partage au moins avec Angoulême la particularité d’être une ville en étages où l’on monte et l’on descend beaucoup, et où certaines rues prennent des airs d’escaliers.
  3. Dominique Goblet se partageant entre le point le plus haut (et une exposition de planches tirées de Faire semblant c’est mentir, Souvenir d’une journée parfaite et d’un travail sur le Mexique dans les salles du musée d’histoire) et le point le plus bas (et l’exposition dans les jardins de l’ancien hôtel de ville de quelques images tirées de son Chronographie).
  4. Fabien Vehlmann-Bruno Gazotti-Lax, Pétillon-Bruno Heitz-Joub, JC Menu-Etienne Lécroart-Christian Humbert-Droz, David Prudhomme-Troub’s-Sébastien Gnaedig et le quatuor Olivier Tallec-Nylso-Dominique Goblet-Edmond Baudoin.
  5. Car finalement, seuls les auteurs sont à l’honneur. Quelques éditeurs sont parfois là, se tenant à l’écart, discrets et respectueux — mais aucun d’entre eux ne viendra prendre la parole.
Humeur de en avril 2011