Vues Ephémères – Décembre 2010

de

«Manga culte».
Le premier volume du Kamui-den de Shirato Sampei (souvent annoncé, longtemps repoussé) vient de paraître, et voilà l’essentiel de ce que Kana trouve à dire. Une brique de 1500 pages pour découvrir cette œuvre emblématique par excellence, et comme accompagnement… une notule biographique qui enfile les noms de livres en japonais sans plus d’explication sur le premier rabat de couverture, et à peine une page d’introduction signée Karyn Poupée, qui parle plus du Japon des années 50 et de l’importance de Tezuka (mais ça ne fait jamais de mal de mentionner Tezuka dès que l’on évoque l’histoire du manga) que venant véritablement éclairer le travail de Shirato Sampei. On en retiendra seulement deux choses : que Kamui-den débute dans Garo en 1964, et qu’il s’agit d’une œuvre de révolte.[1] Ah oui, sinon, qu’il faut le relire — en écho du «Manga culte» du sticker collé sur la couverture, comme une arrière-pensée. C’est un peu court, jeunes gens…

Pour autant, il y avait bien des choses à dire — ne serait-ce que parler un peu de ce magazine Garo et de son importance dans l’histoire de la bande dessinée japonaise, puisqu’il fondera tout un pan de la production alternative et d’avant-garde en manga ; ou même d’explorer un peu plus la place de Kamui-den dans l’histoire du Japon, comme lecture des étudiants en révolte à la fin des années 70, qui vont même aller jusqu’à lui emprunter le nom qu’ils donneront à l’une des «brigades» de l’université de Waseda à Tokyo durant les émeutes de 1967-1969 — Ikazuchi-to, «la horde du tonnerre».
Bref, pour n’importe quel préfacier un tant soit peu féru de manga (et bénéficiant d’un peu plus d’espace pour s’exprimer), Kamui-den, c’est du pain béni. Et pour un éditeur, l’occasion rêvée de mettre en avant la qualité de son approche patrimoniale, et de bénéficier d’un écho favorable dans les médias culturels. Mais pas pour Kana — trop facile peut-être, trop m’as-tu-vu probablement.

Aux atours culturels, Kana préfère plutôt les arguments de poids. Fin 2007, les 500 pages du premier volume de Lady Snowblood bénéficiaient d’une longue préface signée Jean-Pierre Dionnet. Courant 2009, les trois gros volumes de Lorsque nous vivions ensemble de Kamimura Kazuo flirtaient avec les 700 pages, et étaient accompagnés d’une brève introduction de la fille de l’auteur (pour le premier volume) et d’une courte préface de Taniguchi Jirô (pour le deuxième).
Enfin, en cette fin d’année 2010, on est rendus au service minimum : le premier volume de Sabu & Ichi, 1200 pages au compteur, se voit simplement gratifié d’un quatrième de couverture en forme d’argumentaire de vente — cinq phrases mais quatre points d’exclamation pour signifier l’enthousiasme face à ce «chef d’œuvre d’action et d’humanisme en 4 tomes !»[2] On passera sur l’«Avis aux lecteurs» en fin d’ouvrage, qui vient les rassurer quant à l’utilisation d’expressions hautes en couleur et explique assez laborieusement (et par deux fois) qu’Ishinomori retranscrivait les mentalités de l’époque, mais n’était partisan d’aucune discrimination — il est à peu près aussi utile que la mention «Ce manga est publié dans son sens de lecture originale, de droite à gauche» que l’on trouve page suivante.
Et puis enfin, voici ce premier volume de Kamui-den. «Manga culte».

Mais faut-il vraiment s’étonner ? Au sein des diverses collections de Kana présentées sur le site de l’éditeur, la collection «Sensei» est la seule qui ne bénéficie pas d’un court texte explicatif, se contentant d’un «Sensei, la collection des grands maîtres du manga» des plus sobres (ou lapidaires, c’est selon). Tout cela est donc extrêmement cohérent. Et vu que Sabu & Ichi se retrouve sélectionné pour le Prix du Patrimoine au Festival d’Angoulême 2011, peut-être n’est-ce pas si essentiel que cela d’accompagner une œuvre patrimoniale d’un appareil critique, aussi réduit soit-il : effort minimum, efficacité maximum. Et peu importe qu’il faille (encore et toujours) aller chercher le copyright pour savoir de quand date un livre, nul besoin d’indiquer les détails de la parution originale (revue, dates) — le patrimoine, c’est facile, il suffit de lâcher un pavé dans le marché… et de récolter le denier du «culte».

Les sorties de Décembre 2010
Ami lecteur, lectrice mon amour, comme c’est le cas chaque année, pas grand-chose dans le programme de sorties de nos amis éditeurs pour le mois de Décembre, que ce soit d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Rendez-vous en Janvier, pour bien préparer Angoulême…

Notes

  1. Sur Internet, le site de Kana ne se montre pas beaucoup plus disert : après un bref résumé de l’intrigue, on y apprend que «Sanpei Shiratô a dessiné des mangas exclusivement sur la vie des ninjas. Il transposait à l’époque féodale les problèmes actuels de la société des années 60. L’oppression, l’exploitation des classes ouvrières sont les thèmes centraux de ses mangas.» On a connu argumentaire plus enflammé…
  2. L’humanisme, scie bien connue que l’on retrouve régulièrement en accompagnement du moindre livre signé Tezuka, et atout imparable pour excuser certains fonds de tiroirs d’un intérêt parfois plus que discutable.
Humeur de en décembre 2010