Vues Ephémères – Février 2010
Mini-scandale au festival d’Angoulême : le Fauve FNAC-SNCF — prix du public a été décerné à Paul à Québec de Michel Rabagliati. Petit problème, l’ouvrage n’est pas (encore) disponible en France, la faute à un changement de distributeur de dernière minute. Horreur — le prix du public reviendrait donc à un livre que le public n’a pas pu lire.
Sauf que la polémique n’a pas lieu d’être. En effet, le dossier de presse du Festival 2010 indique, dès sa première page, que son palmarès «récompensera des albums publiés entre décembre 2008 et novembre 2009 en langue française, quel que soit leur pays d’origine.» C’est là l’ensemble des contraintes pour pouvoir briguer la Sélection Officielle,[1] et l’on n’y trouvera aucune obligation d’être disponible à la vente sur le territoire français. Paul à Québec est un livre en langue française, paru en mars 2009 au Québec, et donc parfaitement éligible à la Sélection et aux Prix. Le dossier est clos.
Sauf que. Sauf que ça coince, quand même. Et qu’il y a certainement une explication pour ce qui reste, pour beaucoup, un choix incompréhensible.
En 2009, c’était la ligue des internautes qui avait œuvré pour élire Mon gras et moi de Miss Gally (éminente bloggeuse). Afin d’éviter que cette erreur évidente ne se reproduise, on avait pourtant modifié la procédure en 2010, un jury choisi parmi le public faisant sa sélection parmi les cinq titres les plus plébiscités sur Internet. Las ! Non seulement les québécois ont sans nul doute comploté pour amener l’un des leurs dans le dernier quintet,[2] mais le jury populaire s’est laissé (une fois de plus) aveugler. Et probablement, l’année prochaine, on nous proposera un nouveau mode de scrutin, afin de corriger le tir.
Parce que c’est là que se trouve vraiment le problème : alors que d’un côté, l’on est plus ou moins prêt à accepter les choix discutables d’un jury, il est difficile d’accepter que le public (qui devrait forcément pencher sur les produits les plus vendeurs) puisse déjouer les idées reçues, faire preuve de discernement et accoucher d’un avis critique qui n’ait rien à envier aux journalistes eux-mêmes.
Ce n’est d’ailleurs pas nouveau — en 2007, les journalistes voyaient en Nonnonbâ «un gros album en noir et blanc, complexe et passionnant mais qui pourrait dérouter le public».[3] Il faut croire que le public avait fait preuve de plus d’intelligence que l’on ne voulait bien lui prêter, puisque dans un entretien dans La Charente Libre, Benoît Mouchart révélait qu’au contraire, l’ouvrage avait terminé dans le trio de tête du vote «populaire».
Comment serait-ce possible ? Car quand même, le «public»[4] achète principalement de la bande dessinée mainstream, voire commerciale — c’est donc qu’il apprécie, c’est cela qu’il aime, et rien d’autre. Et, très certainement, le vote du portefeuille est celui qui compte plus que tout autre. C’est bien connu : depuis que les marques nous vendent avant tout des valeurs et des histoires, consommer, c’est s’exprimer.
Mais le public ne veut pas coopérer, le public ne fait pas ce qu’on attend de lui. Le public se montre injuste vis-à-vis de ces grosses machines de guerre marketing qui n’affichent comme seule ambition que de distraire — bref, le public, placé dans la position de devoir donner un avis critique, ne s’en prive pas.[5]
Et plutôt que de chercher des excuses dans un scrutin qui aurait été subverti, ou d’invoquer une erreur technique, il faudrait peut-être s’appliquer à remettre en cause ces idées reçues qui condamneraient (avec bienveillance) le «public» à une sorte de médiocrité. Parce que le public, au fond — c’est vous, c’est moi.
Robert Bidder – Fruit – En Marge
Daniel Clowes – Lloyd Llewellyn – Le 9ème Monde, Collection nouveau monde
Hendrik Dorgathen – Space Dog – Edition Moderne
Vincent Fortemps – Par les sillons – FRMK, Hors Collection
Hayashi Seiichi – Elégie en rouge – Cornélius, Collection Pierre
Marshall Joe & Wandrille – Fernand the Polar Bear t01 : La Bière Polaire – Warum
Mizuki Shigeru – Mon copain le kappa – Cornélius, Collection Paul
José Parrondo – La porte – L’Association, Collection Ciboulette
Aude Picault – La Comtesse – Les Requins Marteaux, Collection BD Cul
Etienne Pottier – Jamais en dessous de 130 – Warum
Florentine Rey – Mon œil ! – Des Ronds dans l’O
David Snug – Y a que les fourmis qui bossent – Les Enfants Rouges
Collectifs
PLG 32 ans de bandes dessinées – PLG
Wallstrip Rapport d’Activité 2010 – Onapratut
Revues
Bile Noire n°17 – Atrabile, Collection bile noire
Lapin n°41 – L’Association
Essai
Fredrik Stromberg – Images noires dans la bande dessinée – La représentation des noirs dans la bande dessinée mondiale – PLG
Requiescat in Pace
– Jacques Martin (88 ans), auteur (entre autres) des séries Alix et Lefranc ;
– Tobe Keiko (52 ans), manga-ka lauréate en 2004 d’un Prix d’Excellence au Japan Media Arts Festival pour sa séries Hikari to tomo ni….
Au fait…
Au-delà du simple Palmarès, qui a vu le sacre de Baru en futur président et Pascal Brutal repartir avec le Fauve d’Or du Meilleur Album, qu’en était-il de cette édition 2010 du Festival d’Angoulême ?
Comme chaque année, on a vu la programmation faire le grand écart, entre un plateau de rencontres de haute volée (mais pas toujours très fréquentées) et «la plus grande librairie de bande dessinée du monde», entre les expositions consacrées à des personnages (Tuniques Bleues, Léonard) et celles construites autour des auteurs (Blutch, Fabio Viscogliosi, Fabrice Neaud ou encore Jochen Gerner).
Et malgré la volonté affichée de faire preuve d’œcuménisme, demeurait pour moi cette impression forte d’un Festival éclaté entre diverses chapelles, à l’image de son implantation en ville. A se demander s’il n’y aurait pas un festival, mais des festivals d’Angoulême…
Notes
- En dehors du fait que les candidatures sont volontaires, et qu’il revient donc aux éditeurs eux-mêmes de proposer leurs poulains à la compétition.
- Mais si c’est vraiment le cas, comment expliquer que le tome cinq du Magasin Général de Loisel et Tripp (sous-titré «Montréal», et donc n’ayant rien à envier à Paul à Québec pour ce qui est de l’évidente couleur locale) soit absent du plébiscite ? Ah oui mais non, ce ne sont pas les québécois qui se sont mobilisés, mais les québécois alternatifs, ceux qui soutiennent la petite édition contre les grosses machines de guerre marketing. Franchement, vous y croyez, vous ?
- Yves-Marie Labbé, dans Le Monde du 30 janvier 2007.
- Animal étrange, âgé de 7 à 77 ans, amateur d’humour et de détente, fidèle aux séries «classiques» et réfractaire aux œuvres plus complexes ou exigeantes… ou pas.
- Le témoignage de Maël, publié dans ces pages il y a quelques jours, en est d’ailleurs la preuve éclairante.
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