Vues Ephémères – Février 2011

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Depuis quelques années, c’est devenu le leitmotiv de la communication du Festival d’Angoulême — et encore en clôture de l’édition 2011, Benoît Mouchart n’hésitait par à en remettre une couche : «Nous avons plus que jamais l’ambition d’attirer tous les publics. Les mauvaises langues appellent ça un festival fourre-tout. Nous appelons ça une manifestation généraliste faisant volontairement le grand écart entre une exposition sur Lanfeust et un prix spécial du jury attribué à Asterios Polyp !»
Réunis au sein de la «plus grande librairie de bande dessinée du monde», tous les éditeurs, grands et petits, viendraient donc à Angoulême pour communier dans la plus parfaite harmonie, offrant l’image d’une grande famille unie sous les projecteurs de médias se découvrant subitement un intérêt pour le neuvième art. «Nulle part ailleurs on ne trouve réunis, en un même lieu et au même moment, autant de professionnels du genre, venus à la rencontre de leur public.»[1]

La belle image ferait presque rêver. Presque — mais plus aujourd’hui. C’est peut-être l’usure des années, des festivals qui se suivent et qui finissent par se ressembler. Peut-être est-ce aussi l’attirance de plus en plus marquée pour les paillettes et les «pipoles» qui pourtant, n’apportent pas grand-chose. A moins que ce ne soient les craquements que l’on entend, une fois les «bulles» démontées, lorsque les objectifs des caméras s’éloignent et que les sourires de façade s’effacent. Mais je n’arrive plus à y croire.
Ainsi, depuis que le Festival a gagné en notoriété, des conflits plus ou moins larvés se sont déclarés autour du gros gâteau. L’année dernière, on avait assisté au bras de fer entre la Mairie d’Angoulême et la société 9e Art+, organisatrice de l’événement. Cette année, à la veille de l’ouverture du Festival, le site de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image affichait un intrigant «retiré», accompagné d’un message sans détour : «À la demande expresse de la société organisatrice du Festival international de la bande dessinée, la Cité a été contrainte de retirer de sa lettre toute mention relative aux événements et expositions organisés dans ses locaux par le festival. La Cité exprime ses regrets à son public, privé de ces informations.»[2] Par ailleurs, le Festival avait mis un point d’honneur à ignorer tout ce qui pouvait être organisé par la Cité durant les quatre jours (débats ou expositions), que ce soit dans le programme heure par heure présent sur son site ou dans sa version papier. Visiblement, le Festival n’appartient pas à tout le monde.

A l’extrême opposée de ces luttes politiciennes, on trouvait cette vision qui m’accompagne encore, celle du stand en grève de l’Association, sorte de trou noir à l’entrée de la Bulle du Nouveau Monde, qui plombait l’ambiance et occupait les discussions de tous. Fer de lance d’une certaine idée de la bande dessinée (maintes fois réaffirmée), l’Association se trouve depuis la mi-janvier empétrée dans une crise aussi profonde que douloureuse. Il y a eu plusieurs communiqués (largement relayés par Internet), une pétition, et depuis quelques jours, un comité de soutien aux salariés de l’Association en grève. Je n’en ai pas parlé sur du9 — non pas par indifférence, mais par sincère inquiétude devant une situation dont j’ignore tout, et sur laquelle je n’arrive pas à exprimer autre chose qu’une tristesse infinie. Pour l’instant, quelques timides avancées ont été faites des deux côtés, et laissent envisager une possible solution à cette crise qui, de toute façon, mettra du temps à être digérée.
Et alors que je trouve de plus en plus puériles les empoignades autour de la «marque» qu’est devenu le Festival, alors que je n’ai plus qu’une curiosité polie pour le palmarès, alors que j’ai fini par accepter la médiocrité d’une bonne partie de la presse face à la neuvième chose, je n’arrive pas à me résigner à tourner la page de l’Association, qui a accompagné tout mon parcours de lecteur adulte. Pour tout ce qu’elle a été, et pour tout ce qu’elle représente encore, j’espère.

Les sorties de Février 2011
Stéphanie Bellat – Princesse LibelluleLa Boîte à bulles
Ivan Brunetti – Ho !Cambourakis
Fabcaro – L’Album de l’AnnéeLa Cafetière
Benoît Guillaume – Le fantômeL’Association
Simon Hureau – L’Empire des Hauts-MursLa Boîte à bulles
Mizuki Shigeru – Kitarô le repoussant Vol.10 – Cornelius
Morgan Navarro – Teddy BeatLes Requins Marteaux
Torborg Nedreaas – Derrière l’armoireCambourakis
Aurélie Pollet – Les parades nuptiales de Léon LanimalDiantre ! éditions
Thierry Vivien – Yodablog unDiantre ! éditions

Essai
Jean-Christophe Menu – La bande dessinée et son doubleL’Association
Collectifs
Ax anthologie Vol.1 – Le Lézard noir
Bile noire n°18 – Atrabile
Lucky in love (Première partie) – Editions Ca et Là

Une question d’équité
C’est le moins qu’on puisse dire : tous les prix ne sont pas égaux entre eux. Ainsi, le Fauve d’Angoulême – Prix de la Série, grand appel du pied en direction des éditeurs mainstream, ne pouvait être brigué cette année que par… quatre titres (Fritz Haber, Pluto, The Walking Dead et Quelques jours en France) sur 58 présents dans la sélection officielle.

International ?
C’est peut-être l’aspect le plus paradoxal de cette trente-huitième édition : d’un côté, un palmarès largement ouvert sur le monde, à commencer par son Grand Prix décerné à Art Spiegelman. Ainsi, une très large majorité des neuf Fauves attribués par le Grand Jury dimanche dernier a récompensé des auteurs étrangers (mais, comme l’exige le règlement de la sélection, publiés en français).[3]
Au contraire, les «rencontres internationales»[4] qui se tenaient durant le Festival avaient une forte coloration francophone, puisque sur treize sessions, les traducteurs n’auront été sollicités qu’à quatre reprises face à un contigent d’invités[5] composé de six français, trois belges wallons, un québécois… et trois américains, un anglais, un allemand et une japonaise. On soulignera au passage qu’il vaut mieux être soi-même francophone pour profiter de ces rencontres — aucune traduction (vers l’anglais, par exemple) n’était proposée aux festivaliers étrangers qui auraient fait le déplacement.
Qu’on se le dise : Angoulême est avant tout le Festival International Francophone de la Bande Dessinée Francophone. Espérons que l’édition prochaine se montrera plus accueillante sous la houlette du Président Spiegelman.[6]

Notes

  1. Extrait du dossier de presse de l’édition 2010.
  2. Si la page en question a aujourd’hui disparu, celle consacrée aux activités se déroulant à la Cité durant le Festival d’Angoulême contient un certain nombre de «liens morts», en particulier pour les rencontres internationales ou certaines des expositions organisées dans le bâtiment Castro.
  3. Soit deux américains (David Mazzucchelli et Joe Sacco), deux italiens (Manuele Fior et Attilio Micheluzzi), une autrichienne (Ulli Lust), un belge flamand (Brecht Evens) et un japonais (Urasawa Naoki).
  4. Présentées dans le dossier de presse comme des occasions où «Venus du monde entier, des auteurs prestigieux témoignent de leur travail, en public. Une suite de rendez-vous exceptionnels.»
  5. Dans l’ordre d’apparition : Baru, Arleston, Dominique Goblet, Jean Van Hamme et Philippe Francq, Manu Larcenet, Moebius, la triplette Dash Shaw-John Pham-Marc Bell, Ikeda Riyoko, Matthias Schultheiss, Charlie Adlard, Michel Rabagliati, Etienne Davodeau et Jean-Pierre Dionnet.
  6. Lui-même cinquième non-francophone à recevoir tel honneur.
Humeur de en février 2011