Vues Éphémères – Février 2017

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Ce n’est pas une surprise : lorsque l’on se force à tenir le rythme d’un édito mensuel, il y a des mois où l’inspiration fait défaut. Des mois où l’on voit les semaines défiler sans que l’on arrive à dénicher un sujet digne d’attention. Des mois dont la fin pointe le bout de son nez, et où tout reste encore à écrire. La pression monte, et c’est parfois le dos au mur que l’on finit par accoucher d’un texte, en désespoir de cause (ou presque). Février, cependant, est rarement de ces mois au commentaire difficile — après tout, Angoulême est incontournable, et il y a toujours à dire sur son déroulement ou son palmarès… à moins que l’on ne préfère s’attarder sur les réactions que l’un ou l’autre ont pu susciter.

Oui, mais cette année, il n’en est pas question. Télérama l’annonçait d’ailleurs la veille de l’ouverture des festivités : « Festival d’Angoulême 2017 : une édition apaisée a minima ». Quelques jours plus tard, le verdict était confirmé : France 3 soulignait que « La 44ème édition du FIBD d’Angoulême s’est déroulée dans la sérénité contrairement à l’an passé », 20 Minutes décrétait « Une 44e édition presque exemplaire », alors que Le Figaro y voyait « une grande cuvée », expliquant sobrement : « La manifestation a tenu ses promesses, celles de retrouver son statut de rendez-vous incontournable du 9e art. Avec un Fauve d’or assez inattendu, le sacre de l’album audacieux et moins grand public Paysage après la bataille, Angoulême n’a pas prêté le flanc à la critique. Éditeurs et auteurs n’ont pas tari d’éloges, soulagés de vivre un festival éloigné des soubresauts de l’année dernière […] »
Et même si le titre choisi par Le Monde (« Succès sous armistice à Angoulême ») se démarquait par la réserve dont il faisait preuve, l’article se montrait lui aussi positif : « Marquée par la qualité des expositions, la 44e édition du festival du 9e art a su taire le conflit entre organisateurs et éditeurs », rappelant qu’« Au Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême, un critère supplémentaire doit être pris en compte : l’absence de polémique. […] Aucun incident n’aura défrayé la chronique cette année. La 44e édition, qui s’est refermée dimanche 29 janvier, restera même plutôt comme un excellent cru. »
Embrassant eux aussi cette volonté d’accalmie, les journalistes ont même salué le grand-écart magistral du palmarès (entre Grand Prix consensuel et Fauve d’Or exigeant), y voyant aujourd’hui l’indication d’un équilibre louable, alors qu’il aurait probablement donné lieu, les années précédentes, à une énième digression opposant populaire et élitisme. Ou comme le résume Le Monde : « La profession, de son côté, a désigné un Grand Prix aussi consensuel qu’incontestable, le Suisse Cosey, alors que le jury présidé par l’écrivaine et dessinatrice britannique Posy Simmonds a fait assaut d’audace en attribuant le prix du meilleur album à un ouvrage « exigeant », Paysage après la bataille (Actes Sud/Frémok), des Belges Eric Lambé et Philippe de Pierpont. »
Résumons donc : à Angoulême en 2017, tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes — tout cela rendu possible par l’union sacrée des auteurs, éditeurs, organisateurs et journalistes, bien décidés à ne pas réitérer la catastrophe (médiatique) de l’année précédente. Et qui serais-je donc, pour venir perturber la belle harmonie, en critiquant cette réussite et en rompant la trève ?

C’est donc ainsi que je m’apprêtais à conclure cette « humeur » (finalement bien sage), au soir du 22 février. Un peu soulagé, au final, de ne pas vraiment à avoir à parler du Festival d’Angoulême, ne serait-ce que parce qu’au fil des ans, j’ai probablement déjà dit tout ce que je pouvais avoir à en dire.
Mais voilà que, faisant une dernière recherche par acquit de conscience, je découvre cet article au titre alarmant : « Festival d’Angoulême 2018 : ça commence déjà à coincer » — et qui, dès les premières lignes, fait voler en éclat la belle image : « L’euphorie liée au succès de l’édition 2017 semble être déjà de l’histoire ancienne. » Le lendemain, un communiqué de presse intitulé « Pour l’indépendance du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême » marque la reprise des hostilités.
L’accalmie n’avait été que de courte durée — il faut croire qu’Angoulême sera toujours Angoulême…

Humeur de en février 2017