Vues Éphémères – Novembre 2015

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Alors que la fin de l’année se dessine, vient souvent le moment des bilans — et avant tout, des bilans personnels. Et, en ces derniers jours de novembre, il n’est plus possible de nier l’évidence : il n’y aura pas, cette année, de Numérologie. Pour être honnête, cela fait plusieurs mois que je me suis résigné à cette idée, n’ayant pas réussi à trouver le temps ni l’énergie de me relancer dans ce chantier annuel.

Il y a là probablement une forme de fatigue, dix ans après une première tentative des plus succinctes — une décennie qui vit chaque nouvelle itération accoucher d’un nombre de pages sans cesse grandissant, jusqu’au « monstre » de l’année dernière devenu d’ailleurs livre à part entière. Et s’il reste une poignée de sujets qui mériteraient d’y être abordés (la distribution, le coût du livre peut-être, l’épineuse question du scantrad), l’édition 2014 représente la forme la plus aboutie de ce travail au long cours — alors autant éviter les redites.
Disposant désormais de données très riches sur la période 2005-2014, il me serait possible d’envisager une analyse beaucoup plus technique (cycles de ventes, bandes de prix, etc.), mais cela nécessite le développement d’un outil adéquat que mon emploi du temps actuel (« débordé chronique », comme j’aime parfois à l’écrire) ne me permet pas… ou pas encore.
Par ailleurs, fin 2014, Ipsos a annoncé l’arrêt de son travail de panéliste, jetant probablement l’éponge face au mastodonte GfK. Or, depuis dix ans, la grande majorité de mes outils d’analyse étaient basés sur des données Ipsos, tant pour des raisons de cohérence (ne jamais mélanger des chiffres provenant de sources différentes) que pour des raisons de richesse (les communiqués annuels de GfK étant alors bien plus arides que les dossiers annuels de Livres-Hebdo basés sur des chiffres Ipsos) ou plus prosaïquement d’ouverture (Ipsos s’étant toujours montré plus accessible et ouvert au dialogue). Et quand bien même je dispose d’un éventail de données GfK récupérées auprès de certains de mes contacts (loués soient leurs noms !), tout cela reste très parcellaire, passablement daté (décembre 2013 pour les dernières données) et donc loin de pouvoir soutenir le type d’analyse que j’envisage.

Enfin, il y a bien sûr les doutes quant à l’utilité d’un tel travail devant une forme d’immuabilité des discours. Ainsi, la « bande dessinée, art populaire » est toujours aussi vivace six ans après la publication de mon texte dans Le Monde Diplomatique, et les Numérologies successives n’ont pas plus entamé les marronniers de la « santé insolente » du pendant économique.
Dans le panorama personnel et subjectif des réactions à mes écrits, je constate que bien des « observateurs » du marché de la bande dessinée se sont empressés de souligner combien il n’y avait là rien qu’ils ne connaissaient de longue date. Même devenue respectable (comprendre par là : imprimée sur papier), la Numérologie a eu bien peu d’échos au sein de la presse, spécialisée ou non, traditionnelle ou numérique. En définitive, son impact principal aura été d’encourager l’évolution du rapport annuel de l’ACBD signé par Gilles Ratier, avec qui les malentendus du départ ont laissé place à une forme d’émulation cordiale (« we’ll agree to disagree », comme disent les anglais).
Si j’en crois ce que j’ai pu lire dans certains forums, cette indifférence ne devrait pas me surprendre : la Numérologie est trop longue, trop technique, trop donneuse de leçons… quand ce n’est pas la seule présence d’une coquille typographique qui vienne invalider l’ensemble de l’analyse, dès lors forcément sujette à caution. Le verdict récurrent restant que de toute façon, « les chiffres, on leur fait dire ce que l’on veut ».
Étonnamment, ce sont les éditeurs[1] qui se sont montrés les plus enthousiastes et désireux d’engager le dialogue, voire d’apporter des éclaircissements et des précisions. Paradoxe de voir ainsi mon travail validé par les « professionnels de la profession », tout en constatant combien ils sont, du fait de leur position même, dans l’impossibilité d’en exprimer publiquement la valeur[2].

A regret, donc, 2015 sera une année sans Numérologie. Année de césure ou fin de série, la question reste ouverte…

Notes

  1. Les grands éditeurs, surtout — les « petits » éditeurs alternatifs se situant (ou choisissant de se positionner), par définition, hors des contingences du marché (dans son acceptation capitalistique). Reconnaissant cette situation volontairement en marge, la Numérologie s’y est donc rarement attardée. Réciproquement, si certains m’ont indiqué qu’ils trouvaient l’approche intéressante, ils ont également reconnus qu’elle les concernait bien peu.
  2. Il suffit de se pencher sur les dossiers annuels publiés dans Livres-Hebdo pour admirer le délicat exercice de style qu’est, pour un éditeur, le commentaire de la santé du marché. Chacun s’y veut rassurant sur sa propre performance, tout en critiquant vaguement les dérives des autres (dont ils sont bien souvent eux-mêmes coupables).
Humeur de en novembre 2015