Vues Ephémères – Octobre 2011

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Tout commence (encore une fois), par une jolie histoire que l’on raconte un peu trop souvent. Celle d’un auteur de bande dessinée fort connu, qui admirait le travail d’un jeune cinéaste, au point d’être persuadé que ce dernier serait le seul capable d’adapter ses créations pour le grand écran. Mais le jeune cinéaste, bien qu’ayant reçu cet adoubement, hésitera bien longtemps avant de réaliser le souhait du vieux maître, attendant que les outils à sa disposition se montrent à la hauteur de son respect pour l’œuvre originale.
Un bon quart de siècle plus tard, l’heure est venue et le jeune cinéaste, devenu depuis grand ponte de sa discipline, se prépare enfin à passer à l’acte. Les laudateurs du vieux maître retiennent leur souffle, et, emplis d’espoir, se remémorent la jolie histoire de la rencontre, comme pour se rassurer. Il faut dire que les dernières volontés du vieux maître, que ses personnages ne vivent pas d’autres aventures après sa mort, les ont un peu laissés en situation de manque. Et ils frissonnent d’enthousiasme à la perspective de quelque chose de nouveau, même si ce nouveau reste dans les limites du canon établi une fois pour toute.
Les premières images paraissent, soigneusement choisies : on y retrouve, dans la version du cinéaste, certaines scènes emblématiques de l’œuvre du maître. Il y a (forcément) un rien de trahison, mais on minimise, devant de telles preuves de respect. Et puis, l’attente est enfin récompensée, le film sort dans les salles. Le dossier de presse n’hésite pas à revenir sur la jolie histoire, et à rappeler à longueur de page combien tous les intervenants (à commencer par notre cinéaste) sont tombés dedans quand ils étaient petits, et que ce film est avant tout une question de passion et de fidélité scrupuleuse.

Des affiches, on en a vu plusieurs. La première, c’était pour une publicité pour McDonald’s, à la fin de l’été — première occasion aussi de voir de près ces personnages dans cette «incarnation» (peut-on encore parler d’incarnation quand elle n’est que virtuelle ?) si particulière. Plus près de nous, il y a cette campagne de Carrefour avec ses millions de figurines à collectionner, et les créations du vieux maître invoquées à chaque page du catalogue pour des affaires véritablement immanquables. Entre les deux, on aura sans doute aperçu à la télévision le spot Peugeot, tout en allusions appuyées.
On découvre la farandole des produits dérivés, affiches, figurines, Meccanos, jeu de société, jeu vidéo, puzzle, etc. Et puis surviennent ces annonces triomphales de réédition, de mises en place faramineuses en magasin (sans doute amplifiées dans l’atmosphère morose d’une année de crise du livre), pour un succès que l’on découvre alors annoncé, orchestré, organisé, et dans lequel toute la passion et le respect que l’on nous claironne par ailleurs est bien peu de chose devant un plan marketing bien huilé.

Au-delà de la transposition en trois dimensions de ces héros de papier, le film lui-même reste un objet étrange. Bavard et se sentant obligé d’expliquer chaque élément de l’intrigue, il ne se tait que lorsque l’action vient prendre le devant de la scène, progressant à un rythme effréné, où l’on a le temps ni de s’attacher, ni de s’inquiéter pour ses personnages. On s’interroge sur certaines scènes laissées à l’état d’intentions (alors que pleinement réalisées dans l’original), on questionne le nouveau rôle dont certains personnages se voient affublés, on note quelques raccourcis sans doute justifiés par les exigences de la production… Et puis, enfin, on remarque les libertés qui ont été prises, depuis ce choix de composer un récit à partir de trois albums, jusqu’à des séquences entières totalement inédites.
Les héritiers du maître, farouches gardiens du temple, qui depuis des années n’hésitent pas à foudroyer les initiatives autour de l’œuvre du maître réalisées sans leur bénédiction, se montrent ici bien plus accommodants. Certes, ils avaient porté ce seul projet comme garant principal et nécessaire de l’avenir d’une œuvre que les années avaient fini par naphtaliner (après une entrée au musée presque pharaonique). Et l’on ne peut que constater combien la volonté du maître quant aux aventures posthumes de ses personnages sait faire preuve de flexibilité, du moment que le jeu en vaut la chandelle.
Non sans évoquer Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne, le récit original se terminait sur ce constat que l’aventure humaine se suffisait à elle-même comme récompense — avant qu’un heureux rebondissement ne vienne ajouter un peu de concret à cette belle morale. Le film se fait autrement plus pragmatique, faisant de la découverte du trésor un objectif que l’on ne perdra jamais de vue. Car n’oublions pas que si «l’aventure, c’est l’aventure» — surtout, «les affaires sont les affaires».

Les sorties d’octobre 2011

  • Zeina Abirached – Beyrouth partitaCambourakis
  • Alex Baladi – Pure PerteL’Association, Collection Mimolette
  • Jacky Beneteaud & Stéphane Courvoisier – Pages intérieuresL’An 2
  • Cécily – EuclideMême Pas Mal
  • Conz – Quelque part les étoilesMême Pas Mal
  • José Correa – L’arrache VianAlain Beaulet
  • Amélie Fontaine – Le grand défiléAlain Beaulet
  • Guillaume Guerse & Marc Pichelin – Long Courrier6 pieds sous terre, Hors collection
  • Sophia Lipburger – ObiLa 5e Couche
  • Stéphane Sénégas & Frédéric Maupomé – AnukiLes éditions de la gouttière
  • Jesse Moynihan – Forming vol. 1 – NoBrow
  • Max de Radiguès – Pendant ce temps à White River Junction6 pieds sous terre, Hors collection
  • Joe Sacco – Gorazde (Edition XVe anniversaire)Rackham, Hors Collection
  • Tatsumi Yoshihiro – Une vie dans les marges vol. 2 – Cornélius
  • Jack Teagle – Fight !NoBrow
  • Rich Tommaso – Sam Hill 1924-1927çà et là
  • Vincent Vanoli – D’une île à l’autreL’Association, Collection Ciboulette
  • Hamidreza Vassaf – Au pays des MollahsMême Pas Mal
  • Wouzit – Divins mortelsMoule à gaufres
  • Yokoyama Yûichi – Explorationséditions matière, Collection Imagème

Essais

  • Francis Groux – Au coin de ma mémoire : L’un des fondateurs du festival d’Angoulême se souvientPLG
Humeur de en octobre 2011