Alcide
Alcide, c’est un destin. Celui d’un enfant dont les talents précoces succèdent au mystère de sa naissance et ne cachent rien d’autre que sa nature d’Être élu. Car c’est sa destinée que débarrasser le Monde des démons qui l’oppriment ; et l’on sait bien qu’il revient à ce genre de héros aux « hauts et mirifiques faits » (comme nous l’annonce le sous-titre) de gouverner ceux qu’ils ont si vaillamment délivrés. Ainsi Alcide devient Roi, bon et juste, car il ne saurait en être autrement, et se donne alors pour but de tirer son peuple « vers autre chose », plus haut. Mais où d’autres héros de bande dessinée auraient réussi dans cette mission, Alcide doit subir la tragédie du personnage mythologique et échoue à relever ce défi. Il renonce de lui-même à régner, mais, puisque décidément tout est tracé, prendra pour ses vieux jours les traits du Maître, et tel Socrate ou Jésus, dispensera son enseignement à quelques « apôtres ».
Alcide, c’est un chiffre. Celui des quatre émissaires ailés qui, à chacun des quatre tournants de la vie d’Alcide, lui confieront une nouvelle mission. Ces quatre missions scandent sa vie, qui connaîtra quatre âges (enfance, héroïsme, règne, vieillesse), et découpent le récit en quatre chapitres. Quatre, c’est aussi l’âge auquel il se fera remarquer, vainquant quatre serpents. Ce sont les quatre combats qu’il mènera contre les monstres envoyés par le démon Cinabre et Cinabre lui-même. Ce sont les quatre traits de caractère qu’il acquerra en suivant l’enseignement des quatre Sages Misanthropes. C’est la racine carrée de l’âge auquel il partira chasser les démons qui hantent le monde. Ce sont les quatre Rois des démons qui resteront au bout de deux fois quatre ans et qu’il ira affronter sur leurs territoires respectifs aux quatre points cardinaux. Ce sont les quatre cités sur lesquelles il règnera, et les quatre fois quatre ans au bout desquels il constatera la faillite de ses ambitions d’élever l’Humain. Ce sont les quatre meilleurs parmi les élèves qui suivront son enseignement. Ce sont aussi les quatre seuls objets qu’il emmènera avec lui à chacun de ses départs, et qu’il délaissera lors du dernier.
Alcide, c’est une anaphore, figure de style que j’essaie de rendre modestement dans cette chronique, qui fait bégayer le destin à l’ouverture de chaque chapitre. Celui-ci a décidé de ne pas laisser s’échapper Alcide et se manifeste à lui à travers les quatre volatiles oracles.
Alcide, c’est un cérémonial. Celui qui consiste à ouvrir ce livre, découvrir qu’il est en réalité une double-pochette[1], et en extraire soigneusement, voire religieusement, les quatre livrets qu’elle contient, un par chapitre. Et puis déplier délicatement chacun des livrets, une première fois, et puis une deuxième. Le chiffre quatre, décidément vrai nombre d’or de ce récit, nous poursuit donc ici. Logique, car ces deux plis sont ceux de l’in-quarto. Ils révèlent, au verso, des représentations elles-mêmes systématiquement divisées en quatre parties : une par Sage ou Elève pour celles qui font les portraits de ces personnages, une par Cité ou Territoire pour celles qui sont des cartes. Ainsi…
… Alcide, c’est un hommage au livre, à la chose imprimée. Pas de cette vénération parfois béate qui prétend s’intéresser au support quand elle ne produit en réalité que des « albums », quand bien même la couleur en est absente et la pagination originale. Il y a ici un réel et fécond travail sur le support. A la différence des expérimentations oubapiennes ou des albums de Marc-Antoine Mathieu, le récit n’est plus ici un simple prétexte à un dispositif autour duquel l’histoire est écrite. Au-delà de l’exercice de style, Alcide semble bel et bien né d’une coïncidence provoquée et sublimée entre une technique d’assemblage et un récit, d’une rencontre fructueuse entre le support et la légende d’Alcide.
Enfin, Alcide ce sont les toutes jeunes éditions Polystyrène, une structure à suivre de près…
Super contenu ! Continuez votre bon travail!