Fraise et Chocolat

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Pour le lecteur un peu attentif, les pages de Japon recélaient deux histoires qui se faisaient étrangement écho, et laissaient supposer une liaison autre que professionnnelle entre deux des participants à l’expérience. La chose est désormais confirmée par la parution de Fraise et Chocolat, second ouvrage de la jeune Aurélia Aurita,[1] et qui détaille par le (me)nu sa relation passionnée et éminemment charnelle avec Frédéric Boilet.

Que les choses soient claires : Fraise et Chocolat parle avant tout et principalement de sexe, dans tous les endroits, dans toutes les positions, à toute heure et plusieurs fois par jour si possible. On va ainsi assister à un déballage enthousiaste et adolescent, emporté par le plaisir de la découverte, exalté par la passion d’une jeune femme amoureuse. Et d’énumérer, de comptabiliser, de cataloguer les orgasmes en tout genre, avant de recommencer. Un tel étalage aurait pu devenir fastidieux voire scabreux, s’il n’y avait ce dessin naïf et frais, qui par sa rondeur et sa simplicité fait passer l’ensemble avec légèreté, même pour les situations les plus extrêmes.
D’ailleurs, cette (relative) innocence du trait contraste particulièrement avec le langage utilisé, qui chante les plaisirs charnels sans périphrases ni mots détournés, choisissant plutôt d’explorer toutes les richesses (hum !) de la langue française : «maintenant tu baises, tu fourres, tu tringles, tu m’enfiles et tu ne jouis plus, tu décharges». Le sens réel du titre de ce recueil est à l’avenant.[2]

L’impudisme de cette mise à nu qui couche sur le papier l’intimité des choses sexuelles dissimule une autre forme de pudeur : en dehors de cette évidente attirance physique, rien ou presque n’est révélé de ce qui pourrait faire leur relation — la rencontre est expédiée en quatre cases, et les rares discussions reproduites ici tournent rapidement autour de la chose.
Les véritables «confidences» sont rares dans ce livre — il y a bien la première fois où Aurélia dit «je t’aime», quelques inquiétudes passagères et une ou deux scènes qui laissent entrevoir une vraie complicité au-delà de la simple (ou plutôt extraordinaire) compatibilité physique : la préparation des «œufs Boilet» dont on ignorera le vrai secret, ou le plaisir gamin d’un Frédéric qui s’empiffre à deux mains des «meilleures chips du monde».

Plus encore, ce qui frappe dans cet ouvrage, c’est sa gratuité. La bande dessinée indépendante s’autorise depuis longtemps à aborder les choses du sexe dans ses pages,[3] mais il est bien rare que ces incursions se fassent en dehors de toute ambition narrative. Avec Fraise et Chocolat, Aurélia Aurita ne raconte pas grand’chose et livre une œuvre crue et directe, avec une pointe d’humour mais sans véritable recul — dans une certaine mesure, une ode à la passion charnelle, simplement et seulement.
Relevant plus de l’exhibitionnisme que du dévoilement intime, léger dans ses préoccupations au point d’en devenir inutile, voici donc un ouvrage à classer au rayon des curiosités anecdotiques … avant de l’oublier.

Notes

  1. Pseudonyme de toute évidence, aurelia aurita étant le nom latin d’un type de méduse.
  2. Le fait que cet ouvrage soit issu de la plume d’une femme lui vaudra sans doute pas mal d’indulgence — suffisamment inhabituel pour être noté, dans un genre généralement reservé aux hommes. Nul doute qu’un auteur masculin se serait vu qualifié de graveleux ou d’obscène pour le même exercice.
  3. De Crumb à Sfar en passant par Joe Matt et Ego Comme X, voire des projets d’anthologies thématiques comme Dirty Stories, True Porn 2.
Site officiel de Aurélia Aurita
Site officiel de Les Impressions Nouvelles
Chroniqué par en avril 2006