Infinity 8

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Au-delà de l’évidence que le signe de l’infini redressé forme le chiffre précédent le 9, les auteurs d’Infinity 8 constateraient deux choses à propos de la science-fiction. D’abord, qu’elle est désormais un serpent qui se mord la queue, un ouroboros en forme de ruban sans fin torsadé ; ensuite qu’elle s’est constituée d’hypothèses ou d’anticipations, que celles-ci ont fini par faire des thématiques, et qu’il en faut bien une huitaine pour en montrer les principales.

Dans L’atelier mastodonte, œuvre collective et à présence « trondheimienne » comme celle futuriste présentement commentée ici, on se moque de ces auteurs finissant leur récit par le réveil de leur personnage au moment où tout a commencé, et l’on en fait même, à cause de sa facilité et de son déjà-vu, un principe à éviter à tout prix, un témoignage d’amateurisme. Avec science et professionnalisme, Infinity 8 cultive en quelque sorte une réinitialisation semblable du récit. Dans cet univers, il y a une possibilité de revenir au début, au moment où le chemin a bifurqué vers la catastrophe. Trouver cette porte de sortie sous forme de conditions ou situations permet aux auteurs de maintenir un suspens dans leurs histoires.

Ainsi le futur devient un rêve à ne pas faire, en même temps qu’un récit qui se résume à une branche que l’on explore, une arborescence parmi d’autres, aux allures d’univers multiples et infinis que l’on élaguera à huit, moins comme contrainte oubapienne que par un souci à la fois symbolique et économique. Ce dernier point de nature éditoriale s’affirme d’autant que la série fait l’objet d’une édition en fascicules avant de sortir en albums. Cette possibilité permet aux auteurs de jouer sur le paratextuel des comics (fausse pub, petites annonces, logo du comics code détourné, etc.) d’une manière qui n’est pas uniquement celle habituellement connivente, mais qui ancre d’avantage leur travail dans cette science-fiction américaine qui imposa ses codes aujourd’hui réifiés ad nauseam par Hollywood et bien d’autres industries du divertissement, et qui a surgi un peu avant le milieu du XXe siècle, entre les débuts de la revue Weird tales et la fin du comics Weird Science[1]. La série suggérerait peut-être aussi, par son retro futurisme, que tout depuis n’aura été que formel.

La démarche d’Infinity 8 fait aussi penser à celle entamée il y a 20 ans avec la série Donjon. La fantasy a fait place au sci-fi. Ce qui apparaissait « rôliste » dans l’une, témoigne d’un savoir faire dans l’autre. En quelque sorte l’on y montre le passage de la s-f à la sdlf, « science de la fiction », où la première n’est plus qu’un folklore, un futur antérieur, dont on conjugue au présent les artifices et ce que le temps et le succès ont transformé en traditions, tout cela entre amis, entre vieilles connaissances et après l’an 2000.

Notes

  1. Notons que Lewis Trondheim a fait un travail quelque peu semblable de renvoi aux origines d’un genre sur la série Texas Cowboys, cosignée avec Matthieu Bonhomme, en s’intéressant aux publications bon marché qui ont popularisé le Western.
Site officiel de Lewis Trondheim
Chroniqué par en novembre 2016