du9 in english

Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps

de &

Si l’autobiographie est de nos jours un genre couramment identifié et pratiqué dans la bande dessinée, il en va autrement quand il s’agit de biographies d’auteurs de la neuvième chose. A ma connaissance, il n’existe actuellement et en français que trois albums de ce type : un sur la vie d’Hergé par Stanislas, Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet,[1] un autre sur la vie de Tezuka par les studios du même nom[2] et enfin celui que proposent aujourd’hui Florence Cestac et Jean Teulé.[3]

Pourquoi si peu et seulement depuis quinze ans ?
Les biographies en bande dessinée ont longtemps été consacrées aux personnages historiques et religieux,[4] vulgarisant une vie exemplaire à un public jugé incapable ou trop jeune pour lire une «biographie savante». Langage perçu comme profondément inapte à pouvoir analyser une vie ou de pouvoir en montrer avec ses qualités propres l’originalité, la bande dessinée est alors un moyen en et de l’enfance pour édifier en illustrant, des récits plus hagiographiques que biographiques.
Ceci ne fournit pas une explication mais un décor, qui fait que plus tard l’on ait pu se désintéresser de (ou fuir) ce genre relégué exclusivement à son pré carré didactique.

Les conditions pour qu’il y ait biographie d’auteur de bande dessinée seraient les suivantes : il faut que la notion d’auteur de bande dessinée existe ; que la bande dessinée ait une Histoire ; et qu’elle s’interroge sur ses moyens et possibilités expressives. Trois points qui sembleraient ne s’être tous réalisés que dans la deuxième moitié des années 90.
Les aventures d’Hergé, par exemple, est à cet égard emblématique puisque le père de Tintin est peut-être le premier auteur de bande dessinée reconnu comme tel (du moins dans l’espace francophone), qu’il incarne toute une histoire/évolution de la bande dessinée (de 1929 à 1976), et que cette biographie a été réalisé précisément dans un style ligne claire dont il serait l’initiateur.

Dans le livre de Florence Cestac et Jean Teulé, la notion d’auteur est un acquis ; l’histoire de la bande dessinée des années 70 et 80 est un champ qui se défriche de plus en plus de nos jours ; et enfin parce que parler de soi en bande dessinée est naturel à la dessinatrice et que parler de la bande dessinée en bande dessinée va alors de soi.[5]

Au-delà de son œuvre, l’attrait de Charlie Schlingo vient aussi du fait qu’il fut l’acteur d’une vie in-exemplaire, celle d’un saint buveur et bagarreur qui ferait le pied de nez aux biographies initiales évoquées plus haut, souvent lues par les enfants nés dans les années 40 et 50.
Bien sûr, cette biographie ne se résume pas à cela. Elle est «savante» dans le sens où elle éclaire l’œuvre en cernant la personnalité de l’artiste. Et si suivant ce qui devient un adage «l’humour est la politesse du désespoir», alors Charlie Schlingo était un garçon extrêmement poli, car la vie lui avait tapé sur les jambes dès le plus jeune âge, l’obligeant à se mettre la tête à l’envers.
Jean Teulé que l’on sait biographe à ses heures, a bien plutôt porté ce regard qu’il mettait lui-même sur les Gens de France et d’ailleurs pour ciseler un scénario qui se joue des atouts et limites du dessin de Florence Cestac. Certes, à l’heure où certaines des œuvres de Schlingo vont à nouveau être disponibles,[6] où un prix Schlingo sera désormais décerné chaque années,[7] certains parleront plus volontiers d’hagiographie bien menée que de biographie. Reste que la part de la première reste rarement absente de cette seconde si son enjeu n’est pas purement historique, et que cet album se veut aussi témoignage (les deux auteurs ont connu Schlingo) et hommage. Comme c’est fait consciemment et que personne n’est dupe, cette biographie d’un auteur de bande dessinée par des auteurs de bande dessinée est une belle réussite qui ouvre vers des possibilités et des interrogations qui ne demandent qu’à être explorées.

Notes

  1. Les aventures d’Hergé, Ed. Reporter 2007, 1ère édition Lefranc 1998.
  2. Osamu Tezuka biographie, éd. Casterman, 4 volumes publiés en français entre 2004 et 2006.
  3. Je ne parle que de ces albums, mais peut-être y-a-t-il eu, surtout quand la bande dessinée n’était qu’affaire de presse avant les années 80 par exemple, des hommages à certains auteurs soudainement disparus, à travers de courts récits en bande dessinée publiés dans des magazines ou fanzines.
  4. Vies de saints.
  5. Notons que Florence Cestac a commencé à décrire le milieu de la bande dessinée en bande dessinée dès les années 80.
  6. Gaspation ! et Josette de rechange ! chez L’Association.
  7. Premiers lauréats Yan Lindingre et Manu Larcenet pour Chez Francisque.
Site officiel de Dargaud
Chroniqué par en février 2009