Kokumin Quiz

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Dans la Rome antique, pour calmer la populace, on lui donnait du pain et des jeux. Visiblement, la formule n’a pas bougé d’un iota depuis, comme on peut le constater dans le Japon psychédélique du Kokumin Quiz («le Quiz du Peuple») de Sugimoto Reiichi et Katoh Shinkichi. Et dans une société en pleine décomposition, rien de tel qu’un petit coup d’opium du peuple pour s’oublier un instant dans le monde doré du petit écran.

Kokumin Quiz, c’est tous les soirs 95 % d’audience religieusement rivée à son poste de télévision, buvant les paroles de K.-i K.-ichi, présentateur hystérique et survolté (sans oublier sa charmante assistante, la délicieuse M.-da A.-ko). Kokumin Quiz, ce sont 500 candidats remplis d’espoir qui affrontent la phase éliminatoire — 100 questions dont l’absurdité n’a d’égale que leur incroyable difficulté — et dont on ne retiendra qu’une poignée de gagnants potentiels. Kokumin Quiz, c’est surtout la possibilité de voir son plus cher souhait se réaliser — fût-il de retrouver son chien disparu, ou d’avoir la Tour Eiffel dans son jardin. Tout est possible, car c’est là la magie de la télévision, solidement épaulée par les forces armées du commandant Murakoshi.
Bien sûr, tout n’est pas rose une fois que l’on éteint son poste. Dehors, des manifestants tentent de s’opposer à l’emprise du Kokumin Quiz, mais sans succès. Les perdants du jour iront rejoindre les autres en Sibérie, aller y couper du bois, geler de froid et mourir vite. Quant aux animateurs, l’enregistrement terminé, ils sont ramenés sous haute surveillance à la prison où ils résident, «pour leur sécurité» bien sûr, purgeant dix ans de contrat avec la télévision nationale.

Tout au long de ses 900 pages, cette saga parue initialement en 1993 se montre tour-à-tour grinçante, burlesque ou grave — sans pour autant de se départir de son cynisme acerbe. Mené tambour battant et rythmé par les coupures publicitaires, Kokumin Quiz n’est pas sans rappeler le Brazil de Terry Gilliam, sombre et désespéré sous des dehors vaguement comiques.
Comme chez l’ex-Monty Python, on y retrouve également une certaine fascination pour les visages déformés, avec toute une galerie de personnages hystériques et hideux rendus à merveille par le dessin rugueux et grouillant de Katoh Shinkichi. Un trait qui touche jusqu’à l’architecture, symbole de puissance, n’épargnant pas les bâtiments de ce Tokyo presque actuel, du studio ambulant de l’émission (sorte de building-robot tout droit sorti d’un dessin animé des années 30) jusqu’au siège de la chaine nationale (en forme d’escargot géant).

Unique, énorme et iconoclaste, Kokumin Quiz est une bouffée d’anti-conformisme dans une production japonaise souvent bien trop calibrée et respectueuse. Dérangés et dérageants, provocateurs et pertinents, c’est avec «un pavé dans la mire» que Sugimoto Reiichi et Katoh Shinkichi règlent (sans pitié) son compte à la petite boite à images. Surtout, ne quittez pas votre poste — «it’s show-time !».

Chroniqué par en décembre 2001